La pré-rentrée
Un autre aventure en Segpa.
La République pédagogique.
Pour ma trente-sixième rentrée, je suis au trente-sixième dessous. Le temps passe et tout lasse sans doute. La réception de mon emploi du temps m'a mis dans un colère noire, nous en reparlerons peut-être si rien ne change … C'est pourtant avec curiosité et attention que je vais observer cette pré-rentrée qui sera dirigée par un nouveau principal, un homme précédé d'une solide réputation.
Tout commence naturellement par un long moment convivial. Le café est un incontournable dans une profession où c'est l'une des rares occasions qu'ont les adultes de se retrouver entre eux. Ensuite, un nouveau partenaire vient se mêler à cette collectivité pour l'instant heureuse : l'élève ! C'est à ce moment là que les difficultés arrivent …
Pour l'heure, tout va bien et le bruit des petites cuillères et des conversations est largement supportable. Finalement, toute la belle équipe se regroupe dans la salle de réunion pour l'ouverture officielle des réjouissances. Le nouveau venu prend la parole. Je ne suis pas surpris de le voir adopter une manière ferme et très décontractée qui démontre son expérience et sa personnalité.
« Je suis vraiment heureux de me retrouver ici et ce n'est pas une expression de pure forme. Il y a bien des raisons pour cela que je vais vous évoquer rapidement ... » Et le nouveau Principal rappelle des liens scolaires, affectifs et familiaux qui justifient ce préambule confirmé par un large sourire. Il est debout face à l'assemblée, sans micro et le silence se fait.
Le propos liminaire est court, précis et emporte l'adhésion. Il connaît son affaire et ne feint pas une satisfaction réelle. Il a déjà marqué des points. Il va se tirer à merveille de l'exercice imposé du tour de table. C'est lui qui égraine les noms, se permet quelques remarques personnelles, ne se départit pas de son sourire. Ce qui habituellement est un moment de bruit passe, ce matin, comme une lettre à la poste.
Les personnels de service ne se retrouvent pas, comme trop souvent, au dernier rang de ce long exercice, habituellement fastidieux. Le chef d'établissement insiste sur leur rôle éducatif, il les présente comme des partenaires à part entière de cette communauté. En agissant ainsi, il démontre la sincérité du propos. Ce n'est pas si fréquent. J'en suis ravi pour eux.
La présentation effectuée, suit habituellement la longue litanie des recommandations, des statistiques et des directives nationales. Cette fois, rien de tout ça. La parole est partagée, les professeurs la prennent pour présenter des actions en cours, des dispositifs en place pour l'aide et le soutien des élèves. C'est spontané, ça n'a manifestement pas été préparé. Je devine un changement de ton par rapport à la situation précédente que j'avais laissée en partant de cet établissement il y a trois ans.
Le principal écoute, attentif, il ne lui vient pas à l'esprit de causer en aparté avec son adjoint comme je l'ai souvent déploré en pareil cas. Il facilite l'initiative, on devine ici une République pédagogique, un espace de partage des idées. C'est si rare qu'il faut souligner cette belle métamorphose. On devine l'envie d'apporter des réponses aux difficultés qui n'étaient pas minces quand je suis parti : SOS méthode, Groupe Orientation, Aide aux devoirs, Soutien math … rien d'incroyablement nouveau mais une véritable appropriation du problème par les professeurs eux-mêmes.
Habituellement, nous subissons un discours fort indigeste. Seul le chef d'établissement assène des informations, donne des directives, reprend la parole du ministre. Cette fois, c'est une communication partagée. J'aime ce climat. Je demande à voir sa concrétisation, car il y a parfois de la distance entre les mots et les actes. Cependant, le silence lors de cette réunion est bien plus éloquent que de longs discours.
Puis le nouveau principal reprend la main sans se départir de son ton bonhomme. Il rompt nettement avec les habitudes en se démasquant. Il expose précisément et sans détours SES convictions. « Je vais présenter ma Politique en matière d'éducation, les principes qui détermineront mon action ! ». C'est direct et nul ne semble s'en offusquer. Les points sont simples :
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Accueillir : famille, élèves, professeurs partenaires, intervenants … Chacun dans le respect d'une procédure qui doit se passer en dehors de l'espace classe.
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Sécuriser : Exigence indispensable pour un bon fonctionnement de l'établissement.
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Travail d'équipe : Un esprit d'abord et des actions concrètes ensuite !
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Pédagogie : C'est la priorité de votre action dans l'adaptation au public réel. Il ne faut pas phantasmer un élève idéal, il faut trouver des solutions pour ceux qui sont en face de vous.
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Donner du sens à votre enseignement : C'est un préalable pour obtenir d'adhésion des élèves.
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La Réussite des élèves : Ils ne sont que de passage ici, ils ont à continuer une formation qui doit être favorisée par vos actions au quotidiens.
Bien sûr, il évoque l'Autorité en replaçant celle-ci dans les préalables évoqués. Pour lui, elle vient d'abord du travail pédagogique et de la bataille du sens. Elle est partagée et impose solidarité et confiance. Enfin elle exclut l'idée que des élèves ne sont pas à leur place dans le collège. L'exclusion n'est pas un moyen de régulation des conflits.
Comment ne pas adhérer ? Durant ce bref monologue, le sourire a disparu provisoirement de son visage. Il parlait de conviction. Il a tenu son public en haleine. Voilà du bel ouvrage ponctué par quelques références théoriques, par quelques exemples explicites, par des affirmations claires et des directions bien tracées. Je ne doute pas qu'il y aura des écarts entre ces positions de principe et le quotidien qui n'est pas toujours idyllique mais personne dans l'assistance n'a envie de penser que ce discours est factice. La conviction est en filigrane, elle soutient ce bref engagement personnel.
Je tire mon chapeau à cette prestation et à l'ensemble de cette matinée, habituellement si pénible. Il faut savoir reconnaître le talent quand il se manifeste. Moi qui aime à me gausser, j'en suis resté pour mes frais. Je ne vais pas tourner casaque et virer dans un comportement obséquieux. Il y aura certainement des points de désaccord. Qu'importe, voilà quelqu'un qui se présente en chef d'équipe, en exposant ses principes tout en jouant la carte du collectif. J'aime assez cette entrée en matière. La suite ? Ce sera évidemment bien d'autres histoires !
À suivrement vôtre.
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