La poupée Barbie au-delà du miroir
Objet ludique, symbole idéologique, la poupée Barbie de 28 centimètres dont on fête les 50 ans ce 9 mars, est devenue une expression péjorative pour parler d’une femme démonstrative, et a parfois des allures de totem comme de tabous. Peut-elle être témoin de son époque, avec par exemple la sortie récente d’un couple senior ? Même libérée du symbole de la femme objet, comment peut-elle encore véhiculer une image de la beauté parfaite aux petites filles avec ses mensurations irréalistes ? Interdite en Arabie Saoudite, est-ce vraiment une expression de la liberté de la femme ? Ce jouet nous invite à repenser les notion de beauté et de modèle physique ...Barbie au-delà du miroir, par Eric Donfu.
Tout était écrit avant que la poupée « n’ouvre » ses yeux. A quinze ans, alors qu’elle est encore au lycée, une jeune fille, Brigitte, fait des photos pour le magazine ELLE pour illustrer la femme moderne des années 50. Roger Vadim, jeune journaliste à Paris Match, repère la jeune Brigitte Bardot et lui obtient un premier rôle en 1952 dans le Trou Normand de jean Boyer, aux cotés de Bourvil. Vite devenue un sexe symbole , elle devait éclipser Leslie Caron, alors que Marylin Monroe se révélait aux Etats-Unis.... Et c’est parce que sa fille Barbara préférait jouer avec des poupées faites de ces images de femmes aux formes féminines -femmes découpées dans des magazines féminins, que Ruth Handler compris que les poupées rondes aux grands yeux ébahis ne correspondaient plus aux petites filles de son époque. Barbie entrait dans la danse.
Une poupée star
C’est donc le 9 mars 1959, c’est au salon American Toy Fair de New York que Ruth Handler présente pour la première fois sa création, une poupée mannequin de 28 centimètres de haut, sensée représenter une mannequin d’une vingtaine d’année, avec une poitrine opulente, des cheveux blonds platine, une taille fine et des longues jambes, totalement le contraire des poupées asexuées de l’époque. De 1959 à 1970, son regard est devenu de plus en plus coquin, et sa taille de plus en plus fine. Puis, en 1971, Malibu Barbie, blonde capiteuse et émancipée, le regard droit et la voiture de sport, a conquis Ken, son compagnon au look sportif. Avec des mensurations idéales inatteignables par une femme vivante, la poupée Barbie a été accusée d’inciter les petites filles à la maigreur, et de participer en cela au fléau de l’anorexie. Depuis 1980, ses types ethniques sont déclinés en modèles africaines, chinoise ou indiennes et l’étendue de ses loisirs, métiers, et professions, témoignent bien de l’émancipation de la femme. D’ailleurs, cette blague est révélatrice : Face à trois Barbie identiques, mais une avec une voiture de sport, l’autre parée de fourrures et d’accessoires et la troisième, juste vêtue légèrement, un acheteur demande pourquoi c’est la troisième, celle qui n’a rien, qui est vendue la plus chère. Réponse : Parce que c’est la Barbie divorcée ! Elle vient avec la voiture et la maison de Ken... » Depuis 1990, des versions en tirage limité, et à prix élevés, sont réalisées par la société Mattel avec des tenues réalisées par les plus grands couturiers. Barbie a été la vedette de films dans lesquels elle apparaît, telle Lady Di, comme une princesse et, depuis 2004, l’actrice et chanteuse américaine Hillary Duff est son ambassadrice.
Papy et mamy Barbie
Dans ce contexte, et alors que l’on célèbre le 9 mars 2009 son cinquantième anniversaire, il fallait saluer l’arrivée de papy et mamy Barbie. Barbie et Ken ont pris des rides et des cheveux gris, la coupe de cheveux de madame est sage et l’un comme l’autre portent désormais des lunettes. Bien vu, ce vieillissement de la poupée accompagne bien celui des petites filles des années 60, ces « filles de mai 68 » qui deviennent aujourd’hui la nouvelle génération des grands-mères, toujours jeunes et toniques. Mais nous restons toujours sur le modèle des mannequins seniors. Dans une image miroir fidèle à la Barbie de vingt ans. Corps objet vieillissant, certes, mais toujours objet. Et son succès vient aussi de sa popularité auprès des hommes, pour qui le corps de la femme a toujours inspiré un désir du regard et du toucher.
Barbie : Une image de la femme objet ou de la femme enfant ?
