La productivité des chercheurs
Lors de son discours devant les présidents d’université le 22 janvier, le président de la république nous a asséné ses approximations, affirmées comme d’habitude avec l’aisance du donneur de leçon. Certaines parties de son discours, qu’il voulait comme toujours provocateur, sont dangereuses pour l’avenir de la recherche. Il nous a affirmé en particulier "à argent dépensé égal, un chercheur français est 50% moins productif qu’un chercheur anglais".
On peut se demander comment le demi-Minc qui lui a glissé cette phrase est arrivé à ce chiffrage. On se souvient par exemple qu’avec la même aisance, notre président avait affirmé que les grutiers barcelonais travaillait 4000 heures par an, deux fois plus que les Marseillais et s’était fait décerner le mur du çon du canard enchaîné. Les professeurs de l’éducation nationale, les urgentistes, les magistrats, ... ont tous droit à leur chiffrage fantaisiste de la part de notre monarque.
D’où vient donc la quantification de la productivité des chercheurs ? Probablement du nombre d’articles publiés par les chercheurs anglais comparé aux nôtres. Si c’est cela qu’avait en tête l’éminence grise de N. Sarkozy, il avait tout a fait raison. Et c’est tant mieux.
Il y a une vingtaine d’année, j’étais doctorant et nous avions invité dans un notre groupe un chercheur réputé de Cambridge. A l’époque, avec mon directeur de thèse, nous travaillions sur les solutions d’une certaine classe d’équations différentielles. Notre invité passait son temps à essayer de comprendre nos résultats et trois jours après, il nous présentait un article entièrement écrit où il ne manquait que quelques figures. Jeune thésard que j’étais, j’étais un peu flatté d’avoir mon nom si rapidement sur un article et en espace d’un an, j’en ai publié trois avec ce chercheur. Superbe productivité ! Ces articles cependant étaient vides et ne contenaient pas de science en dehors de quelques banalités. Au bout d’un an, nous avons coupé les ponts avec notre chercheur anglais et sommes revenus à notre méthode habituelle de travail : ne publier un travail que quand il contient suffisamment de science. Je suis moins productif depuis, mais je n’ai plus jamais publié de baratins sans valeurs. Mon comportement n’a rien de particulier et n’est que le reflet du système de recherche où j’ai grandi. Il y a deux ans, Sauvons la Recherche s’est laissé aller au même jeu bibliométrique que nos politiciens, mais au lieu de comptabiliser le nombre total d’article paru, il n’a pris en compte que le nombre d’article paru dans la revue la plus prestigieuse de la physique PRL, où une très grande partie du baratin est filtré. Sans surprise, se sont alors la France et l’Allemagne qui sortent en tête, bien devant l’Angleterre et les Etats-Unis.
L’amis anglais dont j’ai parlé plus haut n’était pas un baratineur de naissance ; si il était devenu un Stakhanoviste de publication (il publiait une cinquantaine d’articles par an), c’est que des évaluations absurdes poussent les chercheurs anglais à ces dérives. Des politiciens pressés qui n’ont pas le temps de comprendre mais veulent voir des chiffres simplistes devant les yeux ont établi un système simple : le nombre de publications donne la valeur d’un chercheur. Comme disent nos amis d’outre manche : "Publish or Perish". Pour pouvoir satisfaire la ruée vers la publication, le nombre de revues scientifiques a explosé et une très grande majorité des articles ne contiennent que des redites d’autres articles paru ailleurs, ce qui en passant, permet d’augmenter leur propre nombre de citations . Les fraudes ont augmenté dans les même proportions et si le cas de Schoeun a été quelque peu médiatisé auprès du grand public, des dizaines de cas similaires se rencontrent de nos jours, tous pratiquement dans le monde anglo-saxon.
Je ne suis pas en train de dire que les chercheurs anglais sont tous des fraudeurs ou des baratineurs ou que la recherche anglaise est plus mauvaise ; ce sont les mêmes scientifiques de même qualité de part et d’autre de la manche. Mais le système de chiffrage mis en place oblige nos collègues britanniques à consacrer une partie non négligeable de leurs temps à faire de la communication. Ces dérives constituent un cas typique où la mise en place d’un instrument de mesure irréfléchi a déformé et défiguré l’objet qu’il était censé mesurer. Les misères de cette science bling-bling ont été très bien décrites par un des grands chercheurs anglais, Peter Lawrence, dans un article ("The mismeasurement of science" ) qui a eu un très grand retentissement dans le monde scientifique. Le modèle malheureusement se propage à nous via nos politiciens impatients et férus de chiffres.
Il y a moins d’un an encore, notre président avait les yeux de chimène pour le capitalisme anglais et leurs crédits hypothécaires, leurs retraites par capitalisation, leurs subprimes,... Pendant son voyage du mois de mars 2008 à Londre, il discourait devant Gordon Brown : "Vous [les anglais] êtes un modèle pour nous, nous allons tout copier sur vous ! " La crise passant par là, notre Capitaine, à l’occasion de son discours de Toulon, s’est transformé en pourfendeur du capitalisme Britannique. Aujourd’hui, sans remords et sans remise en cause de ses discours passés, il prêche le modèle anglais de la recherche. Devons nous avoir la patience de contempler ses errements et attendre son discours de correction ?
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