La résidence alternée : une solution mortifère dans les cas de violences familiales
Le projet de loi sur la résidence alternée systématique, qui sera examiné par les députés le 30 novembre, est un piège pour les enfants victimes de violences familiales. En effet, malgré les propos lénifiants du député Philippe Latombe selon lequel il n’y aurait pas de partage égalitaire obligatoire, ce projet de loi, s’il est voté, imposera automatiquement la résidence alternée en cas de divorce et restreindra de fait le pouvoir d’appréciation des juges au cas par cas. Ce piège peut, comme je le raconte dans mon autobiographie, Mauvais Père (Les Arènes 2016), et comme nous le voyons quotidiennement dans notre pratique clinique au cabinet Rivages, se transformer en enfer pour les enfants.
« Une aubaine pour les agresseurs »
Le Haut Conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes (HCE) ne s’y est pas trompé, il demande le retrait immédiat de cette proposition de loi « inspirée des mouvements masculinistes », ces associations d'hommes qui essaiment dans différents pays occidentaux pour tenter de contrer les avancées des femmes vers l'égalité. Le HCE a qualifié ce texte de « véritable aubaine pour les agresseurs pour lesquels la résidence alternée sera un moyen de maintenir l’emprise sur leurs ex conjointes par le biais des enfants ». Car, comme l’explique Patrick Jean1, qui a infiltré ces mouvements au Québec dans le cadre de la réalisation de son film, La domination masculine, ces mouvements d’hommes ont instrumentalisé les « souffrances » paternelles pour en découdre avec leurs objets de haine véritables : les femmes, dont ils ne supportent pas les avancées sociales et, par extension, les femmes qui souvent les ont quittés pour fuir leurs violences.
Les ficelles manipulatoires du député Latombe
Or, le député Latombe emploie les mêmes ficelles – faire passer les pères pour des victimes - que les mouvements masculinistes. Il avoue d’ailleurs être motivé par sa propre histoire dans ce combat2. Selon lui, les JAF accorderaient quasiment systématiquement la garde aux mères. Pourtant, selon le Ministère de la Justice, dans la majorité des cas, les parents sont d’accord sur le mode de garde, seulement 10 % des parents étant en désaccord. Toujours selon le Ministère de la Justice, plus de 75% des pères ne veulent pas de la résidence alternée (qui entraîne les tâches domestiques et parentales afférentes) et au total, 93,4% des demandes des pères et 95,9% de celles des mères sont satisfaites par le juge. Mais le député Latombe n’hésite pas à aller encore plus loin : selon lui, « chaque année, 1300 pères se suicideraient parce que leur demande légitime d'une relation suivie et pérenne avec leur enfant leur a été refusée ». D’où vient cette affirmation péremptoire ? De nulle part, il semblerait qu’elle ait été bidouillée par le député. Et il va toujours plus loin, comparant l’argument des violences paternelles à des... « tartes à la crême ». Le terme est indécent au vu des centaines de femmes tuées par leurs conjoints violents. On s’étonne donc que les médias, et son groupe politique, accordent aux paroles du député un tel blanc seing.
Les hommes violents habiles à manipuler les tribunaux
Les psys qui s’intéressent aux violences intrafamiliales connaissent bien la double personnalité des hommes violents, notamment devant les tribunaux où ces hommes sont souvent comme des poissons dans l’eau. Dans leur palette manipulatoire, les agresseurs intrafamiliaux font appel à des mécanismes qui font toujours leurs preuves, notamment la banalisation (minimalisation) de leurs actes, le déni et la projection de leurs propres comportements abusifs et de leurs responsabilités sur leurs victimes, entretenant ainsi un climat opaque sur leurs actes et motivations véritables. En effet, les « agresseurs familiaux font généralement preuve d’une grande habileté à impressionner les administrations, ils sont souvent charmants, et difficiles à démasquer »3. Dixit l’Association américaine du Barreau, « Soyez conscient du fait que de nombreux agresseurs familiaux sont des grands manipulateurs, se présentent comme de bons parents coopératifs ». Il existe donc de bonnes raisons de craindre que les juges qui ordonneront la résidence alternée avec un père violent ne se laissent berner quant à la personnalité véritable de ce parent, exactement comme l’ont fait les juges américains dans Mauvais Père.
Le parent violent ne peut pas répondre aux besoins fondamentaux de son enfant
L’égocentrisme, l’immaturité, le manque d’empathie, et l’incapacité à se remettre en question sont des caractéristiques inhérentes aux hommes violents. Or ces particularités ne leur permettent pas de prendre en compte les besoins de leurs enfants de manière adaptée et grévent leurs compétences parentales. Un parent doté de bonnes compétences parentales est avant tout un parent capable de s’identifier à son enfant pour lui éviter des angoisses. Or un homme violent ne dispose de l’empathie nécessaire. Au contraire, sa violence et son impulsivité accroissent le malaise de l’enfant. Un père qui frappe sa femme devant leur enfant se soucie-t-il du cataclysme psychique qu’il provoque chez son enfant ? Pourtant, comme nous le voyons tous les jours dans notre pratique à Rivages, la violence paternelle est d’autant plus massive qu’elles est souvent double, dirigée vers la mère, mais aussi donc nécessairement vers l’enfant, compromettant gravement le développement psycho-affectif de celui-ci.
La violence parentale est mortifère pour un enfant
Cette violence est mortifère pour le développement psycho affectif de l’enfant que celui-ci en soit la victime directe ou indirecte. Les enfants dont il est question présentent un risque nettement plus élevé de troubles affectifs et comportementaux que leurs congénères. Sur les 10 enfants que nous suivons, 9 manifestent d’importantes angoisses à la perspective de se séparer de leur figure d’attachement sécurisante (la mère). Deux d’entre eux présentent des hallucinations. Trois souffrent de trichotillomanie (s’arrachent les cheveux) qui est un acte d’auto agression souvent observé dans les angoisses massives. Deux enfants, bien que très jeunes puisqu’ils n’ont que 5 ans, font déjà preuve de violence envers autrui. Cinq enfants ont des idées suicidaires.
Caroline Bréhat
1L’histoire inavouable de la loi sur la résidence alternée systématique. Patrick Jean. Huffington Post. 23 novembre 2017. http://www.huffingtonpost.fr/patric-jean/l-histoire-inavouable-de-la-loi-sur-la-residence-alternee-systematique_a_23286461/
2 Garde alternée systématique. Les dangers du projet. Mediapart. 22 novembre 2017. https://www.mediapart.fr/journal/france/221117/garde-alternee-systematique-les-dangers-du-projet?onglet=full
3 Crises au tribunal de la famille : renversements de situation. Rapport final soumis au Bureau chargé de la lutte contre les violences faites aux femmes, Ministère de la Justice américain. Joyanna Sillberg.
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