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Accueil du site > Actualités > Société > La réforme de la carte scolaire : la grande anarque !

La réforme de la carte scolaire : la grande anarque !

Reflet de la société française, l’école en reproduit les clivages. A la fois inégalités sociales, mais aussi fracture ethnique. C’est le constat alarmant d’une politique éducative élitiste qui très tôt devient ségrégative. La réforme de la carte scolaire en illustre le parfait exemple. Créée en 1963 pour gérer l’affectation des élèves, le dispositif de la carte scolaire s’est vu attribuer une seconde mission : garantir la diversité sociale à l’école. Loin d’être gagné. Présentée comme une mesure de justice sociale, la libéralisation de la carte scolaire mis en pratique depuis 2007 n’a pas eu les effets escomptés en termes de diversité sociale. Au contraire, et de façon perverse, elle a plutôt bénéficié aux élèves de milieux favorisés et aggravé les inégalités entre les différents collèges et lycées. Sans oublier d’ailleurs, en bout de course, que la violence scolaire, l’illettrisme ou les discriminations à l’école ont été accentués, dans les quartiers difficiles, par la faiblesse de cette mixité sociale. Dans un pays où la fracture sociale et la ghettoïsation progressent, des mesures d'urgence s'imposent donc pour une meilleure équité dans le système éducatif.

Décryptage de la réforme de la carte scolaire

Promesse de campagne de Nicolas Sarkozy, l’assouplissement de la carte scolaire suscitait a priori de grands espoirs : « Une manière de favoriser l’égalité des chances et la diversité sociale »,affirmait le ministère de l’Education nationale. En clair ? Les élèves sont toujours affectés à l’établissement de leur quartier, mais peuvent obtenir une dérogation, notamment s’ils sont boursiers. On offrait ainsi la possibilité aux familles de choisir librement l’établissement de leurs enfants.

Mais qu’en est-il vraiment ? Quel bilan retenir de cette réforme ?

Une réforme hypocrite en trompe-l’oeil

L’assouplissement de la carte scolaire concerne tous les écoliers, des collégiens aux lycéens. Sur le papier, cette réforme devait alors permettre aux boursiers d’accéder aux bons établissements. Insidieusement, cette réforme met les établissements en concurrence. De fait, tous les bilans disponibles depuis son application – officiels comme universitaires – en sont arrivés à une conclusion pessimiste et le bilan est de loin déplorable.

« Ni les effectifs ni la composition des collèges et lycées n'ont été bouleversés au niveau national", soutiennent Gabrielle Fack et Julien Grenet, chercheurs à l'Ecole d'économie de Paris et auteurs d'un "Rapport d'évaluation de l'assouplissement de la carte scolaire » publié en janvier 2012.

En juin 2012, un rapport d’information du Sénat regrettait « l’accentuation d’une ségrégation scolaire déjà sédimentée ».

Un autre rapport, commandé en 2012 par Vincent Peillon, et publié récemment sonne le glas et dresse également un bilan sévère de la mesure d'assouplissement de la carte scolaire. L’Inspection générale de l’éducation nationale (IGEN) résume ainsi la situation dans un document sur les « conséquences des mesures d'assouplissement de la carte scolaire après 2007 ».

« Si en 2007 le gouvernement a décidé, dans le cadre du droit existant, de favoriser un régime dérogatoire à une sectorisation scolaire qui était accusée de s'opposer à cet équilibre social, force est de constater que cette politique apparaît à l'analyse a posteriori comme n'ayant pas porté ses fruits au regard de l'équilibre social, et ayant même souvent eu l'effet inverse, tout en installant dans une partie de la population une défiance plus forte vis-à-vis de la sectorisation, défiance qui a atteint un point de non-retour. »

Le rapport conclut également que la réforme de 2007 a surtout profité aux milieux favorisés. Entre 2006 et 2011, les demandes de dérogation sont passées de 6 à 11%. Mais à ce jour, seuls 4% des élèves boursiers demandent à intégrer un collège hors de leur secteur. Or on sait que les classes populaires ont plus de mal à demander des dérogations. Et rien n’a été fait pour les y inciter ». Elles ne maîtrisent pas non plus les stratégies d'évitement scolaire.