Dans l’Amant [i] Margueritte Duras parle du désir du jeune chinois pour la jeune fille qu’elle était « Il me douche, il me lave, il m’adore, il me farde et il m’habille, il m’adore, je suis « la préférée de sa vie ». Elle a pris en lui toute la place, toutes les places et surtout une des plus viscérales, des plus bouleversantes, celle de l’enfant »[ii] La poupée est partout dans le jeu amoureux. Dans Le Mépris de Jean-Luc Godard, Brigitte Bardot, nue, susurre à son mari, Michel Piccoli « Et mes chevilles, tu les aimes ? » « Oui, je les aime. » « Et mes cuisses ? » « Oui » « Et mon derrière ? » « Et mes épaules ? » « Et mon visage - ma bouche, mes yeux, mes oreilles ? » « Oui ! » A toutes les questions, il répond « Oui, tout, j’aime tout » Ce qui amène cette réplique de la femme « Tu m’aimes totalement, alors ? » Pablo Neruda [iii]aurait pu compléter le dialogue « Rhodo dit : Je veux tes cheveux pour les semer dans l’eau des mers / Tes cheveux sont la proue de mon bateau / Je veux ta bouche pour la larguer dans le vent ; / Je veux que tes deux bras m’enlacent / Ils sont deux liserons grimpants / Je veux tes seins blancs dans le ciel / Comme deux lunes pleines de rosée / Je veux ton ventre qui s’appuie sur Dieu / Je veux ton sexe, il est ma racine marine / Je veux tes hanches pour guitares / Et je veux aussi les dix doigts de tes pieds / Pour en manger un chaque jour /
Une représentation de la beauté plastique
Alors, « Moi les peintures, si le cadre est moche, je ne vais pas plus loin » dit l’idiot, mais, aussi naïve soit-elle, la question mérite d’être posée : Quelles sont les parts de l’art et de la réalité ? Et celles du rêve et de la vie ? Peut-on sérieusement les opposer, et vivre sans eux, dans l’ordre et dans le désordre ? Pour ce qui est de la beauté, Freud la définit justement comme ce sur quoi la psychanalyse a le moins à dire ! Par-là il semble vouloir signifier que la psychanalyse de l’art ne peut ni ne veut rendre compte de la création esthétique elle-même »[iv] Cette beauté qui inspire ces vers à Baudelaire Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l’abîme,/ O Beauté ? / ...ton regard infernal et divin / Verse confusément le bienfait et le crime.../ Il est vrai que, comme le souligne Groucho Marx « La tentation d’une belle femme peut causer votre perte - si vous avez de la chance » [v] Et ce n’est pas parce que Publicis a osé un « Dim, très mâle, très bien » que Woody Allen a dit « Mon rêve serait d’être le collant d’Ursula Andress »[vi] . Depuis l’Antiquité, la beauté est confondue avec le physique. De Popée, épouse de Néron, à Sharon Stone, héroïne du film basic instinct, les canons de la beauté tirent toujours dans le même sens, celui des mensurations idéales, Régularité des traits, proportions harmonieuses... Tout cela contribue à l’attrait sexuel. Ce sex-appeal qui se révèle avec cette musique, faite d’un langage corporel, de la fluidité de la silhouette, de ce « je-ne -sais-quoi » de séduction silencieuse, dans les reflets d’un regard, une moue des lèvres, le furtif d’un port de tête. Celles qui taquinent la notion de beauté se sentent privilégiées. Ce sont ces belles femmes que l’on assimile au diable quand, jeune fille, elle s’arme de la fraîcheur passagère de la jeunesse. Les mieux armées pour attirer le vrai Prince rayonnant de lumière sur son cheval blanc, rencontrer l’homme de leur choix, tant les gens engagent ceux qui leur ressemblent, achètent, prêtent et sortent avec ceux qui leurs ressemblent. Alors, quelles étaient les qualités premières d’une femme pour Rudolf Valentino idole masculine, sex-symbol des écrans des années 20 ? 1 Fidélité 2 Reconnaissance de l’importance suprême de l’amour, 3 intelligence, 4 Beauté, 5 Sens de l’humour, 6 sincérité, 7 appréciation de la bonne chère, 8 Intérêt pour l’art ou autre hobby, 9 acceptation traditionnelle et sans réserve de la monogamie, 10. Courage. [vii] Quand même, la beauté en 4 sur dix... Ce que comprend bien cette publicité d’Yves Saint-Laurent « Opium, un parfum de dépendance »[viii]
Une représentation de l’injustice corporelle ?
