La République aux premières loges de la crise : le risque d’un « Dégage ! » à la française
La France tente encore de revendiquer son « modèle Républicain », les frontons des mairies affichant « Liberté, Egalité, Fraternité » comme principes fondateurs. Les millions de citoyens « vivant » au seuil de pauvreté, les records de suicides, la privation du droit constitutionnel à l’emploi ou au logement, voilà qui n’en finit plus de mettre ces valeurs sur la sellette. Il y a-t-il désormais un pays « théorique » ou imaginaire, face à un pays réel ?
La démocratie, bien que succombant au règne de l’image et de la « com », lavant désormais son linge sale dans le confessionnal télévisuel, se trouve elle aussi plus interrogée que jamais auparavant dans ce qu’elle est supposée avoir de « représentation », sans qu’il ne s’agisse de politique spectacle ? Les plus optimistes verront dans le vote protestataire en pleine croissance sur les deux extrêmes de l’échiquier un signe de bonne santé démocratique. Pourtant, et outre un président quasi « mort-né » dans sa légitimité comme nul autre auparavant, les murs institutionnels et constitutionnels semblent se fissurer de partout. La classe politique globalement décrédibilisée, souvent à tort, fait tout son possible pour maintenir la « maison commune » à bout de bras. Difficile de nier la dichotomie qui marque la France actuelle, scindée entre une approche idéale et nostalgique dénuée de toute réalité, et ce qu’elle est concrètement devenue.
Le président qu’elle aura portée à sa tête ne l’incarne t’il pas finalement dans son indécision face à l’avenir et sa résistance à s’adapter à un nouveau monde ? Certains en appellent légitimement à un langage de vérité, d’autres à l’union nationale, pour se réchauffer une dernière fois avant le grand saut dans la mutation inévitable ?
La République et la Démocratie sont les premières à être frappées par la crise. Le temps n’est plus aux idéologies. Quelle que soit la majorité qui dirige la nation, le principe de réalité doit redevenir le socle de la gouvernance.
Que la souffrance sociale de masse recouvre une urgence ? Selon une enquête récente d’Emmaüs France, 44% de la population craint de tomber dans la pauvreté. L’Observatoire des Inégalités compte 8,5 millions de pauvres (plus de 13% de la population). Toutes les 50 minutes un suicide est constaté selon le Haut Comité pour la Santé Publique et confirmé par l’INSERM, chose qui recouvre environ 12.000 suicides par an. Selon l’institut National de Veille Sanitaire, 8% de la population est frappé de dépression (l’OMS y voit la deuxième affection au monde pour 2020). Enfin, l’Agence Nationale de Lutte contre l’Illettrisme (ANLCI) compte 3,2 millions de cas au pays de Voltaire et d’Hugo. Des chiffres ? Le pays réel.
Comment ne pas s’interroger plus largement sur notre « modèle » ? Les conférences de presse élyséennes paraissent se situer encore à l’heure des rustines, une démarche plus ou moins suivie depuis plus de 30 ans. Certes, ayons l’honnêteté de reconnaître que toutes les questions furent enfin véritablement mises sur la table durant la précédente présidence (Retraites, service minimum, dette, bataillons ou doublons du Mammouth de la Fonction Publique, etc…). Bien sûr, les résidus idéologiques en vigueur de part et d’autre n’auront pas été sans prolonger la dégradation de la situation économique et sociale, au gré des « cibles » électorales. La raison et le pragmatisme parviendront-ils à détrôner les maîtres des éléments de langage permettant de contourner le réel ? Le retour du peuple pourrait bien sonner le glas des « années folles » de l’endettement à outrance et des lendemains magiques qui ne pouvaient que finir par chanter. Alors que bien des pays ont sifflés la fin de la récréation conceptuelle du verbiage politicien, la France semble vouloir encore jouer sous le préau des illusions et rêves du grand soir.
A l’occasion, on peut alors y croiser un Jaurès ou d’Artagnan prétendant changer le monde au profit de la France, ou, une pâle copie de Jeanne d’Arc assurant de sauver le pays en quittant la planète pour vivre en autarcie dans un monde parallèle. Sans viser ici les personnes, la médiatisation suscitant des « rôles » qui échappent à ceux qui les endossent, la cinquième puissance du monde peut-elle persister encore à débattre d’un pays théorique toujours plus démenti au pied du réel ? La démocratie bavarde ne gagnerait-elle pas à passer à l’action pour sauver ou rétablir quelques fondamentaux ? Le temps serait venu du parler vrai, du bon sens.
