La mort programmée, à 20 ans, du RMI
20 ans, c’est le plus bel âge de la vie dit-on. C’est aussi l’âge qu’atteindra le RMI en décembre 2008. Il est cependant prévu, depuis 2007, de le remplacer par le RSA. La mort du RMI est donc programmée pour 2009. A la mort d’une personne, il est de coutume d’en faire l’éloge funèbre, quels que soient les défauts de cette personne. A défaut d’aller aussi loin, nous allons retracer l’historique de cette aide qui a montré sa forte utilité, mais aussi ses limites.
Il faut rappeler une chose que "les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître", avant le RMI qui aura 20 ans en décembre, il n’y avait rien. Aucune aide de dernier recours. Il existait bien les prestations de chômage et les aides sociales. Mais les restrictions des aides au chômage allaient se réduire au cours des années 90 et l’aide sociale n’était qu’un système d’assistance, de charité publique limitée dans le temps, tributaire des bonnes volontés locales et très exigeante en démarches multiples peu valorisantes pour les personnes en difficulté (qui souvent renonçaient à se faire connaître du bureau d’aide sociale de la commune). Il existait certes l’API (allocation de parent isolé). Créée en 1976, c’était surtout une conquête des droits des femmes.
Pour "ceux qui n’ont rien, qui ne peuvent rien, qui ne sont rien" :
Le RMI est venu apporter, là où il n’y avait rien, une aide précieuse, absolument vitale. Dans sa "Lettre à tous les Français" de 1987, le président Mitterrand écrivit "L’important est qu’un moyen de vivre ou plutôt de survivre soit garanti à ceux qui n’ont rien, qui ne peuvent rien, qui ne sont rien." Et l’on dirait du Coluche !
C’est donc à l’unanimité, mais oui à l’unanimité, et même à l’unanimité des deux chambres que fut votée la loi du 1er décembre 1988 instituant le RMI, porté par l’action et le rapport du père Wresinski. Il n’est pas certain du tout que le RSA emportera un tel consensus...
Le RMI devint le dernier filet de protection selon l’expression désormais consacrée. Son aspect le plus novateur du RMI est dans la création d’un droit nouveau. Désormais, l’aide financière ne sera plus tributaire d’une activité (comme les "petits boulots" des CLR - compléments locaux de ressources - initiés par certaines collectivités locales), ni la conséquence de pertes de revenus (allocation chômage) ou d’un handicap empêchant de travailler (AAH). Non, le nouveau droit créé sera indépendant de la notion d’emploi et du marché du travail.
Il y a cependant un volet actif d’insertion que l’Etat prendra intégralement à son compte financièrement.
Si le texte a été voté à l’unanimité aussi bien par l’Assemblée que par le Sénat, il ne faut pas oublier que des points ont toutefois été très discutés. Toujours à l’attention des moins de 20 ans qui "ne peuvent pas connaître" : à cette époque on savait débattre de façon démocratique, l’Exécutif n’imposait pas sa loi :
- la condition d’âge : 25 ans. En dessous de cet âge la solidarité des parents et les dispositifs spécifiques pour les jeunes sont supposés suffire. Néanmoins, l’Assemblée fait voter une dérogation pour les personnes de moins de 25 ans ayant des enfants à charge ;
- les étrangers : un compromis est trouvé autour d’un droit ouvert aux étrangers justifiant depuis trois ans d’un titre de séjour, et aux réfugiés ;
- le RMI dans les Dom-Tom : un compromis est voté sur une allocation d’un montant égal à 80 % de l’allocation qui sera versée en métropole ;
- la majorité socialiste décide que l’allocation sera centralisée par l’Etat, l’opposition dénonçant alors un recul par rapport à la décentralisation. La gestion est confiée aux CAF qui gèrent les prestations familiales. En effet, personne n’imaginait alors que 60 % des bénéficiaires seraient des personnes seules sans enfant.
- l’allocation : un compromis fut trouvé autour d’une allocation conditionnelle, mais sans devoir de contrepartie, sur une base contractuelle. La condition posée est de suivre les actions d’insertion proposées, mais la loi dit que la sanction n’intervient qu’a posteriori. De fait, la sanction de suspension de l’allocation sera très rarement appliquée. Le montant de l’allocation : une base fixée à 2 000 francs, un seuil bas pour ne pas risquer de déconnecter la notion de revenu de celle de travail.
