La pauvreté
Le modèle néocapitaliste anglo-saxon libéral, fondé sur la recherche du profit individuel et sur la loi du marché supposée équilibrante et autorégulatrice, créatrice de richesses pour le bien-être de tous, met en réalité de plus en plus d’individus en dehors de cette logique.
Dans le monde, la banque mondiale estime aujourd’hui à 1,2 milliard le nombre d’êtres humains vivant avec moins de deux dollars par jour, environ 3 milliards si on abaisse cette ressource à un dollar par jour, soit le seuil de pauvreté absolu. La France et l’Europe parlent de revenu médian pour évaluer ce fléau alors que l’ONU se réfère à l’indice de développement humain. En fonction des organismes ou des institutions, la pauvreté est définie de manière différente et sa mesure alimente souvent la controverse.
Nous tenterons donc d’en comprendre les différentes significations, d’en évaluer les caractéristiques, de comprendre les moyens de la mesurer, d’estimer son évolution et d’y apporter quelques pistes pour la contrer.
Définir la pauvreté est extrêmement subjectif car elle relève de l’évaluation d’un besoin fluctuant pour chaque individu. Si l’on exclut le dénuement total, étymologiquement, la pauvreté décrit l’état d’une personne indigente. On comprend ainsi que l’on ne peut en donner une définition qu’au travers de ses aspects privatifs. La pauvreté s’évalue donc principalement par le déficit d’accès à des ressources ou services et non par la quantification d’un cumul de ressources acquises.
Nombre d’organismes se sont attachés à rechercher les critères permettant de la mesurer au mieux, tentant ainsi de prendre en considération les différentes formes de pauvreté.
Pour l’organisation des Nations Unies (ONU), il est nécessaire de tenir compte de la grande disparité des ressources et modes de vie des pays de la planète. Fort de ce constat, son orientation incline à déterminer des indicateurs permettant de mesurer la pauvreté. Après l’indicateur de développement humain (IDH) créé en 1990 qui prenait en considération l’espérance de vie, le taux d’alphabétisation des adultes, le niveau d’étude moyen et le produit intérieur brut par habitant, l’ONU a affiné sa démarche en créant l’indicateur de pauvreté humaine (IPH). Ce dernier se décline sous deux formes, soit l’IPH1 pour les pays en développement et l’IPH2 pour ceux considérés comme développés. Le premier synthétise le pourcentage de décès avant 40 ans, le pourcentage d’analphabétisme des adultes, l’accès à l’eau potable, l’accès aux services de santé et les enfants de moins de cinq ans souffrant d’insuffisance pondérale. Quant au second, il combine le pourcentage de décès avant 60 ans, le taux d’illettrisme des adultes, le pourcentage de personnes vivant en dessous de la demi-médiane de revenu disponible des ménages et le taux de chômeurs depuis plus de 12 mois.
Si la pauvreté absolue relève de la survie de l’individu, la pauvreté relative s’établit par comparaison avec le niveau de vie moyen du pays considéré. On détermine d’abord le revenu médian, revenu qui partage la population en deux parties égales. La pauvreté se définit alors par rapport à une proportion de ce revenu médian. L’organisme européen Eurostat détermine le seuil de pauvreté relatif à 60% du niveau de vie médian de la population d’un pays.
En France, l’ institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) abaisse ce pourcentage à 50% du revenu médian français, diminuant ainsi en 2006 le nombre de pauvres à 4,2 millions d’individus en regard des 7,9 millions avec le barème Eurostat. En 1999, la polémique autour de ces chiffres a valu la création du BIP40 par le Réseau d’alerte sur les inégalités (RAI). Cette nouvelle mesure tient compte de 58 indicateurs statistiques attenant à la pauvreté et aux inégalités dans les secteurs du travail, du revenu, du logement, de l’éducation, de la santé et de la justice.
C’est en effet dans ces différents aspects de la vie courante de l’individu que se mesurent les déficits de ressources des plus pauvres.