Les échauffourées constatées à l’occasion d’une remise de prix à la France qui gagne, en l’occurrence sur les stades de football, traduisent aussi l’incapacité de ce pays à se réjouir de lui-même. La finance outrancière et repue d’une certaine minorité excessivement privilégiée appelant une majorité de français vivant modestement à’ l’effort, relève de la pornographie sociale la plus exécrable. Les hordes de sauvageons venus voler autour du Trocadéro ou sur les Champs Elysées tout ce que des footeux excessivement rémunérés peuvent s’offrir à volonté, portent les ferments d’une guerre civile que l’on ne peut jamais exclure. Que ce passera t-il si les 8 à 10 millions de citoyens plongés dans la précarité malgré tant d’efforts pour s’en sortir (le cas de la majorité selon les plus récentes enquêtes sur les « assistés » supposés) perdent aussi patience et respect, notamment à l’égard d’une classe ou caste dirigeante se votant une « moralisation » en urgence afin de rendre moins nauséabond le règne croissant de la cupidité ? Alors que la France populaire converge avec la « France profonde » dans un soulèvement certain, nier un état d’insurrection sous jacent relève de l’aveuglement.
Quitte à être contredite par le vécu d’une écrasante majorité de citoyens, la France théorique prétend donc s’incarner encore dans le triptyque « Liberté, Egalité, Fraternité ». Ces trois couleurs locales d’une France hâtivement vendue comme « multiculturelle » semblent faner dangereusement. Derrière cet appel majoritaire à une « union nationale » comment ne pas ressentir un pays qui se cherche, qui ne se reconnaît plus ?
En parallèle du communautarisme culturel ou originaire, le constat est bien là d’un « communautarisme social ». Malmener des repères fondamentaux (le mariage, l’Homme et la Femme, le Vivant, les racines historiques…) dans une telle dépression collective aggrave plus encore l’état conflictuel de la population.
La liberté ? Pour qui et laquelle ! Les chiffres relatifs à la pauvreté matérielle de tous les survivants de la République autorisent-ils à croire à un libre accès de tous à la Culture ? Les tarifs réduits ou jours si rares de gratuité dans l’entrée aux Musées ou autres lieux culturels restent dérisoires. On ne s’enrichit jamais « au rabais ». Ces « soldes » déconsidèrent le public concerné dans l’application même de ces facilités accordées, par les représentants d’une élite d’autant plus revendiquée. Ainsi, il y a la file d’attente charitable des pauvres, et les autres. Il y a les inclus et les exclus.
La liberté de mouvement ? Même si les pauvres et précaires constituent la « famille nombreuse » la plus massive, prendre le train ou l’avion pour retourner quelques fois vers les racines familiales relève encore pour eux de l’impossible. La « mixité sociale » ne recouvre t’elle pas le summum éhonté d’une société à deux vitesses ? Chacun sait qui seront les humiliés. L’égalité ? La liberté d’être de seconde zone ?
La nation définit ainsi l’espace de vie des plus pauvres, celui que métro et RER recouvrent, et les trains bas de gamme banlieusards, histoire que les miséreux retournent plus vite dans les ghettos qu’on leur destine. Paris se vide encore et toujours de ses pauvres. La bobologie n’entendrait pas se salir les neurones au contact du bas peuple inculte. ? Les pauvres ont souvent les cheveux gris de souffrance, voilà qui jurerait face aux teintures capillaires bleues-grises parfaites de la petite bourgeoisie de la rive Gauche.
Dans notre prétendue République, la Pauvreté reste une faute, dans le déni des droits constitutionnels à un emploi et à un toit. Si les nouvelles technologies ont réduit drastiquement les besoins en ressources humaines, les pauvres n’avaient qu’à s’y préparer ! Les chômeurs sont des feignants, ils pourraient au moins s’inventer un travail ! Au détriment de la réalité vécue, notre pays affiche un modèle d’éthique, celui d’une France Théorique, Droit de l’Hommiste, idéale. Gouverner par l’imaginaire ? Ou par les « sujets de société » promus au statut de plus en plus aléatoire de « progrès ».
La liberté de pensée ? Les médias et journaux (même gratuits !) appartiennent néanmoins à quelques amis du Pouvoir, celui-là et ceux d’avant. Chacun sait la « continuité de nos Institutions », y compris celle des relais de reproduction sociale. Les mots sont souvent plus galants que les choses, réelles.
On se targue donc de « l’égalité » et il serait indigne de s’interroger sur la « légalité » de notre modèle. Les chiffres n’ont qu’à se taire. Une République théorique vaudrait mieux que tous les autres régimes ? L’égalité serait dans le « droit » de survivre avec l’équivalent mensuel d’un bon resto de classe moyenne. Peut-on parler d’égalité alors que l’ascenseur social s’est arrêté de fonctionner depuis belles lurettes ? De générations en générations, chacun reste à son étage (on parlait jadis de classes). Outre quelques rares ascensions de personnalités alibis (l’exemple du trop tôt disparu parce que trop honnête Pierre Bérégovoy, sans diplôme réel et devenu Premier Ministre) permettant quelques théories fumeuses de système méritocratique, le constat inégalitaire demeure. La pauvreté matérielle ou culturelle se transmet.