Qui veut tuer le RMI l’accuse de la rage
Le principal défaut du RMI résulte d’une décision de l’Etat d’en avoir gardé le contrôle, au mépris du principe de décentralisation. Cette décentralisation incomplète a pesé sur les politiques d’insertion : le département se voyant imposer un dispositif dont il ne contrôlait pas le financement et dans lequel il était peu acteur. Ce défaut n’a été corrigé que bien plus tard (en 2003) par la décentralisation de l’allocation aux conseils généraux.
En revanche, on ne saurait affirmer comme d’aucuns le font aujourd’hui que le RMI ignorait l’intéressement. Cette notion était présente dès l’origine : dans la première règle adoptée, les 750 premiers francs (soit 42 % du RMI de base) étaient cumulables sans abattement avec le RMI, en cas d’accès à un emploi.
Inefficacité du RMI ? La mesure de réussite du RMI ne peut pas reposer sur le seul critère de taux de sortie par l’accès à l’emploi. D’abord parce que le marché de l’emploi génère beaucoup de chômeurs, ensuite parce que des phases d’insertion sociale préalables à la remise sur la recherche de travail sont nécessaires pour beaucoup.
Abus des avantages connexes ? Il est souvent reproché que les bénéficiaires du RMI ont des avantages connexes qui les logent à meilleure enseigne que les travailleurs pauvres sans qu’ils aient à travailler. Mais la solution serait plutôt de régler le sort de ces travailleurs pauvres et non pas de stigmatiser les Rmistes ou leur ôter leurs droits vitaux. Les droits connexes n’ont pas été un droit acquis. Ils ont bien tardé à devenir effectifs. La généralisation de l’allocation logement a pris trois ans, celle de la couverture des soins s’est mise en place lentement pour aboutir enfin à la loi sur la création de la CMU. La loi de 1992 « relative à la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale et professionnelle » concernera les droits connexes : l’accès à la santé (mais il faut attendre 2000 pour que soit créée la CMU), l’aide au logement (mais on est encore bien loin du droit au logement opposable).
Les difficultés majeures qui se présentèrent lors de la mise en œuvre du dispositif furent le nombre important et rapidement croissant des bénéficiaires et leur grande hétérogénéité. L’allocation fait office de substitut à l’indemnisation du chômage, d’autant plus que celle-ci a tendance à se restreindre dès les années 90.
Un bilan du RMI est tiré en 1992. Chacun s’accorde sur le fait que l’aide est utile et qu’elle révèle des situations de pauvreté, inconnues des services sociaux qu’elle a contribué à rendre visibles. Mais des faiblesses sont pointées : la procédure de l’allocation est trop longue, les droits dérivés sont mal connus et mal appliqués, l’insertion est insuffisante, non pas à cause de la mauvaise volonté des Rmistes, mais du fait d’une mauvaise collaboration entre Etat et conseils généraux et du peu d’implication des entreprises et des associations.
La loi contre les exclusions de 1998 visera à renforcer l’efficacité de l’action publique et à réformer le dispositif d’intéressement à la reprise des emplois des Rmistes.
Le RMI enfin décentralisé
Le projet de décentralisation du RMI a pris forme en 2002. Des rapports viennent à nouveau dénoncer la contradiction entre ce dispositif géré par l’Etat et le principe de décentralisation. Cette situation génère de plus des imbrications de responsabilités qui nuisent à la bonne efficacité du système. L’Etat est montré comme inefficace pour gérer la montée en charge des bénéficiaires. Il se trouve que le président Jacques Chirac a justement choisi de faire de la décentralisation un axe fort de la politique de son second mandat.
La loi du 18 décembre 2003 décentralise donc le RMI, mais elle crée aussi le RMA. Le législateur, en créant le RMA, a souhaité dépasser la seule question du transfert financier du RMI. François Fillon, ministre des Affaires sociales, emploie cette image : "Le RMI, filet de protection, est devenu un filet qui retient". Il serait devenu "l’alibi de l’inaction". Le RMA, dont le véritable nom est « contrat d’insertion RMA » (CI-RMA) est un contrat de travail de type aidé.
Le RMI est enfin décentralisé, mais trop tard ! Le mal est fait et la critique aussi. Il sera malgré tout supprimé.
Le petit frère du RMI, le RSA, devrait naître bientôt (il existe déjà à titre expérimental localement). Il tuera le grand frère et remplacera aussi l’API et la PPE (prime pour l’emploi). Mais c’est une autre histoire qui fera l’objet d’un second volet.
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