La question identitaire comme horizon multiple et essentiel à notre époque

Ces temps-ci, les réflexes identitaires, assortis de questions identitaires, hantent les préoccupations de bien des contemporains qui, à titre personnel ou collectif, se sont mis dans la tête que l’identité est une valeur importante, déterminante, fournissant un sens à l’action et à la conscience. Qui suis-je et comment puis-je l’affirmer, le montrer, le revendiquer, sur la base de ce que je sais de mon identité et de la valeur que je lui attribue ? Voilà une option offensive. L’autre option, défensive étant tout aussi évidente. L’altérité menace mon identité, comment lutter contre cette attaque et me préserver d’une différence mettant en péril le cours assuré de mon être ? Voilà une interrogation d’actualité. Entre ces luttes identitaires, quelques interstices laissent la place au doute et à l’agnosticisme qui, comme en religion, s’applique à l’identité au point qu’on se demande si l’identité n’est pas devenue l’objet d’un culte et d’une croyance. Je crois en une cause ou en une personne car elle défend les valeurs identitaires dont je me suis fait également le héraut. Quant aux agnostiques, ils sont en quête d’identité et se demandent qui ils sont, dans des contextes et des époques déterminées. Les observateurs parlent alors de crise identitaire et c’est un phénomène d’actualité. Mais pas nouveau. La vie moderne a déraciné d’un environnement leur conférant identité des tas de gens, et plus particulièrement les paysans. Le phénomène est bien connu et, semble-t-il, accompli chez nous, constaté du reste par de Gaulle qui en a pris acte, sachant que le processus ne pouvait être stoppé ; alors qu’il prend son essor dans la plupart des pays émergents.
Si l’on retourne trente ou quarante ans en arrière, les questions d’identité étaient moins présentes, excepté quelques revendications régionalistes. Le monde misait sur la nouveauté, la subversion, les avant-gardes, le métissage, le changement, l’avenir, la rupture avec les traditions du passé. Mais, maintenant, une sorte de crise identitaire semble gagner les sociétés à tous les échelons. Qui suis-je ? Voilà une question posée en filigrane par les nations, les entreprises, les associations, les communautés, les villes et les individus. Nous sommes parvenus aux frontières du narcissisme universel, phénomène du reste pointé par Lasch dans la société américaine des années 1980. Disons un travers observé sur les élites et maintenant sur les masses. Car le souci de l’identité ne doit pas être pris négativement. C’est même une nécessité que de savoir se représenter, de se connaître, pour agir et s’orienter dans l’existence. C’est l’obsession de l’identité qui pose problème et ce sont les crises d’identité qui troublent les individus et, notamment, ceux ayant la charge de représenter des ensembles plus ou moins vastes, nation, cités, institutions...
Le phénomène de la crise d’identité est devenu une tendance forte dans l’actualité. Nombre d’intellectuels, pas tous mélancoliques, ont récemment évoqué une Europe à la recherche de son identité. Alors que les origines chrétiennes de l’Occident ont suscité nombre de débats politiques, mettant au centre du questionnement une mention de ces origines religieuses dans les textes institutionnels. Le 19/02/08, Le Monde titrait sur la crise d’identité et les moyens de la justice financière, faisant notamment état des desseins de la ministre Dati. Ces crises sont plus ou moins récentes. En 2001, un article consacré aux projets urbains des villes européennes faisait état de cités en quête d’une identité, de valeurs, de questionnements sur la fonctionnalité urbaine et les architectures déployées. Actuellement, les villes sont en quête d’une identité vertement durable, cherchant leur agenda 21. Brice Hortefeux n’est-il pas ministre incluant dans son intitulé l’Identité nationale, suite aux propositions énoncées par le candidat Sarkozy et qui ont fait débat ? En vérité, les historiens le savent, la question nationale a toujours été présente, parfois avec passion, voir le tournant des années 1900, parfois en sourdine, comme dans les années 1970 où l’on rêvait d’un monde nouveau. Alors que la guerre froide opposait deux blocs campant sur des positions définies. Mais, maintenant, en Espagne (voir les débats pour les législatives), en Russie, au Kosovo, en Serbie ou ailleurs, les nations reviennent sur le devant de la scène avec selon les lieux des crispations nationalistes.