L’égalité « démocratique » du vote ? Un vote citoyen conjoint au maintien d’une majorité dans une sous culture garde t’il quelque véracité ou fiabilité aux résultats des scrutins ? Les conseillers en communication trans-partisans ne se jouent-ils pas de la part du « troupeau » la moins clairvoyante pour orienter des élections ? L’égalité, légalité, telle est la nouvelle question Shakespearienne.
Face aux manipulations de toutes sortes, médiatiques ou stratégiques, y a-t-il une réelle égalité des citoyens lors du vote ? Le « moins pire » des systèmes le reste t’il, démocratique ? Avec le risque d‘un « Dégage ! » qui s’accroît, en France comme ailleurs.
Pour revenir à des choses plus humaines encore, plus quotidiennes et sensées attester de la qualité de notre modèle de « vivre ensemble » (chacun dans ses quartiers ?), l’on devine l’égalité hypocrite des uns et des autres dans l’accès à une vie sentimentale et conjugale. Un détail ? La solitude est régulièrement élevée en cause nationale, et le taux national de suicide marque donc par un record. Afin qu’elle ne dérange pas trop, la pauvreté reste culpabilisée, isolée, cachée. Les inclus sont protégés de croiser quelques malotrus d’exclus dans l’essentiel des lieux de vie, d’activité, et de rencontre. Egalité ?
Dans une société de l’image, la laideur supposée et la pauvreté sombrent rapidement dans l’illégalité. Le bonheur (même illusoire !) des inclus ne devrait en rien souffrir du visage des exclus ? Le droit de l’Hommisme théorique tombe peu à peu dans l’illégalité, face à la Conscience Humaine. Bien sûr, ailleurs ce serait pire, être un pays si riche s’accommoderait donc de plus de huit millions de malheureux. Liberté, Egalité et…Fraternité ?
Chacun sait celle de certains réseaux pyramidaux, avec leurs grandes écoles et maisons de reproduction décisionnaire, leurs rites et rituels comportementaux ou autres. Que tout cela serait un mythe ? Le soupçon de succomber à la « théorie du complot » saura faire taire les plus curieux de savoir. Que celui qui a des oreilles entende. Il y aurait donc la confrérie des énarques et sciences posés, celle des dirigeants programmés depuis des lustres, et dont chacun peut mesurer aujourd’hui l’efficacité ? De temps à autres, un visage « issu des couches populaires » est mis en avant. Après que l’on se soit assuré de sa malléabilité. Telles seraient la République et la Démocratie de l’image, la France idéale, théorique.
Ainsi, la Fraternité existe, mais la plus efficiente se vit en cercle très fermé. La plus visible restera celle des misérables qui jonchent nos trottoirs, celle des organisations caritatives qui permettront aux plus cooptés d’avoir bonne conscience. Des médias ouvrent à date fixe leur robinet lacrymal pour soulager l’âme de la nation, pour peu qu’elle exista encore. Tout va bien ?
Il reste que chacun pourrait s’étonner d’entendre certains se réclamer encore du CNR (Centre National de la Résistance), disant avoir la même ambition de tendre vers une « République sociale ». Les rapports annuels des principales institutions chargées de l’évolution économique et sociale de notre pays nous y invitent pour le moins, à la résistance ? Une nouvelle forme, toute pacifique, semble naître ces jours-ci. Des veilleurs priant en pleine France laïque obligatoire ? Le pays refuserait de divorcer totalement avec ses valeurs les plus profondes.
Il y a donc trois couleurs, trois valeurs, mais leur véracité devient de plus en plus hypothétique. Il y a la France réelle et vécue qui fait le compte de sa misère croissante, financière ou morale. Il y a celle de la République escomptée, bafouée. Le « modèle » est de taille unique et réservée à certains dans les meilleurs rayons de notre démocratie. A l’étage de la Fraternité, les plus beaux habits font toujours les moines ou frères de caste. Pour la majorité des citoyens, le magasin de la seconde chance n’est toujours pas ouvert.
Guillaume Boucard
Sources : Rapports annuels de l’Agence Nationale de la lutte contre l’Illettrisme – Rapport annuel de l’Observatoire National des Inégalités – Rapport annuel de l’Institut National de veille sanitaire – Rapport annuel de l’OMC et de l’INSERM – Emmaüs France – Des Etudes sérieuses datant de 2009-2011, mais les enquêtes effectuées depuis et moins développées, convergent toutes dans un sens plus inquiétant encore.
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