La science est en échec et la société décroche : entrez dans la musique mes frères, alléluia !

Quelques analystes plus sérieux ou disons plus décalés livrent un constat pas nécessairement plaisant aux yeux de l’opinion publique. Ce qu’on appelle le système, et qui se compose des entreprises industrielles, des réseaux financiers et des administrations publiques, devient de plus en plus incontrôlable. Ce qui signifie que les gouvernants n’ont plus la maîtrise du système, malgré les outils de contrôle sophistiqués dont ils disposent. C’est pour cette raison que quelques intellectuels inquiets (du moins dans leurs apparitions médiatiques) comme Edgar Morin ou Jacques Attali, évoquent la mise en place d’un gouvernement mondial. Cette idée mérite d’être examinée avant d’être rejetée sous prétexte qu’un tel gouvernement risquerait de devenir dictatorial et que de plus, il n’aurait pas de légitimité démocratique, ou du moins pas plus que les instances dirigeantes européennes, non élues par les citoyens mais nommées par les élus des citoyens. L’optimiste verrait dans ce gouvernement mondial un moindre mal. Quant au pessimiste, il craindrait le pire. Reste le réaliste qui se dirait après tout que si les gouvernements nationaux n’ont plus la maîtrise du système, alors on peut en dire autant d’un gouvernement mondial. Quant à l’ironiste, il rétorquerait que oui, le système contrôle les individus, surtout ceux qui sont honnêtes, et un peu moins les délinquants dans les zones dites sensibles ; plus facile de verbaliser un cycliste en centre-ville que d’aller installer l’ordre républicain dans certains quartiers. En fait de contrôle du système, il faut bien voir que cette notion est toute relative. Tout dépend quels sont les paramètres et les faits sociaux et techniques qu’on veut maîtriser. Quelques phénomènes d’ampleur importante et préjudiciables à « l’harmonie et paix républicaine » échappent aux politiques. C’est le cas du chômage, de l’ordre républicain dans certaines zones, de l’apparition des virus, de la diffusion des propagandes haineuses, des activistes délocalisés menant une guerre sans appartenir à des armées régulières (ce qui ne veut pas dire qu’ils sont totalement indépendant des Etats), du prix des ressources alimentaires, énergétiques ou minérales. Une chose est cependant acquise, celui des inégalités face à la maîtrise. Ce principe concernant autant les nations que les entreprises. Pour s’en convaincre, il suffit de constater les difficultés de grands constructeurs automobiles comme Peugeot ou Ford ainsi que les fermetures d’usine. Le monde économique exerce une pression sélective de plus en plus forte sur les entreprises. On pourrait dresser un constat similaire à l’échelle individuelle ; certains ayant une emprise plus que correcte sur leur existence et d’autres étant quelque peu ballottés par la dureté du système, livrés à la précarité et aux aides alimentaires. Dans le coin de l’écran, vous voyez ce type, un sage du bistrot, qui en lisant ces lignes s’exclame : en c’bas monde, on n’fait pas ç’kon veut, mon brave monsieur !
Un autre sage philosophe se souvient de quelques intentions formulées par Descartes et Bacon au 17ème siècle. L’homme doit se servir de la nature en la maîtrisant au service des activités humaines. Ce grand dessein a nourri pendant trois siècles les idéologies du progrès avant qu’en ce terrible 20ème siècle, on ne constate les énormes dégâts causés par les techniques modernes lorsqu’elles sont utilisées dans les conflits. Ensuite, fin des années 60, quelques visionnaires regroupés dans le club de Rome se sont interrogés sur la croissance. L’écologie militante a ensuite occupé la décennie suivante avec une prise de conscience élargie des dégâts causés à l’environnement par les activités humaines. Puis ce fut le développement durable, un concept assez creux et fourre-tout, récupéré par d’habiles opportunistes pour faire du profit. Le candide de service pense que la technique s’utilise simplement et que tout dépend de l’usage qui en est fait. Le penseur plus éclairé comme Ellul sait que la technique n’est pas neutre et engage une transformation sociale et anthropologique en prenant quelque autonomie face aux décisions humaines acquises par la raison. Admettons pour résumer qu’il y a une ruse de la Technique. Et convenons qu’actuellement, la technique ne cesse d’occasionner des problèmes et que son usage dans des sociétés complexes fait que si le système devient partiellement incontrôlable, cela est dû à la multiplication de la technique qui pourtant devait permettre à l’homme d’être maître du royaume matériel. Sans aller jusqu’à clamer que l’homme est devenu l’esclave de la technique, il nous faut reconnaître que l’homme perd son autonomie et son indépendance alors qu’il croit que son pouvoir matériel lui permet de faire de plus en plus de choses. En plus, la technique, pas plus que la science, ne peut solutionner les grands problèmes contemporains. Peut-être faudrait-il déniaiser l’opinion publique en lui présentant la situation avec exactitude et véracité.
