La police française scrutée par les associations de défense des droits de l’homme
En moins de deux mois, la police française est citée dans les rapports des associations de défence des droits de l'homme Amnesty International et Human Rights Watch, pour des faits de décès aux mains de la police qui restent impunis d'une part et pour des contrôles d'identité au faciès d'autre part.
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Amnesty International : Des décès aux mains de la police qui restent impunis
Dans son rapport du 30 novembre 2011 intitulé "France. Notre vie est en suspens. Les familles des personnes mortes aux mains de la police attendent que justice soit faite", Amnesty International dénonce l'absence de procédure judiciaire à l'encontre des policiers impliqués dans cinq cas de personnes décédées au cours d'interpellations qui ont mal tournées entre 2004 et 2009.
Abou Bakari Tandia, Malien de 38 ans, est amené au commissariat de police dans la soirée du 5 décembre 2004 après un contrôle d'identité. Il est tombé dans le coma et a été transporté à l'hôpital quelques heures après.
Presque sept ans après la mort d'Abou Bakari Tandia, la procédure judiciaire piétine. La quatrième juge d'instruction chargée de l'affaire a demandé en décembre 2011 une énième expertise - que la famille juge inutile et qui retarde encore la procédure. Lire l'article
Lamine Dieng, Français d'origine sénégalaise de 25 ans, a été interpellé vers 4 heures du matin le 17 juin 2007. Il avait consommé de la drogue (cannabis et cocaïne) et refusait de se faire passer les menottes. Finalement immobilisé face contre terre avec les menottes passées dans le dos, il a été mis dans le fourgon de police dans cette position pour être amené au poste. Il décède d'asphyxie presque une heure plus tard.
Malgré un rapport de la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité (CNDS) indiquant que la mort de Lamine Dieng était due à une "contention inadéquate", aucune procédure disciplinaire n'a été entamée à l'encontre des policiers concernés, qui sont toujours en poste aujourd'hui.
Abdelhakim Ajimi, Tunisien de 22 ans, s'est rendu à sa banque le 9 mai 2008 pour retirer de l'argent. Devant le refus de l'établissement, il a refusé de quitter les lieux. Le directeur ayant appelé la police, il a finalement décidé de rentrer chez lui. Deux policiers de la BAC (Brigade Anti-Criminalité) ont tenté de l'interpeller dans la rue et il s'y est opposé, blessant un des policiers. Neuf policiers sont ensuite venus prêter main forte pour l'immobiliser. Selon des témoins, les policiers l'ont maintenu au sol après l'avoir menotté et l'ont frappé à coups de poing au visage à deux reprises. Un des policiers était assis sur son dos, un autre l'étranglait en faisant une clé de bras, tandis qu'un troisième lui maintenait les jambes. Son visage est devenu violacé. Il a ensuite été mis à l'arrière du véhicule de police dans cette position, sur le plancher. A l'arrivée au commissariat, les policiers ont constaté son décès.
Suite au non-lieu prononcé en mai 2010 à l'encontre des deux policiers de la BAC, le procureur et l'avocat de la famille ont fait appel. Le procès des sept policiers mis en cause dans la mort d'Abdelhakim Ajimi était fixé au 16 janvier 2012. On attend le verdict du tribunal de Grasse sur cette affaire. Lire l'article
Ali Ziri, Algérien de 69 ans, est arrêté le 9 juin 2009 pour un contrôle d'alcolémie et conduit au poste avec son ami d'enfance de 60 ans. Les caméras de surveillance du commissariat montrent qu'ils ont été violemment extraits du fourgon et jetés à terre. Là, ils auraient reçu des coups et injures racistes, été menottés les mains dans le dos et laissés à plat ventre la tête dans leurs vomissures. Ils ont ensuite été amenés à l'hôpital où Ali Ziri a fait un arrêt respiratoire, inconscient, avant de décéder le lendemain matin.
