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Accueil du site > Actualités > Société > La tentation du schiste

La tentation du schiste

C'est la rentrée et nous allons enfin sortir de notre sommeil estival. En juillet et en août, le monde s'arrête de tourner et il n'existe plus d'autres problèmes que la pluviométrie et les chassé-croisés. Cette longue pause permet de mettre de côté le catastrophisme éclairé qui nous anime, mais elle est potentiellement angoissante lorsque l'on se sent investi par un sentiment d'urgence, par la conviction qu'il faut à tout prix engager la grande transition de notre société.

C'est au coeur de cette longue léthargie que France 5 a choisi de diffuser un reportage sur les hydrocarbures de roche mère : la tentation du schiste.

Ce film apporte quelque chose de nouveau par son apparente neutralité, chose difficile lorsque l'on aborde ce sujet. La question sous-jacente est celle du mode de vie : pouvons-nous refuser les hydrocarbures non-conventionnels sans remettre en question notre manière de vivre ?

Gasland, premier documentaire choc sur le sujet, a provoqué et provoque toujours des réactions passionnées et légitimes. Mais Gasland est un film militant dont certains passages semblent manquer de rigueur. Il a eu le grand intérêt de provoquer un débat en France, mais il n'est pas vraiment adapté à l'organisation de débats citoyens plus objectifs, plus rationnels.

Cette question de l'approvisionnement énergétique étant intimement lié à la situation économique, cela me permet de rebondir sur l'actualité politique de la France. La situation est déplorable et nous courrons à la catastrophe. Les socialistes se déchirent aujourd'hui sur une question absolument fondamentale : la croissance doit-elle être relancée par l'offre (M. Valls et M. Macron) ou par la demande (M. Monterbourg) ? Faut-il donner de l'argent (ou en prendre moins) aux entreprises pour les rendre plus compétitives, ou faut-il augmenter les déficits pour permettre à la population de consommer plus ? Voilà donc une question essentielle et très novatrice puisque l'idée de relance économique par l'offre date du XIXème siècle (J.B. Say) et la théorie de relance par la demande remonte au début du XXème (J.M. Keynes). C'est dire si les idées pour lesquelles M. Montebourg a été remercié sont révolutionnaires !

Il n'y a pas de raison d'être contre les débat inutiles, sauf lorsqu'ils se substituent aux débats essentiels et qu'ils monopolisent l'attention des dirigeants eux-mêmes, des médias et finalement des citoyens. La croissance économique stable et permanente, c'est terminé. Il est donc inutile de discuter des meilleures options pour la retrouver.

Baisse constante de la croissance économique. Chiffres INSEE

Bien sûr, le pic pétrolier n'y est pas pour rien et la physique fait son travail, comme prévu. En 2012, la facture énergétique de la France s'élève à 70 milliards d'euros (plus que le budget de l'Education Nationale). Les compagnies pétrolières en sont apriori les premiers bénéficiaires, mais les choses ne sont pas si simples. A cause des difficultés d'exploration et d'exploitation, les dépenses du secteur sont supérieures aux recettes depuis 2007 (650 Milliards de dépenses pour 400 milliards de recettes en 2013). Les compagnies s'endettent comme jamais pour tenter de maintenir un niveau de production en hausse ... mais elles n'y parviennent plus.

Les productions cumulées de pétrole et de gaz de l'ensemble des compagnies pétrolières privées (Exxon, Total, Shell, etc.) ont décliné conjointement pour la première fois en 2013, malgré la hausse colossale des investissements. L'énergie facile et bon marché, c'est terminé, n'en déplaise à M. Rifkin qui rêve encore à l'énergie gratuite...

Premier déclin simultané des productions de liquides et de gaz en 2013. Source EIA

Premier déclin simultané des productions de liquides et de gaz en 2013. Source EIA

Conscients du problème posé par le prix et la disponibilité de l'énergie, certains s'empressent de répondre que désormais, la donne a changé avec les gaz et pétrole de schiste américains (que nos dirigeants du vieux continent semblent lorgner avec envie). Ce serait donc un formidable moteur de croissance qui serait disponible là, juste sous nos pieds, et chacun sait bien que la croissance est le remède à tous nos maux.

Entre 2009 et 2013, la production pétrolière a bondi de 50% au pays de l'oncle Sam. Un vrai coup de force qui a surpris tout le monde, au point de mettre hors d'état de nuire (en apparence bien sûr) les tenants du pic pétrolier et autres oiseaux de mauvais augure !

Rappelons au passage que les Etats-Unis consomment 19 Mb/j de produits pétroliers et que la production atteint aujourd'hui 13 Mb/j. Contrairement aux idées reçues, l'indépendance pétrolière des Etats-Unis reste un mythe !

Au-delà de la victoire spéculative et médiatique, la société américaine se porte-t-elle mieux depuis cette "révolution" ?

