Alors que les États Généraux des Antilles se déroulent ; la plupart des médias semblent avoir survolé ce qui s’est réellement passé le 28 février 2009, à Paris, place de la Nation. Était-ce un simple rassemblement ou bien les prémisses une Révolution annoncée ?
Information relayée par tous les sites internet.
Une manifestation de soutien au L.K.P est prévue à 15 heures.
Désinformation, mauvaise communication ou volonté de récupération ?
La manifestation de soutien au L.K.P a lieu, mais à 14 heures. Par contre, à 15 heures, une action du Collectif DOM est prévue … au même endroit.
Arlette Laguiller et Olivier Besancenot se sont déplacés. Tous les syndicats de gauche et d’extrême gauche pavoisent. L’Association des Arméniens de France envoie son soutient. La sœur de Jacques Bino, rappelle qu’elle vient d’enterrer son frère. Ce qui, considère-t-elle, est une conséquence directe de la volonté délibérée du gouvernement de laisser pourrir la grève. Remerciant, elle demande : « Soutenez notre action. Faites que Jacques ne soit pas mort deux fois. Si nous y croyons, nous allons gagner ! ». Des applaudissements fusent et L’Internationale est entonnée.
A 15 heures précises, un son puissant, venant du podium du Collectif DOM, recentre la manifestation.
Le Président du Collectif, Daniel Dalin, informe qu’elle a été baptisée « Van lévé (0) »[ Le vent se lève], que la sonorisation ainsi que le chapiteau ont été offerts gracieusement par la Société NCS. Et que tous les artistes sont des bénévoles. Qu’elle vient en soutient à l’action sociale engagée actuellement aux Antilles. Il rappelle que d’autres manifestations se déroulent, au même moment, à Bordeaux, à Montpellier ainsi que devant l’Ambassade de France à Londres. Il constate qu’il y a plusieurs dizaines de milliers de personnes place de la Nation, puis énumère les 5 départements auxquels se consacre son Association :
* la Guadeloupe,
* la Martinique,
* la Guyane,
* la Réunion et bientôt…
* Mayoooooooootte !
Il regrette que le LKP n’aie pas voulu se joindre officiellement à eux et rappelle : « On n’est pas là pour faire la fête, car il n’y a ici que des artistes engagés ».
Sous le son de « grèv, grèv en péi a ! man pa mandé coulè nouè la, en pa mandé chivé grenné ; o nèg la jà prenn manman, nèg la ja prenn manman(1) [C’est la grève, la grève dans le pays. Je n’ai pas choisi d’être noir. Je n’ai pas choisi d’avoir les cheveux crépus. Oh ! Les nègres en ont déjà vu maman, les nègres en ont déjà subi maman.] » .
Différentes personnalités se succèdent. Puis (avant que l’ambiance ne se soit trop échauffée) Greg Germain arrive accompagné de Philippe Lavil. (Il semble que Greg vienne en soutien et en tant qu’ami. Car ce dernier d’origine « békée » qui gagne sa vie en tant que chanteur en Métropole, rattrapé par son image médiatique, a été promu, on dirait malgré lui, Ambassadeur des « békés » en France) Il égrène son pensum :
« Nous vous avons entendus… Nous pouvons nous entendre… Il faut maintenant mettre les cartes sur la table et tout mettre à plat afin que nous prenions un nouveau départ ensembles…Nous devons discuter… »
Suit ensuite le Délégué Général des Associations et Collectivités d’Outre Mer :
« Nous sommes entendus mais pas écoutés… aujourd’hui l’Outre Mer se réveille et quand l’Outre Mer se réveille les choses changent… non aux comparaisons …nous n’arrivons pas la main tendue, non ! Nous apportons 98% de la surface maritime française. Nous avons plus de biodiversité que toute l’Europe réunie. La Guyane permet à la France d’avoir un pied en Amérique amazonienne. En Outre-mer on ne vit pas sur la plage et sous les cocotiers. On travaille et on veut travailler. On n’a pas choisi d’être des RMIstes. Nous allons nous investir dans les Etats Généraux. Il faut que les décisions soient prises au plus près de ceux qui sont concernés. Il faut maintenant concrétiser. Nous ne demandons pas d’être aimés, nous demandons le respect…la jeunesse ultramarine, nous travaillons pour vous… La Communauté américaine a voulu nous soutenir, nous la remercions…Nous avons le soutien des Arméniens de France… ».
Ensuite Dédé Saint-Prix sonne de sa conque de lambi : « Mamaille lévé, lévé doubout pou nou prenn respé en nou (2) »[Les enfants levez-vous, levez-vous pour exiger le respect.].
Sylviane Cédiou de la Guyane : « En arrêtant l’hirondelle tu n’arrêtes pas le printemps…
Un slammer haïtien est présenté. (La foule est d’abord suspicieuse. Car l’Haïtien est considéré aux Antilles comme l’Antillais en France ; un citoyen de seconde zone). Mais quand il commence à slammer, tout à côté, un membre de l’L.P.K ne peut retenir quelques larmes :
« Il dit tout ce que je ressens depuis toujours dans mon cœur, dans mes tripes, dans mon âme. Je ne croyais pas vivre assez longtemps pour vivre un jour comme celui-là ; même pas en rêve. Il exprime des sentiments ce que j’ai toujours refoulés… des blessures, des hontes cachées. Je ne croyais pas que la souffrance de tous les jours puisse être dite aussi simplement, et avec de tels mots. Surtout le respect …pas quémandé, pas mendié, mais exigé, et avec des arguments messieurs et dames, des arguments ! ».