De manière générale, les pauvres en France ressentent cette exclusion de la société par le déficit d’accès au logement, à l’emploi, à l’éducation, au crédit et à la santé. C’est pourtant ces personnes, de plus en plus en marge de notre système, qui requièrent le plus ces protections essentielles. Même si la République s’enorgueillit, au travers de la déclaration universelle des droits de l’homme, d’être le porteur du flambeau de l’égalité des individus, le nombre de pauvres ne cesse de croître dans la société française, et plus généralement dans les pays industrialisés. Il est d’ailleurs à noter qu’un niveau de vie moyen plus élevé d’une société va de paire avec une plus grande difficulté de vie de ses pauvres, leurs conditions de vie se caractérisant principalement par un cumul des handicaps, ces derniers étant plus ou moins stigmatisants. En fonction de ces différents facteurs de marginalisation, les personnes pauvres relèvent d’une pauvreté intégrée, admise, fataliste, souvent culturelle et historique. D’autres révèlent une inadaptation au monde économique et social qui marginalise, de fait, les plus faibles. Quant à la majorité de la population insérée, la pauvreté génère une psychose individuelle et collective ou une peur de la disqualification aux yeux de tous.
En France, le niveau de vie des plus pauvres repose souvent sur les revenus de transfert que l’on nomme « minima sociaux » : minimum vieillesse, RMI (et bientôt RSA), …. Ils représentent l’ultime filet de sécurité pour maintenir une existence décente. La rue, par ses SDFs, nous renvoie chaque jour l’image de l’exclusion la plus brutale, de la pauvreté absolue. Le concitoyen inséré se rassure souvent en stigmatisant ces personnes, se disant qu’il ne pourrait pas être cette personne, que celui-ci est fautif de sa condition. Mais la pauvreté peut affecter tout à chacun. Pour les personnes les plus âgées, les seniors, encore aptes à poursuivre une activité professionnelle, la difficulté majeure se concrétise par un niveau faible d’employabilité conjugué à une précarité de l’emploi croissante. Quant aux retraités, les faibles taux de cotisation de certaines catégories socioprofessionnelles (agriculteurs, commerçants, …) expliquent les insuffisances pécuniaires. La pauvreté s’invite dans les foyers aussi en raison de conjonctures familiales difficiles, momentanées ou durables. Les séparations de couples ont un impact direct sur le niveau de vie des familles, notamment pour les femmes isolées avec enfants, les hommes seuls divorcés et, au final, les jeunes en manque de soutien et de lien familial. Cette dernière catégorie est la plus durement touchée par le chômage, et plus particulièrement les moins de 25 ans et/ou ceux à faible qualification professionnelle. Chaque année, 150 000 jeunes sortent de notre système éducatif en étant considéré « illettrés ». L‘inadaptation des cursus éducatifs au marché du travail, demandeur d’une performance immédiate, prend également part à la montée de la pauvreté en France. Ces jeunes, n’étant pas encore intégrés au monde du travail, ne bénéficient d’ailleurs pas de revenus de transferts. Et s’ils désirent effectuer des études, ceux ne bénéficiant pas du soutien pécuniaire familial demeurent parfois les meilleurs usagers des associations d’aide quotidienne. La précarité des emplois rend également difficile l’emploi étudiant pouvant contribuer au financement de leurs études. Le phénomène est encore plus criant sous l’effet de la ghettoïsation des populations issues de l’immigration. Les « quartiers difficiles » rappellent que l’intégration, l’insertion et/ou l’assimilation n’ont pas fonctionné, ici non plus. La pauvreté est alors palpable par un taux de chômage excessif des plus jeunes comme des plus vieux, par la vétusté des logements et leur loyer surévalué, par une mixité scolaire en déficit au sein des établissements et par un éloignement des pôles de production. La précarité de l’emploi, la sous employabilité et la faible rémunération créent de plus en plus de travailleurs pauvres. Invitée dans chaque tranche de la population, la personne handicapée, très généralement en déficit d’emplois et de structures adaptées, fait également les frais de cette difficulté à survivre. La pauvreté se ressent également dans le déficit d’accès aux soins médicaux, nécessitant parfois le report des dépenses les plus lourdes au lendemain, la couverture maladie universelle (CMU) prévenant les frais les moins onéreux. Les personnes les plus démunies sont également celles les plus assujetties au jugement de notre société. Ils sont, en regard de la moyenne nationale, plus souvent présents dans les prisons. En raison du développement de certaines économies parallèles ou de leur statut marginal, les personnes pauvres deviennent des justiciables de fait. Les vols et recels, le vagabondage, le rejet de l’autorité, le squat, … sont fréquemment les causes et les symboles des difficultés à s’insérer dans notre société.
