La profitabilité à tout prix
Aujourd’hui, lorsque vous rencontrez un quidam, plutôt que de lui demander l’heure, de lui parler du temps qu’il fait, voire même de ce qu’il fait, vous pourriez lui poser crûment la question. « Bonjour ! ça va ? Quelle est votre profitabilité ? »
Vous auriez un comportement très à la mode chez les financiers. Pour un État, cela signifie : « Êtes-vous AAA ? Mon cher ! » (S’il dit non, il n’est plus votre cher, c’est vous qui devenez très cher pour lui.)
De même avec les aides sociales. Celles-ci ne seront plus données de droit, conformément à l’état de droit social sur les bases du CNR, mais sont considérées comme un octroi, que l’on accorde, ou non, selon la profitabilité de l’individu.
Les droits sociaux ne seraient plus constitutifs des droits de l’homme, mais un droit relatif, selon le retour sur investissement que celui qui accorde le droit compte faire. Comme un banquier qui évalue le prêt à l’aune de la richesse de l’emprunteur. Oui, nous sommes bien gouvernés par des banquiers.
À l’aune de cette vision nouvelle de la société, il est normal qu’il y ait plus d’hôpitaux, mieux dotés, dans les zones riches que les zones pauvres. De même, il est inutile de gaspiller l’argent en construisant des routes, infrastructures, dans les zones pauvres, car les profits dégagés seront trop faibles. Quant aux écoles, il ne faut surtout pas favoriser ces zones, car cela serait former des gens non pas pour qu’ils créent du profit (comme producteurs et consommateurs), mais former des gens qui réfléchissent sur la société. Des futurs rebelles en somme.
Telle est la vision libérale. Quant à la démocratie, c’est la même chose. Que l’Allemagne soit un pays aux règles fortement démocratiques, avec une constitution garantissant les droits des citoyens est normal. Ils sont AAA !
Que les peuples de la Grèce, ou de l’Italie, veuille avoir un avis sur les mesures restrictives antisociales qui sont mises en place, il n’en est pas question. Ces pays, n’étant plus solvables, n’ont pas à avoir d’avis sur leur destin. Ils doivent obéir au créancier. Point final.
Comme les banques pratiquent l’usure sur ces pays, le Merkoland pratique la démocratie à géométrie variable. Et le but est toujours le même : rien ne sert d’aider une entité dont la profitabilité, donc le retour sur investissement, sera trop faible.
Aujourd’hui les pauvres meurent dans les rues et les associations qui pourraient les aider voient leurs budgets anéantis. Les pays pauvres sont au bord du gouffre, et on leur demande des efforts impossibles à tenir. La logique est la même.
Le système capitaliste libéral est en train de devenir un système total-libéral. Tout ce qui n’entre pas dans la chaîne de la profitabilité doit être anéanti.
Le malade doit payer sa maladie (dont il n’est pas responsable, rappelons le), le retraité est indésirable, le pauvre doit être taxé (de 5,5 à 7 % : ce n’est qu’un début), le chômeur en fin de droit est soumis au service du travail obligatoire. Les victimes de la crise sont culpabilisées, alors que les vrais responsables, conscients de ce qu’ils font, continuent de maximiser leurs gains.
Cette négation implicite des droits de l’homme, car le droit à une vie digne est le premier droit de l’homme, sans laquelle son libre-arbitre de citoyen n’a pas de sens et ne peut pas s’exprimer, ce remplacement des camps (qui existent cependant pour les sans-papiers (camps de rétention administrative, quel joli mot !)) par la rue ne doit pas nous cacher en quoi cette société contient en germe ce qui a déjà été le pire de l’Europe. À partir du moment où la vie n’a pas de valeur en soi, mais est évaluée par l’économie, le pauvre ne valant rien, c’est bien un élément du totalitarisme qui se met en place. Lorsque par ailleurs la démocratie est systématiquement bafouée, que ce soit par la commission ou les gouvernements eux-mêmes, nous pouvons dire que nous entrons dans une autre phase, dans une autre structure étatique, ou pan-étatique, qui ressemble à un fascisme soft. On ne tue pas les indésirables, on les laisse simplement mourir. On n’empêche pas l’expression, on la rend inutile.
En ce sens, le mouvement des indignés constitue une sorte de rappel. Nous avons encore des droits, il faut nous en servir tant que tout n’aura pas été détruit. C’est peut-être même notre dernière chance avant le grand effondrement. Que le peuple se soulève contre l’oligarchie, la ploutocratie, qui se transforme en thanatocratie.
Rien ne peut empêcher un peuple qui veut vraiment se libérer de le faire. Reste à savoir s’il le veut encore, ou s’il préfère aimer le censeur* jusqu’à la mort.
La passion de liberté l’emportera-t-elle sur l’amour à mort du censeur ?
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* : pourquoi l’amour du censeur agit-elle contre soi ? Je crois que c’est un élément de la condition humaine, qui fait que l’on se trouve rassuré par un comportement aliéné. J’aime celui qui me nuit car en l’aimant, je pense diminuer sa haine, ses reproches, ou au moins je crois en atténuer la portée. Si je suis gentil avec le méchant, il aura de la compassion et sera moins méchant. Et pour être vraiment gentil avec lui, il faut l’aimer. Sauf que le méchant, étant méchant, n’a que faire de cette gentillesse. La seule chose qu’il comprend, c’est la force. La lâcheté, c’est être fort avec les faibles et faible avec les forts, le courage c’est l’inverse. Mais il faut davantage d’énergie pour cela, de remise en question et d’acceptation de l’incertitude (l’issue de la lutte est incertaine). En un sens, l’amour du censeur est une situation plus rassurante et confortable, jusqu’au moment de la désillusion. Mais bien souvent il est trop tard. C’est une des raisons qui à mes yeux fait que les pauvres votent Sarkozy.
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