Sur la même période 2009-2013, le nombre de ménages bénéficiant du programme de tickets alimentaires a également progressé de 50%, la même progression que la production de pétrole ! Un ménage sur cinq à besoin d'une assistance alimentaire aux Etats-Unis et le taux de chômage réel ne diminue pas. Une manipulation des chiffres permet de prétendre le contraire grâce aux millions de travailleurs "découragés" qui cessent de chercher un emploi et sortent de la catégorie "population active". Et de l'autre côté, toujours sur la même période, le nombre de ménages millionnaires a progressé de 25%...

 

 

Evolution de la production pétrolière, du nombre de ménages millionnaires et du nombre de ménage en détresse alimentaire aux Etats Unis

Non seulement cette révolution n'est que de court terme, car on sait que le déclin interviendra avant 2020, mais en plus elle ne profite pas à tout le monde, loin de là.

Alors, écouter ces personnalités politiques se chamailler sur la bonne méthode de relance, c'est comme écouter la Haute Autorité de Santé débattre sur le meilleur choix entre Doliprane et Efferalgan pour soigner une hémorragie : rien à voir ! Le vrai problème n'est pas l'absence de croissance, c'est de tout miser sur elle alors que nous n'en avons plus ; disons même "...plus besoin" en ce qui concerne nos pays modernes.

L'opposition de droite (qui n'en est pas une) n'a rien d'autre à proposer et n'est pas plus lucide sur la situation. Elle se dit qu'après un tel marasme offert par la gauche (qui n'en est pas une), elle devrait réussir à gratter les fonds de tiroirs au prochain vote sanction, en proposant un vrai changement, oui, oui, c'est promis !

Et nous entendons inlassablement le même refrain :

compétitivité des entreprises - relance de l'économie - croissance

Et nous constaterons inlassablement le même résultat :

Augmentation des dividendes - Augmentation des inégalités

Hausse de la rémunérations des actionnaires et des inégalités. Source C.Chavagneux /observatoire des inégalitésHausse de la rémunérations des actionnaires et des inégalités. Source C.Chavagneux /observatoire des inégalités

Hausse de la rémunérations des actionnaires et des inégalités. Source C.Chavagneux /observatoire des inégalités

Nos dirigeants continuent de vouloir relancer la croissance sans tenir compte des raisons qui conduisent au déclin. Quand bien même ils y parviendraient, nous savons désormais qu'elle ne profiterait pas au plus grand nombre.

Alors, le régime actuel est-il adapté aux enjeux ? Les gouvernants sont-ils simplement capables d'envisager un avenir souhaitable, soutenable et pour le bien du plus grand nombre ? Rien n'est moins sûr, car au rêve d'humanisme d'une population en mal de projet et d'avenir, ils promettent seulement du PIB qui ne viendra plus.

 


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3 réactions à cet article    


  • ecolittoral ecolittoral 9 septembre 2014 15:27

    Je ne vois pas bien le rapport entre le titre et l’article !

    Pour la production pétrolière en barils/jour source EIA...Depuis quand, les chiffres de l’agence internationale à l’énergie sont ils fiables ?

    Ils sont basés sur les chiffres que les états et compagnies veulent bien lui fournir. Chiffres obligatoirement optimistes pour conserver des parts de marchés et valoriser les actions.

    Chiffres transformés en estimations lorsqu’ils ne sont pas « bons ».

    Sinon, comment expliquer que les stocks stratégiques américains diminuent régulièrement alors que la production pétrolière aux USA augmente(rait) et que les consommateurs américains sont de moins en moins en capacité de bruler du carburant faute de revenus suffisants. Comme les entreprises US qui disparaissent et donc ne consomment plus ?

    Pour le gaz de schiste, nous avons déjà des bilans fournis par...les compagnies en Amérique. Plus fiables que ceux de l’EIA.

    Six dollars à l’extraction pour cinq à la vente. On parle pourtant des gisements les plus rentables.

    Gisements qui, eux même s’effondrent en moins d’un an.

    Toutes ces compagnies sont surendettées.

    Mon avis ! Quand ce fantasme du gaz et huile de schiste éclatera au grand jour, nous nous retrouverons au bon prix du baril....physique pas théorique.

    Quelque part aux alentours de 110 dollars. 10% d’augmentation !

    Charbon et gaz suivront à la hausse.

    A ce moment là, je vois mal les politiciens et économistes nous parler de croissance.

    Et les pays européens arrêteront leur attitude irresponsable vis à vis de la Russie.


    • Benoît Thévard Benoît Thévard 9 septembre 2014 15:46

      l’EIA (US energy information administration) est le département américain de l’énergie et non l’agence internationale de l’énergie. Vous confondez avec l’AIE (ou IEA en anglais).
      D’autre part, il s’agit des chiffres de production des compagnies privées et non des compagnies nationales des pays de l’OPEP.
      Peut-être que si vous ne voyez pas le rapport, c’est que vous avez lu l’article un peu trop vite ? smiley
      Sinon, en ce qui concerne le gaz de schiste, les prix et l’endettement des compagnies, nous sommes d’accord.


    • ecolittoral ecolittoral 9 septembre 2014 20:42

       Benoît Thévard effectivement, je me suis trompé.

      Mais ces 13 Mb/jours pour 2013 m’étonnent !

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