Le procureur a requis un non-lieu le 14 décembre 2011 alors que la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité (CNDS) avait demandé qu'une procédure disciplinaire soir ouverte contre les policiers qui avaient eu une attitude et un "traitement inhumain et dégradant". Lire article ici
Mohamed Boukrourou, marocain de 41 ans, s'est rendu le 12 novembre 2009 dans une pharmacie pour se plaindre de médicaments qu'on lui avait vendus. Il était agité et a demandé à ce qu'on appelle la police vers 16h45, puis l'a attendu calmement assis sur une chaise. A leur arrivée, les policiers ont tenté de le menotter, mais il ne s'est pas laissé faire. Une dame témoigne avoir vu les policiers le piétiner et le frapper violemment dans le fourgon. D'autres policiers et pompiers sont ensuite arrivés sur les lieux, et un médecin a constaté la mort de Mohamed Boukrourou à 18h05.
En novembre 2011, la famille attendait toujours que la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité (CNDS) rende son avis sur l'affaire.
Pour chacune de ces affaires, les familles n'ont pas été clairement informées de la part des forces de police au sujet des conditions de décès de leur proche. Amnesty International dénonce les dysfonctionnements liés à ces affaires : lenteur des procédures, manque d'impartialité des enquêtes, réticences des procureurs à poursuivre des agents de la force publique, sanctions non adaptées à la gravité des faits, mais également la tendance à utiliser la force lors des interpellations ou encore l'interpellation privilégiée des personnes étrangères et d'origine étrangère.
Human Rights Watch : Police française et contrôle d'identité au faciès
Dans son rapport de janvier 2012, intitulé "La base de l'humiliation : les contrôles d'identité abusifs en France", Human Rights Watch dénonce les contrôles d'identité au faciès pratiqués par la police française sur des jeunes personnes (parfois âgées de seulement 13 ans) étrangères ou d'origine étrangère.
L'association remarque que ces contrôles arbitraires peuvent avoir lieu même en l'absence d'infraction, au cours desquels l'usage de la force ou les propos insultants et/ou racistes ne sont pas rares. Le refus d'obtempérer lors d'un contrôle ou la protestation peuvent déboucher sur des plaintes telles que "outrage à agent" qui dissuadent les gens à faire valoir leurs droits.
Une étude, publiée en 2009 par l'Open Society Justice Initiative et le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), démontre que les probabilités de contrôle en France sont six fois plus élevées pour les Noirs, près de huit fois plus élevées pour les Arabes en comparaison aux Blancs.
Human Rights Watch met en garde sur les contrôles d'identité abusifs qui ont un impact négatif sur les relations entre la police et les citoyens et rappelle que la colère refoulée face à l'injustice des abus de la police a joué un rôle important dans les émeutes de 2005 et est souvent à l'origine de conflits entre police et jeunes partout en France.
Human Rights Watch a appelé l'état français à prévenir le profilage ethnique, les contrôles abusifs au faciès ainsi que les mauvais traitements en proposant plus de transparence à travers différentes mesures :
- tout contrôle d'identité devrait être fondé sur des soupçons raisonnables et fondés,
- toute discrimination de la part des forces de l'ordre devrait être interdite et sanctionnée
- toute personne contrôlée devrait se voir remettre une preuve écrite de l'interpellation
- la police devrait consigner les contrôles dans un registre interne
- le gouvernement devrait publier régulièrement des données à ce sujet.
Miss Tinguette pour AgoraVox
Pour aller plus loin :
Rapport du 30 novembre 2011 - Amnesty International - "France. Notre vie est en suspens. Les familles des personnes mortes aux mains de la police attendent que justice soit faite"
Rapport de janvier 2012 - Human Rights Watch - "La base de l'humiliation : les contrôles d'identité abusifs en France"
Rapport de mai 2011 - Open Society Justice Initiative - "Les contrôles au faciès en France : une pratique à la réalité bien établie"
Article du 27 janvier 2012 - Le Parisien - "Mort en garde à vue : un gendarme de Doubs condamné"
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