La maltraitance des vieux
Une proposition de loi rendue publique le 3 juin veut durcir le Code pénal à l’encontre de ceux qui maltraitent les personnes âgées. Malgré le plan de lutte contre la maltraitance de mars 2007, et la promotion de la bientraitance, les atteintes physiques et morales aux personnes âgées restent nombreuses. Le Numéro vert national 3977 explosa dès sa mise en place et la réforme visant à rendre plus protectrice les tutelles n’entrera en application que le 1er janvier 2009.
Le phénomène de maltraitance est d’ampleur : lors de la mise en route du Numéro vert (national) "3977" en février, le standard téléphonique a littéralement été submergé de signalements !
La proposition de loi veut donc "viser une violence plus « ordinaire », plus « masquée » qui, sans déboucher sur ces circonstances extrêmes de la mort ou d’une infirmité de la victime, n’en est pas moins réelle et également odieuse."
Lien vers la proposition de loi n° 863.
Un numéro, vert pour ces aînés qui ne le sont plus...
Les professionnels affectés à l’écoute téléphonique du 3977 estimaient, en février, à 70 % les cas de maltraitance des personnes âgées à domicile et à 30 % les cas en établissement. Ils évoquent cette violence ordinaire et parfois masquée dont parlent les initiateurs de la proposition de loi. Les violences peuvent être physiques, mais aussi morales (chantage, abus d’autorité, non-respect de l’intimité, comportements d’infantilisation) ou encore financière.
"C’est le cas par exemple des enfants qui détournent l’argent de leur père ou de leur mère ou, simplement, qui cessent de leur acheter des vêtements ou de les emmener chez le coiffeur parce que cela coûte trop cher. Nous avons ainsi eu le cas d’une dame qui confondait les francs et les euros et avait fini par donner 4 000 € de pourboire à son aide ménagère", raconte Sandra Sapio, psychologue et coordinatrice du 3977. "Le plus souvent, il s’agit de négligences passives dues à l’épuisement des aidants, qui finissent par craquer", souligne Catherine Maury, directrice de l’Association française pour la bientraitance des aînés et/ou handicapés (Afbah), qui gère le 3977.
(Source : journal La Croix en ligne 11 février 2008)
Le "reste à vivre"
Quelle triste formule que cette expression de "reste à vivre" ! Toutefois, il ne s’agit pas là du temps à vivre estimé de la personne âgée. Le "reste à vivre" est une notion comptable qui désigne l’argent laissé à sa disposition après affectation de 90 % de ses ressources au paiement de ses frais d’hébergement si elle est prise en charge par l’aide sociale.
Avant, on disait "argent de poche", mais l’expression gênait et le législateur a estimé qu’il fallait en changer.
Toujours est-il que la question récurrente qui se pose à l’administration qui gère l’aide sociale (le Conseil général) est : quelles sont les dépenses que l’on peut déduire de ce reliquat ? Dans le passé, des maltraitances financières ont été commises par certains départements qui ne laissaient pas d’argent de poche ou le ponctionnait assez systématiquement, voire récupérait le capital accumulé si cette somme mensuelle n’était pas entièrement dépensée. Cela d’ailleurs malgré une jurisprudence très claire et constante réaffirmant la loi qui dit que l’on ne peut récupérer que les intérêts du capital et que l’argent de poche - le "reste à vivre" donc - est intouchable.
Récemment encore, le Conseil d’Etat (9 avril 2008, CE, 7 mars 2008, n° 292 769) a dû réaffirmer sa jurisprudence (cf. : CE, 14 déc. 2007, n° 286 891) :
Que peut-on ponctionner sur ce "reste à vivre" ? Les cotisations de l’assurance complémentaire souscrite par la personne âgée peuvent-elles être légalement déduites de cet argent de poche ou bien est-ce au département de payer au titre de l’aide sociale ?
Il faut savoir que les personnes âgées sont contraintes de souscrire une assurance maladie complémentaire car une grande partie de leurs frais médicaux n’est pas prise en charge par le tarif soins de l’établissement, et donc par l’assurance maladie. Le Conseil d’Etat a décidé que les cotisations de cette assurance sont à la charge de l’aide sociale. Ce qui est plutôt rassurant quand on sait le nombre et l’ampleur des franchises médicales de toutes sortes qui se mettent en place. La personne âgée hébergée au titre de l’aide sociale ne devrait donc pas voir son argent de poche ou "reste à vivre" ponctionné pour ces dépenses. Enfin, en théorie, puisque certains départements continueront d’ignorer comme ils l’ont toujours fait les prescriptions de la haute juridiction en tablant sur la faible probabilité de recours devant le Conseil d’Etat.
La réforme des tutelles
La réforme des tutelles a été constamment repoussée depuis une décennie au moins. Elle a enfin vu le jour le 5 mars 2007, mais ne prendra effet qu’en 2009. Sa nécessité se faisait sentir depuis très longtemps. Actuellement, des mesures de tutelle continuent d’être prises non pas dans le souci de la protection réelle de la personne âgée, mais dans l’intérêt financier ou patrimonial des enfants ou pour régler des querelles familiales.
L’urgence de l’entrée en vigueur de la réforme est aussi criante en raison du nombre de mesures qui ne cesse de croître (on a assisté à un doublement du nombre des mesures de protection juridique en trente ans) et de l’innovation qu’elle prévoit (le mandat de protection future, c’est-à-dire la protection par anticipation).
Le Monde du 25/11/2007 relatait l’affaire de cet ingénieur agronome retraité, âgé de 93 ans, qui entendait profiter des quelques années que son bon état de santé lui promettait pour voir du pays et s’adonner à sa passion de la botanique, ce qui supposait quelques achats (appareil photo, écran plat pour son ordinateur...) Seulement voilà, le juge des tutelles a pris à son encontre une mesure de "sauvegarde de justice" le 13 août 2007 et désigné le fils comme "mandataire spécial". Très spécial en effet puisque, ni une ni deux, le fils bloqua tous les comptes bancaires de son père qui se retrouva alors sans d’autres ressources que les subsides accordés par ses amis et par... sa femme de ménage ! La mesure n’est bien entendu pas illimitée dans le temps (elle est de six mois renouvelable une fois) et il existe des voies d’appel, mais durant ces délais, notre retraité aurait eu le temps de mourir de faim ! La suite de cette affaire n’est pas connue, mais on imagine que l’article dans le grand quotidien national n’a pas permis au fils de poursuivre ses funestes fins.
A lire aussi : "Maltraitance de la personne âgée : l’ALMA sur le pont".
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