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La ville nocturne : petite chronique d’une insomniaque

« Elle ne dort jamais... », murmurait avec angoisse, replié sous sa couette, un petit garçon de film d’horreur. Si cela était vrai de la jeune fille en décomposition qui hantait ses cauchemars et le tube cathodique de sa télé, cela l’est aussi de la ville.

Elle ne dort jamais, ou tout du moins lorsqu’elle s’assoupie, ne le fait bien souvent que d’un oeil. La ville, celle qui s’ouvre sur le monde, ne dort plus. Pour les autres, le sommeil est toujours là, enveloppant, mais il faut le dire, de moins en moins lourd.

Partout ou presque, les mêmes symptômes conduisent à l’insomnie des territoires urbains, parfois même des "campagnes" environnantes. Alors que le corps de la ville demeure, semble même largement inchangé depuis une vingtaine d’années, son esprit lui, ne fait que se tordre et se distordre à la mesure de l’arithmie croissante des vies et des individualités. La ville de la métropolisation, c’est de nouvelles cadences, des pulsations incertaines et changeantes. Pour François Ascher, cette arythmie constitue l’un des premiers maux de la cité insomniaque.

La ville n’est plus réglée, plus autant ou plus comme avant. Alors que l’on vivait et que l’on travaillait le jour, abandonnant à la nuit et à ses démons les rues et les lieux de la ville, voilà que nous nous mettons de plus en plus à braver les ombres et à nous faire courage, le temps d’un open bar nocturne, ou encore -tout autre chose- d’une ingrate mission d’intérim.

Mais si nous changeons à ce point, si nous nous désynchronisons à ce point du temps et du cycle routinier que ce dernier jouait jusque récemment au sein de la ville, c’est d’abord à cause d’une histoire de technique (couplée à un certain nombre de mutations sociales telles que la diminution du temps travaillé, la transformation de la structure des ménages, la montée en puissance de l’individualisme, etc.). En effet, si la vie urbaine s’étire, se tend puis s’étend comme fuit l’univers de son centre, c’est parce que l’évolution des modes de transports et de télécommunications le lui permet : Des tramways et métros automatiques pouvant circuler à toutes heures de la journée, aux ordinateurs, qui branchés en réseaux nous donnent accès 24 heures sur 24 aux meilleurs sites de Lolcats !

Dans un monde qui oblige les organisations à innover et à s’adapter rapidement aux besoins d’un marché perfusé sous cocaïne (vous croyez que les traders marchent à quoi...), la flexibilité du travail et notamment du temps de travail contribue également largement au processus de déreglement des temps urbains. Ainsi, en 2002, pas moins de 30% des français travaillaient à des horaires décalés (Chiffres de la DATAR). Une tendance qui semble aller en augmentant depuis les années 90.

Puisqu’il n’est pas question pour la ville, ni pour les gens qui la parcourent, de se défaire de cette forme d’insomnie chronique à grands renforts de couvre-feux -ou même de valium d’ailleurs-, le mieux est de composer avec, et de penser son organisation autrement. Pour François Ascher toujours, cette composition passe avant tout par une meilleure coordination des horaires des services publics, par leur adaptation aux nouveaux emplois du temps des noctambules. Ce qu’il nomme in fine des "quartiers de garde", pourraient recouvrir la forme d’espaces au sein desquels les principaux services publics et privés de la ville fonctionneraient en continu.

Pourtant, passée l’adaptation de la ville à son temps -et à ses temps-, le principal enjeu demeure celui de la cohabitation. Comment éviter que ne se croisent symboliquement, presque chaque nuit, l’étudiant potomane et la grand-mère alitée de quatre-vingts ans ? C’est là tout le travail du chrono-urbanisme ; une discipline embryonnaire dans le monde des acteurs du territoire.

Pour plus d’articles sur l’urbanisme : http://nebuleuses-urbaines.over-blog.fr/

 


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