Une digression avec l’immunologie. Le système immunitaire sait distinguer les cellules de l’organisme des envahisseurs exogènes. Selon la thèse autopoïétique, la plus certaine, s’il en est ainsi c’est parce que le système génère des processus opérationnellement clos qui maintiennent l’intégrité et la stabilité du vivant. Cette thèse a permis d’échapper à des visions naïves de la mécanique vivante, mais se trouve limitée en ne sachant pas séparer un volet formel et un aspect dynamique hérité de la cybernétique. Autrement dit, l’homéostasie et l’identité. Il y a fort à parier que l’organisme intègre des éléments qui n’appartiennent pas à son identité, mais qui ne représentent pas de menace, alors qu’il se défend contre des cellules issues de son identité, mais qui ont échappé au contrôle (les souches cancérigènes). Digression achevée.
L’identité d’un groupe, d’une communauté, d’une nation, revêt des aspects multiples, le premier étant de faire fonctionner un ensemble de manière cohérente, en jouant sur la poursuite d’un même objectif par chacune des parties, des membres. C’est le cas d’un Etat nation ou d’une entreprise. Quand l’identité s’allie avec la puissance, elle sert des opérations offensives sur des différences, ou alors des opérations défensives. Les cas sont si triviaux qu’aucune référence historique ne sera citée. Mais, au présent, ces mécanismes d’offensives et de défenses identitaires sont largement présents et, semble-t-il, se sont amplifiés ces deux dernières décennies. Avec le paroxysme du génocide rwandais qui paraît être d’un autre âge, celui d’avant l’Antiquité. L’identité est une valeur qui s’instrumentalise assez facilement, et permet de lancer les masses dans des opérations plus ou moins coordonnées. Nous sommes ici dans la sphère du politique, du conflit, d’un pseudo-religieux par lequel l’identité devient un objet de culte et dévotion servant les intérêts de ceux qui savent en tirer profit. Bref, une identité aussi dévoyée que ne le fut la religion au temps des guerres de religions.
Une identité revêt aussi un aspect plus spirituel, cognitif, affectif, culturel, esthétique. Le film de Dany Boon est parfaitement emblématique de ce volet acceptable pour ne pas dire profitable, au sens de partage et d’éthique, de l’affirmation non agressive d’une identité. Une manière de dire qui on est et d’en tirer quelque fierté, au risque de virer au narcissisme. C’est valable pour une population régionale, le Nord en l’occurrence, mais on peut aussi être fier d’être Niçois, Marseillais, Breton, amateur de métal, pêcheur, modéliste ou amateur de vins classés. Les identités servent à donner du sens, fonctionnant dans un dispositif cognitif de reconnaissance, et permettant une orientation dans l’existence. Une identité se travaille, se forge, s’apprécie, possède une authentique saveur. Elle peut se partager. Elle peut aussi être un refuge dans un monde changeant, devenant incertain, déstabilisé par une profusion d’images et des comportements intempestifs exercés parfois pour le plaisir de nuire et, de ce fait, se donner une efficience quand on est dépourvu de contenu. Mais c’est de bonne guerre, un peu de provoc ne nuit pas à la société. Chacun ses moyens pour se donner une existence, car telle est la destinée de l’homme, se donner une existence en plus de la vie qui lui a été donnée par la Nature !
L’identité détermine la conscience tout en étant le produit de cette conscience, dans un processus dialectique assez évident. A notre époque où l’idéologie, le progrès, l’espérance n’ont plus trop la cote, la valeur identité, émargeant sur l’esthétique, le culturel, le religieux, le sens, prend un ascendant dont les avantages sont avérés, mais limités, car les identités engendrent des conflits, des troubles, tout en fermant les individus et les systèmes qui y trouvent quelque sécurisation bien dérisoire eu égard à la magie de la différence qui marque la puissance du temps constructeur et des transformations d’une psyché à la conscience s’enrichissant d’altérité.
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