Ils sont tous là : Neg mawon, Krys, Matthieu Edwards, Saik, Rohff, Tiwony, J Dévarieux, Jamadom, Daddy Mory, Perle Lama, Yvan Voice, Lynnsha, Djamanik , Shaolin, Typical Fefe Typical.
La sœur de Jacques Bino témoigne sa douleur et rappelle que les assassins ne sont pas encore retrouvés. Une minute de silence est demandée : « Mèzi é i pa mô pou ayen !(3) »[ Je vous remercie ; et il n’est pas mort en vain »]
Puis Féfé Typical met le feu et rappelle : « Le mois de mars est un mois de commémoration aux Antilles. Et n’oubliez pas DELGRES et le cri de révolte des peuples en souffrance : VIVRE LIBRE OU MOURIR »
Sous le chapiteau, à côté, attendent de passer sur le podium, des personnalités du monde artistique, culturel, associatif ou politique. On leur sert un rafraîchissement car cette journée d’hiver, particulièrement ensoleillée, est presque tropicale. Un livre de soutien au L.K.P. trône sur une table au centre. A côté une pile de petits cartons blancs, cerclés de rouge :
« Utopiste debout REVE GENERALE »(? ??)
Un rasta arrive avec sa guitare. Non, Il a changé d’avis, il veut maintenant lire un texte qu’il a préparé.
« ….nous sommes en retard d’une révolution… achevons d’abord ce qui a été oublié en 1789… » (Apparemment la foule ne le suit pas).
Un jeune rappeur exprime son désespoir en chanson :
« En aille chèché travail, en té prèmié rivé, tout moun passé douvan moin. A la fin yo mandé moin (4)*[Je suis allé chercher du travail. J’étais le premier arrivé, tous les autres sont passés avant moi. A la fin on m’a demandé] : VOUS DESIREZ QUELQUE CHOSE MONSIEUR ? Aroua en té aille là, joust pou bougé cô en moin(5)*[Absolument rien, je suis venu ici juste pour faire un peu d’exercice]. Oui je suis noir, c’est pour cela que vous feignez de ne pas me voir et pourtant j’existe, discrimination à l’emploi, discrimination à l’école, discrimination dans les boîtes de nuit. Car je suis noir et même le jour vous refusez de me voir ».
Un rasta blanc ou pas assez noir déclame ensuite un poème engagé et est frénétiquement applaudi.
Des jeunes de banlieue ayant déjà commencé de fêter l’évènement avant leur départ arrivent éméchés. Et les services d’ordre de la manifestation les prennent immédiatement en charge.
Une future mère de la petite couronne déclare : « Dans les 5 jours du début de la grève, j’ai lancé les bases d’une Association car je veux que mon enfant ait un travail en France ou aux Antilles. Qu’il ait Bac plus 8 ou soit ingénieur. Je me bats pour que, même si c’est un manuel, qu’il puisse avoir les mêmes chances que les autres. Que le banquier ou la Chambre de Commerce ne récupère pas son projet, ses idées et donne le prêt à quelqu’un d’autre qui soit RACIALEMENT CORRECT ».
Un organisateur arrive « Vous avez chanté : la Guadeloupe c’est à nous, La Martinique c’est à nous…Est-ce que cela signifie que vous voulez l’indépendance ? » La majorité de la foule répond par la négative.
Les radicaux de gauche, qui a soutenu Christiane Toubira à l’élection présidentielle, s’expriment par la personne de leur représentant :
« Nous avons osé soutenir une noire à l’élection présidentielle ». Il se fait siffler :
« Ka ou ka kouè, nou sé macaks ou chitas(6)* ? »[Vous nous prenez pour des macaques ou des singes]. Il est heureusement accompagné par deux Domiens qui « rattrapent la sauce » en rappelant toutes les actions faites par ce Monsieur en faveur des D.O.M, et entre autre, la réduction des prix en matière de transport aérien.
Un rasta Guadeloupéen chante sa différence et interpelle en Créol les Martiniquais :
« Si zot pas assé, nou ké vinn rédé zot pou fouté yo dèrô(7)* » [Si vous n’êtes pas assez nombreux, nous viendrons vous prêter main forte afin de les expulser] (Des rires espiègles fusent dans la foule : ce serait une bonne blague à leur faire).
Des poètes, des chanteurs, non invités, veulent participer également à la manifestation. Après une audition éclair, ils sont autorisés à se présenter au public. On scande : « Il y a une solidarité chez les originaires d’Outre Mer ».
Sous le coup de l’émotion, de nombreuses personnes s’évanouissent et sont secourues par leurs voisins, en attendant les services sanitaires.
L’animateur reprend : « Où sont les Guadeloupéens ? Où sont les Martiniquais ? Où sont les Guyanais ? Où sont les Réunionnais ? Il-y-a-t-il des habitants de Mayotte parmi vous ? »
Toutes les mains sont levées pour tous. Tous rient et pleurent en même temps. Tous les poings sont tendus pour exprimer la colère. Ils ne forment plus qu’un tout. Ils vibrent ensembles. Ils se sont enfin reconnus et l’ont proclamé d’une seule voix, tout au long de la manifestation : « Nous sommes des noirs, des nègres, descendants d’esclaves et demandons le respect. Nous réclamons des lois, comme aux Etats-Unis, pour garantir l’égalité pour tous… »
La grand’messe de la fraternité noire a eu lieu, le soir du 28 février 2009, place de la Nation.
*Créol phonétique, pureté grammaticale non garantie
(Reportage réalisé par Chantal Sayegh-Dursus)