Carte scolaire : la réforme a privilégié les plus privilégiés

Une polarisation inquiétante s’esr renforcée aux deux extrémités de la hiérarchie des établissements : les plus convoités d’un côté et les plus ghettoïsés de l’autre. D’un côté des collèges désertés, où restent ceux qui n’ont pas pu partir ; de l’autre des établissements où s’entassent les meilleurs élèves, souvent issus de milieux aisés. Un rapport de la Cour des Comptes, publié en 2009, relatif à la politique urbaine, indiquait déjà que sur un total de 254 collèges « Ambition réussite », les plus populaires, 186 avaient perdu des élèves. Une enquête menée en 2010 du Syndicat national des personnels de direction de l’éducation nationale (SNPDEN), menée auprès de 2 758 chefs d’établissement, a confirmé ce phénomène désastreux. Les établissements de zone d’éducation prioritaire (ZEP) ont été tout sauf prioritaires. Globalement, la majorité des établissements des ZEP ont pâti cruellement de la réforme. Dans ces établissements mal considérés, les équipes pédagogiques « expriment un double sentiment, d’abandon par les pouvoirs publics et d’impuissance devant l’évitement de leurs collèges. Cercle vicieux, « l’érosion massive des effectifs » dans les collèges les plus évités « conduit ensuite à des baisses des dotations aux établissements concernés de l’Etat et des conseils généraux, puisque le montant de celles-ci dépend du nombre d’élèves scolarisés ». Et il faut bien le dire, les stratégies de contournement sont basées sur des critères ethniques plus encore que sociaux. Dans ces conditions, perçus comme des « ghettos », certains établissements sont tout allègrement fuis. Les familles les plus favorisées continuent à maîtriser davantage les moyens d’éviter la carte scolaire et à avoir recours au privé. Elles invoquent des motifs de dérogation tels que le « choix d’une langue rare », le « rapprochement de fratrie », « des horaires aménagés pour la musique ou le sport » etc. Le résultat de la plus grande liberté accordée aux familles a donc débouché sur la prolétarisation des collèges les plus populaires. La libéralisation de la carte scolaire a tout simplement ghettoïsé davantage une partie des collèges les plus défavorisés. Face à l’élite qui fréquente les grandes écoles et les formations universitaires « prestigieuses », et qui profitent pleinement du système éducatif hypersélectif, il existe une jeunesse exclue issue des banlieues. Il y a bien une jeunesse des classes moyennes qui tend à prendre l’ascendant mais a peur de subir de plein fouet le déclassement social et de se retrouver exclue à son tour. Dans « Ecole : les pièges de la concurrence. Comprendre le déclin de l’école française », les sociologues Sylvain Broccolichi, Choukri Ben Ayed et Danièle Trancart (éd. La Découverte) expliquent que les élèves doivent faire face à un sentiment de déclassement scolaire devant l’élévation des exigences scolaires. Georges Felouzis, sociologue et co-auteur de « L’Apartheid urbain » (éd. Seuil) dénonce, quant à lui, « le mythe du collège unique, où tous les établissements se vaudraient ». Comme le souligne avec raison l’auteur, il en est rien. Faute d’obtenir l’établissement de leur choix, du fait de la limite des places disponibles, de plus en plus de familles se tournent vers le privé. En trois ans de réforme, les demandes ont grimpé de 9,5%, selon l’enquête du Snpden, principal syndicat des chefs d’établissements. Le rapport note ainsi un embourgeoisement du privé.

Comment inverser la tendance ? Comment opérer un nouvelle équilibrage ?

Les solutions

Les différents rapports sur le sujet sont un signal d'alarme mais aussi, me semble-t-il l'amorce de solutions. De fait, l’assouplissement de la carte scolaire a réduit la mixité sociale à l’école. Il existe pourtant des solutions efficaces pour la renforcer. En ce sens, une régulation de la part des pouvoirs publics est indispensable. Chacun est libre de choisir son école, mais à l’image de la Grande-Bretagne, les établissements scolaires doivent respecter des quotas : un tiers de bons élèves, un tiers d’élèves moyens, et un tiers d’élèves en difficulté. Une politique assez efficace et qui a fait ses preuves. On peut aussi responsabiliser les chefs d’établissements, afin qu’ils se concertent et équilibrent leurs populations. Dans cette perspective, les chefs d’établissement qui amélioreraient la mixité sociale et scolaire bénéficieraient légitimement de ressources supplémentaires. Les autres seraient pénalisés. Il faut faire de la mixité sociale un principe fondateur de l'Ecole Républicaine. La mixité scolaire doit être abordée comme une ressource et elle nécessite également un vrai travail pédagogique mais aussi et surtout des enseignants compétents qui relèvent le défi de conjuguer mixité sociale et excellence de l'éducation. De nombreux travaux le montrent : les résultats scolaires sont meilleurs pour tous lorsqu’il y a une vraie diversité. Pour preuve, on peut citer l’Inspection générale de l’éducation nationale qui avance que quand la mixité sociale est favorisée, « le niveau moyen des élèves est meilleur et les écarts entre les bons et les faibles diminuent ».