Mais la beauté, fascinante et plaisante à regarder, peut avoir son versant d’arrogance, et même se révéler l’injustice même, une injustice corporelle mais aussi une injustice sociale. A l’école, les beaux élèves ont plus de chances de devenir de bons élèves, personne ne rêve d’épouser quelqu’un de laid, et, dans l’imaginaire, les gentils sont supposés être beaux et les méchants laids. Personne ne peut prétendre que l’aspect extérieur n’a pas d’importance et que seule l’âme compte. Nous sommes loin la notion de beauté intérieure, qui fait dire à l’humoriste Michèle Bernier « La beauté intérieure, c’est bien, mais si, en boîte, tu n’as que la beauté intérieure, tu bois toute seule ». De fait, et parce que « Les hommes ne regardent pas que votre sourire », combien de jeunes filles de douze ou quatorze ans ont eu envie de se flinguer en regardant des feuilletons télévisés, face à ces publicités « Très chic, très charme, très femme » avec des corps parfaits et des visages inexpressifs, en lisant ces magazines de mode mettant en scène des filles filiformes ? Boulottes ou sans formes, trop petites ou trop grandes, avec des yeux trop noirs ou des fesses trop basses, une bouche trop petite ou des pommettes trop hautes, de l’acné ou des dents de travers, leurs rêves pouvaient transformer leur vécu en enfer. Le visage et le corps idéalisé est réduit à des formes plastiques inaccessibles. Même le fait d’avoir du charme, c’est-à-dire la capacité d’être aimée est atteinte. Selon une étude réalisée auprès des adolescents en 1991[ix], si 62% des garçons estiment avoir du charme, ce chiffre tombe à 45% si l’on interroge les filles. Autre révélateur de ce mal-être, l’acceptation de son identité sexuée. Selon cette même enquête, si 6% des garçons disaient qu’ils voudraient plutôt être une fille, 21% des filles, soit une fille sur cinq, déclaraient vouloir plutôt être un garçon. Adulte, le tableau n’est pas meilleur. 81% des femmes et 74% des hommes se regardent quotidiennement dans le miroir. 88% des hommes se plaisent à cette vue, contre 73% des femmes. D’une manière générale, 13% de ces dernières se disent très satisfaites de leur beauté, 58% plutôt satisfaites, 10% plutôt ou très insatisfaites. C’est par rapport à leur poids et leurs formes que les femmes sont le moins satisfaites : 31% se disent plutôt ou très insatisfaites.[x] N’oublions pas par exemple que un français sur trois est en surpoids ou obèse. Alors, hors des canons de la beauté, le bonheur serait-il interdit ?
La vie n’est pas un monde de poupée
Groucho Marx, commentant le spectacle de deux jeunes tourtereaux à qui l’on attribue les vertus de l’amour alors qu’il les ramène à l’attirance sexuelle donne peut-être une réponse « « Je me demande quelle sorte d’amour ce Roméo-là éprouverait pour cette Juliette-là si elle avait les jambes arquées, les genoux cagneux et si son buste sortait tout droit des usines de caoutchouc d’Akron, Ohio Je ne nie pas que les gens laids se marient (moi, par exemple), mais la plupart des jeunes gens se marient parce qu’ils sont impatients de faire cette sublime expérience sexuelle que, depuis le lycée, leurs camarades, les disques, le cinéma et les mauvais romans enfoncent au cœur de leur subconscient. » « Il est certain que le sexe est la force à qui l’on doit la perpétuation de la race humaine. S’il n’existait pas, la vie disparaîtrait en quelques décades, ce qui ne serait pas plus mal. Je crois, quant à moi, que l’amour véritable apparaît lorsque les premiers feux de la passion se sont éteints et que seules en demeurent les braises qui couvent sous la cendre. C’est cela le véritable amour. Ses composantes sont la patience, la vertu de pardon, la compréhension mutuelle, et une très grande tolérance pour les fautes de l’autre [xi] Non, la vie n’est pas un monde de poupée, mais bien la scène de rencontres, d’échanges et de constructions de relations sur la base de preuves qui s’inscrivent dans un cycle de vie ou nous changeons nous-mêmes.