La science ne semble plus en mesure de répondre substantiellement à l’amélioration des existences personnelles pas plus qu’elle ne permet de résorber les crises et autres dysfonctionnements des sociétés les plus avancées. La recherche scientifique fondamentale a encore sa place mais la principale activité des chercheurs est assez éloignée des préoccupations fondamentales même si ces scientifiques s’en réclament. Quant aux applications scientifiques, elles découlent des deux recherches, complémentaires, la fondamentale et l’appliquée. A ce stade il nécessaire de tracer une démarcation permettant de raccorder la science à ce qu’on attend d’elle ; le Progrès. Il est incontestable que des domaines scientifiques n’ont cessé de progresser et ne laissent pas entrevoir une limite à moyen terme. C’est le champ des inventions technologiques dont les applications sont présentes dans toutes les sphères de l’activité humaine. Computer, smartphone, matériaux composites, son et image, systèmes de détection, robotique, cognitique, automobile, domotique et plein d’autres choses. Ces progrès sont évidents mais ils se limitent aux interfaces et autres outils permettant de percevoir, calculer et agir dans le monde matériel. Néanmoins, d’autres champs de l’existence s’offrent à des sciences qui ne progressent plus tellement et s’avèrent même impuissantes. C’est le cas de la santé et de la société, autrement dit les bien-être individuel et public. Comparons l’état des techniques en 1970 et 2010. C’est « phénoménal » pourrait-on dire. Comparons la médecine et l’état des sociétés pendant cette même période. Eh bien les progrès ne sont pas « transcendants » pourrait-on dire. On observe même des régressions au niveau social avec des quartiers à la vie publique dégradée sans compter le chômage et d’autres fléaux sociaux. Quant à la médecine, même si quelques outils ont changé la vie des praticiens, la santé n’a pas progressé énormément et semble faire du sur-place pour ce qui concerne les maladies dites incurables. En plus, un nombre croissant d’individus sont dans une situation de mal-être pour ne pas dire de dégradation psychique. Si progrès il y a, on les note plus spécifiquement dans le champ de la chirurgie. Ce qu’on peut donc déduire, c’est que la stagnation de la médecine et de la société découlent d’une sorte de stérilité, ou plutôt d’une inadéquation scientifique présente dans la recherche biomédicale et les investigations menées en sciences de l’homme et de la société. S’agissant de ces dernières, on peut aussi supposer que quelques pistes de réflexions ne sont pas suivies et que la désagrégation sociale est en quelque sorte intégrée dans d’un calcul politique servant l’économique. L’obsession pour la compétitivité en étant un signe édifiant.