Aussi, lutter contre l’échec scolaire c’est aussi renforcer la qualité du cadre et des conditions d’enseignement dans les lieux qui accueillent les élèves les plus exposés au décrochage scolaire. Il est évident que cela à un coût financier mais qui doit être perçu avant tout comme un pari sur l'avenir. Les préconisations de l’OCDE d'ailleurs vont vers la nécessité d'investissements plus importants pour les établissements défavorisés afin d’accroitre leurs performances et de garantir une plus grande équité. 

Enfin, et de manière déterminante, il faut développer une vision systémique des problèmes et ne pas négliger les politiques structurelles. De fait, la faiblesse de la mixité sociale dans les établissements scolaires est indiscutablement liée à la ségrégation urbaine et en particulier la concentration des difficultés sociales dans les banlieues. Mener une vraie politique du logement social, y compris dans les beaux quartiers et les communes aisées, demeure une priorité sociale mais aussi scolaire dont il n’est pas possible de faire l’économie. La réussite scolaire a un impact économique et social positif, ne l'oublions jamais !

Alors que longtemps l'école a réduit les inégalités, aujourd'hui le système éducatif français les accroît. Alors même qu’on voit bien qu’il est en panne, le système éducatif, néanmoins, reste probablement le meilleur outil d’intégration et les pouvoirs publics seraient bien inspirés d'en prendre toute la mesure. En affaiblissant la mixité sociale dans les établissements, l’assouplissement de la carte scolaire a servi de révélateur de toutes les inégalités dans le système scolaire français. On ne peut que déplorer l’incapacité de l’école républicaine à assurer l’égalité des chances. Reste que la problématique de la carte scolaire et ses enjeux de mixité sociale, relève à la fois de l'Éducation nationale et de la politique de la ville est une réalité. Face à ce constat, il faut nécessairement investir, de manière ambitieuse et cohérente, dans une vraie politique de la ville et du logement, dans le souci de favoriser l’émergence d’une véritable école porteuse d’égalité des chances.


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4 réactions à cet article    


  • Alpo47 Alpo47 24 août 2013 09:45

    Diversité sociale à l’école ? D’accord, cela parait sensé et juste lorsqu’on l’exprime ainsi.

    Imagnions un couple de cadres ou professions libérales, donc avec un bon niveau d’éducation et qui se trouve à proximité d’écoles ayant un gros pourcentage « d’enfants difficiles » ... Il devrait donc, en accord avec ces valeurs de diversification et justice sociale, « sacrifier » l’avenir de ses enfants en les envoyant dans des écoles dont le niveau est effroyablement bas ?
    Si vous en trouvez prêts à faire ce sacrifice, n’hésitez pas à louer leur esprit républicain. Dans le vrai monde, les parents font de leur mieux pour que leurs enfants réussissent. Donc, choisissent la filière qui sera la meileure pour eux.

    Non, la bonne action consiste encore et toujours à renforcer l’encadrement éducatif dans ces écoles.


    • soi même 24 août 2013 23:55

      Il serait temps de réhabilité l’enseignement privé de son image d’Épinal, elle est beaucoup plus humaine et solidaire que le public !


      • jaja jaja 25 août 2013 19:54

        Jusqu’à quand les immondices racistes de cette salope ?


      • smilodon smilodon 25 août 2013 21:35

        La télé c’est la télé !.. Les grandes idées de nos gouvernants, les grandes idées !....La délinquance qui se résorbera d’elle-même grâce à « christiane », ok !.... Tout ça, c’est ce qu’on « voudrait » !... Et c’est BEAU !..... Ce qui est moins « beau », plus discret, moins « médiatique », c’est ce que chacun fait pour lui-même !... Chuuuut !... Ca passe pas à la télé, ça serait « mal vu » !.. Ca se dit pas dans les journaux, ça serait « mal lu » !!.. Ca se « murmure » tranquillement, à l’abri de la télé, des journaux, et même, faudrait éviter de l’écrire sur internet !... Mais bon..J’ose !... Ben oui, forcément, n’importe quel parent digne de ce nom, et avec 3 sous en poche, son môme, il le met dans une école « hors banlieues » !... CHUT !... Faut pas le dire !.. Mais si on veut que son « môme » apprenne un tant soit peu............On le met dans une « bonne » école !.... Franchement, dans une classe de 36 nationalités pour 40 mômes, le sien (de môme), il peut espérer apprendre QUOI ??!!... Question trop difficile pour nos « élus/élites » !.. Mais tellement simple pour n’importe quel parent/électeur....De base !..... Lequel de nous ne veut pas mieux pour son môme que pour lui-même ???........ Oublions nos « élites/élus » !!.. Ne nous inquiétons pas pour leurs enfants.... Ils sont dans de bonnes écoles !... Pas en « Z.E.P » !...Rassurez-vous !.... Comme eux, sin on peut, nos mômes, élevons-les autant qu’on pourra !... Au moins pour nous venger !...Adishatz...

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Mounir Belkouch

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