Des valeurs plus fortes que celles du physique
Depuis novembre 2001, le code du travail interdit toute discrimination fondée sur l’apparence physique, mais on demande toujours une photo avec les CV. Les belles jeunes filles et les belles femmes, les beaux jeunes hommes et les beaux hommes auront toujours de l’attirance réciproque et continueront toujours à faire la une des magazines. Mais aujourd’hui, et depuis une vingtaine d’année, il s’agit moins de plaire aux autres que de se sentir en accord et en symbiose avec soi-même. L’attirance se fonde aussi sur des attitudes utiles comme l’amabilité, l’humour, la joie, l’enthousiasme et la chaleur et les séparations sur celles, inutiles, de la colère, de l’anxiété, du sarcasme, du pessimisme ou de l’ennui. Plus que jamais, et sans parler des coups, les mots choisis et le ton employé peuvent anéantir toute prestance physique. Quelle est la place du physique et des sentiments dans ce poème d’Eluard, Intimes ? / Je n’ai envie que de t’aimer / Un orage emplit la vallée / Je t’ai faite à la taille de ma solitude / Le monde entier pour se cacher / Des jours des nuits pour se comprendre / Pour ne rien voir dans tes yeux / Que ce que je pense de toi / Et d’un monde à ton image / Et des jours et des nuits réglés par tes paupières /. C’est peut-être le message de papy et de mamy Barbie : A partir de cinquante ans, on a le physique que l’on mérite. Et dans toutes les rides d’expression, la part du sourire, de la joie, la générosité et de l’ouverture aux autres se lit sur tous les visages, que leurs traits soient harmonieux ou non. On se rend compte de plus en plus que les beautés froides atteignent vite leurs limites. D’ailleurs, dire à une femme qu’elle est belle et ne lui dire que cela peut même avoir quelque chose d’insultant.
Libérons Barbie !
Alors, existe-il une troisième voie entre la beauté physique et la beauté intérieure, que l’on pourrait nommer « beauté émotionnelle » ? [xii] Il semble difficile de se séparer ainsi de millénaires de culte de la beauté physique, et il ne serait pas humain de devenir insensible à sa force d’inspiration et à son pouvoir. Mais il est vrai que, face au stress et avec l’allongement de la vie, une quête de sens et d’harmonie invite chacune et chacun à mieux se connaître, et à croire en soi. Dans cette indissociabilité de la vie consciente et inconsciente, nous sommes invités à nous détacher de nos refoulements, pour libérer le cheminement dynamique de notre propre libido, c’est-à-dire de cet élan instinctif engendré par les pulsions sexuelles, et source de conflit avec les interdits moraux. Tiens, justement, en Arabie Saoudite, la police religieuse du comité la propagation de la vertu et la prévention du vice des émirats arabes unis a mis en garde les fidèles « Les poupées Barbies juives, avec leurs vêtements révélateurs, leurs postures et outils honteux sont un symbole de la décadence de l’occident perverti. Prenons garde à ces dangers et faisons bien attention… » Alors, quel plus bel anniversaire que celui d’un symbole de la libération et de l’émancipation de la femme ! Mais n’y aurait-il pas un pas supplémentaire à faire ? A quand une Barbie avec des rondeurs ? Mais après tout, faut-il la souhaiter, tant les jeunes américaines ressemblent de moins en moins à leur poupée préférée ? Car, après tout, il ne s’agit que d’un jouet… devenu il est vrai icône et fashion victim pour déjà trois générations de ses - très - jeunes mamans !
[i] Margueritte Duras, L’Amant, Editions de Minuit, 1984
[ii] Frédérique Gruyer, Du bonheur sexuel, Robert Laffont, 2000, version poche, page 23.
[iii] Pablo Neruda L’Epée de flammes, Gallimard, 1971
[iv] Paul-Laurent Assoun, Le pervers et la femme, Anthropos, Paris, 1989, p 90
[v] Groucho Marx Les Marx Brothers, Pensées, répliques et anecdotes. Le Cherche midi éditeur, 1995.
[vi] Woody Allen cité, page 59, par Jean-Loup Chiflet Wit Spirit, l’humour anglo saxon, Mots et Cie, 2000
[vii] Source : Cleveland Amory, Vanity Fair, 1926 / 1954, The Condé Nast Publications Inc.
[viii] Blanche Grunig, Les mots de la publicité, CNRS éditions, Paris,2000
[ix] Enquête INSERM sur la santé de 4500 élèves du second degré, Académie de Lille, 1991
[x] Source : Domoscope Unilevers, 2005.
[xi] Groucho Marx, Groucho and me, Arthaud, Paris, 1962 Page 237 et 238
[xii] Jean Claude Hagège, Vous êtes belle, Odile Jacob, 2006
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