La recherche scientifique pèche sur deux points très importants. D’abord la très grande spécialisation engendrant des recherches étanches portant sur des détails sans enjeu majeur, de surcroît menées de manières redondantes par des équipes internationales lancées dans la course à la publication. Cette pratique étant nécessaire pour remplir les formulaires permettant d’obtenir les financements pour payer le personnel, les appareils et les frais de fonctionnement. L’objectif, c’est de trouver le premier un résultat nouveau. Cette pratique induit le second point, concernant la nature des travaux menés. Nombres d’études sont maintenant adossés à des méthodologies statistiques. Pour obtenir des résultats il suffit de prendre un trait de caractère, une pathologie, et d’analyser des gènes, ou bien des comportements, des habitudes alimentaires. Et de trouver des corrélations. Par exemple, chez les personnes présentant une pathologie X ou un profil Y, la présence du gène Z est augmentée de 30 % ou alors on trouve 25 % de plus de consommateurs du produit W. Ces études n’ont pas un grand intérêt pour les choses de la vie. De plus, le schéma causal n’est même pas fiable. Par exemple, il a été dit que les consommateurs de benzodiazépines ont un pourcentage plus élevé de développer Alzheimer. Or, ces consommateurs sont sujets à des anxiétés si bien que l’occurrence d’Alzheimer pourrait tout aussi être liée à un terrain psychologique fertile pour cette pathologie. Dans les sciences humaines ont retrouve des investigations statistiques. Des recherches souvent inutiles, du genre les enfants de parents obèses ont 10 % de chance en moins de faire des études supérieures. Quant aux applications des recherches biomédicales, on doutera qu’augmenter (statistiquement) de trois ou six mois la vie d’un cancéreux en phase terminale ne constitue un réel progrès de santé publique et ne justifie les frais engagés car ces thérapies censées être ciblées et reposant sur un dispositif extrêmement sophistiqué sont très onéreuses. La santé publique a d’autres priorités semble-t-il, ne serait-ce que permettre au plus démunis d’accéder aux soins de base. Ce constat sévère sur la recherche biomédicale et sociale mériterait des arguments plus fondés, notamment une étude roborative. Néanmoins, je fais confiance à mon appréciation toute de même basée sur des données tangibles. A l’instar de l’honnête homme lisant le Monde chaque matin ou du parlementaire feuilletant le Canard sur les bancs de l’Assemblée, je consulte chaque jour les recensions parues sur l’excellent site Science daily. Environ une cinquantaine de billets à chaque livraison quotidienne. Ce qui permet de voir défiler les thèmes de recherche consignés dans les publications des revues de référence.
Cette situation offre l’occasion de méditer sur un décrochage, relatif certes, mais avéré de la société et plus précisément, du techno-scientifique et du politique. C’est à dessein que j’associe ces deux champs sociétaux car il y eut deux époques « glorieuses » (1890 et 1960) où science et politique faisaient espérer et même rêver nombre d’intellectuels, qu’ils soient utopistes, progressistes ou futuristes. Au début du 21ème siècle, l’économique et le système hyperindustriel ont envahi la sphère humaine mais le politique et la science décrochent pour résoudre des problèmes fondamentaux et notamment parvenir à résorber les pathologies, des désordres psychiques et la dégradation de la société. Ce qui fait réfléchir aux limites du progrès. Mais ne jouons pas les naïfs ou les vierges effarouchées. Cette crise de la société et de la science, c’est en fait la crise de la modernité dont quelques traits et soubassements ont été explicités avec clarté au début du siècle précédent par Guénon, Husserl et quelques autres précurseurs, les uns plutôt critiques et les autres parfois anti-modernistes, parmi lesquels l’historien controversé Toynbee.
Décrochage, certes, mais aussi constat et si on se veut sévère, alors on peut suggérer que la politique et surtout la science et les professeurs ne sont plus au service d’un bien public projeté pour la société. La science sert ses intérêts sans que ce soit délibéré. C’est une machine qui suit son cours, comme la machine politique. Les masses sont abruties. Si le politique servait l’humain, il favoriserait le développement de l’intelligence dans la société mais il ne pourrait plus se servir aussi facilement de l’humain. Prenez-les tous, PS, UMP, Centre, Verts, Front de gauche, NPA, FN, Vous verrez qu’ils jouent tous sur l’ignorance des gens et l’entretiennent. Ils ne sont pas inutiles, car ils servent l’organisation de la société tout en s’en servant, mais sont bien incapables d’apporter un mieux-être en traçant d’autres voies. On aimerait le désintéressement, des scientifiques et des politiques, mais ce serait une illusion, l’homme désintéressé n’existe pas. Par contre, on peut s’intéresser à autre chose et chercher la connaissance, la lumière. Beau sujet pour un roman. Deux types, l’un qui essaye de changer le système et l’autre qui cherche la voie. Un remake de La montagne magique mais avec deux profils existentiels distincts. Quant à la science, elle stagne mais aussi elle avance grâce aux pionniers et au découvreurs que le grand public ignore et même les étudiants de science, si mal servis en France par une épistémologie naufragée se raccrochant aux savoirs datés d’un autre siècle.
Je crois au final que la destination des sociétés ne repose pas sur une volonté de combattre et d’imposer un changement en opposition avec la situation actuelle. Le temps de la dialectique, marxiste ou hégélienne, est révolu. Le seul salut est de faire germer la lumière mais il faut la trouver et surtout la comprendre. Connais la lumière et tu changeras peut-être le monde et si ce n’est pas le cas, tu seras dédommagé car ton monde aura changé.
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