Cette pauvreté est donc perçue unanimement et visiblement au quotidien.
En France, si la pauvreté absolue est quasi inexistante, la pauvreté relative, elle, est bien présente. A l’avenir, l’organisation de la société française semble vouloir s’articuler autour de la cohabitation de la précarité de l’individu et le droit à l’opposition dans les domaines élémentaires de la survie, l’Etat-providence semblant étrangement se renforcer malgré un monde fondamentalement axé sur le libéralisme. Pour subvenir aux ménages et individus les plus pauvres, l’Etat a promulgué le droit opposable pour l’accès inconditionnel au logement, avec la loi DALO, aux crèches et garderies, à la santé avec la CMU et CMU/C (mutuelle complémentaire). Pour autant, l’accès à l’éducation pour tous, et notamment aux études supérieures, semble ébranlé avec la privatisation des universités. De plus, les secteurs bancaires ne démontrent pas une grande ouverture vers les plus pauvres, l’accès au crédit demeurant pourtant une des conditions essentielles au sentiment d’appartenance à la collectivité. Dans ce contexte, la participation des associations risque de prendre une part encore plus prépondérante dans l’assistance aux plus démunis, prenant ainsi le relais des institutions nationales.
La réinsertion des plus pauvres est peut-être synonyme d’une plus grande contribution de cette population à l’économie du pays.
En effet, l’espoir des plus pauvres sera peut-être la remise en cause des règles de la finance mondiale. La crise financière de 2008 démontre les limites du libéralisme, privilégiant outrageusement les revenus du capital aux revenus du travail. Cette interrogation mondiale permettra sans doute une réorganisation des règles du marché du travail et des échanges commerciaux via l’organisation mondiale du commerce (OMC), les puissances économiques émergentes comme la Chine ou l’Inde semblant vouloir participer à cette rénovation. C’est d’ailleurs dans ces pays, ainsi que dans les pays d’Afrique, que le micro crédit a pris un essor insoupçonné permettant aux plus faibles de concrétiser des projets jusqu’alors impossibles. Les plus grandes banques mondiales semblent s’intéresser de plus en plus à cette part de la population, qui numériquement, représente un marché colossal. C’est maintenant aux sociétés les plus développées de rentrer dans le jeu du crédit aux plus faibles, favorisant ainsi une économie entrepreneuriale. La multiplicité des projets offrira l’opportunité à de nombreux démunis de rentrer de plein pied dans l’autosubsistance et d’alléger ainsi les charges de la collectivité. Cela permettra également de développer l’esprit de solidarité au sein de l’économie en adéquation avec celle existant déjà dans la vie associative. La condition sine qua non à cette réussite relève de la participation commune des acteurs économiques institutionnels. Cette réflexion globale sur l’exclusion des plus démunis de nos sociétés modernes sera l’enjeu des prochaines décennies, les solutions apportées affirmant ou infirmant l’accroissement des inégalités.
De manière plus pragmatique, la pauvreté semble s’accentuer à mesure que de gigantesques fortunes se construisent à travers le monde. En recapitalisant ou garantissant à concurrence de plus de 3000 milliards d’euros notre système bancaire mondial, la crise financière de septembre 2008 a mis au jour le cynisme et le manque de volonté des décideurs de la planète à vouloir remodeler notre système sociétal. A cette même période, pendant que des mères nourrissent leurs enfants de simples galettes de terre dans les pays les plus pauvres, le salon des millionnaires vient d’ouvrir ses portes en Allemagne. Pour combien de temps les plus pauvres accepteront-ils de mourir en regardant les plus riches profiter des plaisirs de notre civilisation ? Les sans abris devront-ils continuer à jalonner nos rues ? Les mesures étatiques pourront-elles subvenir indéfiniment aux plus pauvres ? Qui sera en mesure d’endiguer les vagues d’immigration déjà croissantes des pays du Sud vers le Nord ? Quels pays pourront stopper les guerres de famine toujours plus nombreuses ?
Est-ce vers ces criantes inégalités que nous souhaitons voir évoluer notre espèce ? Ce sont assurément de bien plus grands défis pour les générations futures que ceux déjà relevés par nos ancêtres dans le passé.
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