Laissez les boire !
Il fallait s’en douter, une première mort accidentelle au cours d’un apéritif géant, et les biens pensants commencent à glapir. « L’apéro de Nantes tourne au drame ! ». Une seule victime ! Alors que dire du récent accident de mine en Russie, une hécatombe, un holocauste ? Un seul décès consécutif à une beuverie, alors que des dizaines de milliers ont participé sans encombre à un tel événement depuis quelques mois, cela ne devrait faire que quelques lignes dans le journal régional. L’accident a eu lieu lors de la dislocation du cortège aurait pu dire le Préfet de police s’il s’était agi de manifestants cégétistes. Mais la société de pleutres qui ne supporte plus le moindre incident, la moindre prise de risque, va monter au créneau dans la semaine qui arrive et tout faire pour interdire l’apéro du Champs de Mars, considéré comme une pratique à haut risque. Cette lâcheté, ce comportement pusillanime vient d’aboutir cette semaine dans la même optique, au stupide concept de préjudice de l’anxiété pour des travailleurs ayant été en contact avec l’amiante qui ne présentent (pas encore ?) de pathologie, mais pourraient en développer une. Alors à quand un préjudice d’anxiété pour les militaires susceptibles de mourir sur le champ de bataille, pour les pompiers exposés aux incendies et pourquoi pas pour les prostituées risquant l’accident de préservatif face à un séropositif ?
Bis repetita, comme après l’affaire du supporter du PSG mort à la suite d’une bagarre, second cas dans la décennie, consécutif à des affrontements autour du stade. Et de prendre immédiatement des lois d’exceptions contre les groupes de supporters, et de s’époumoner à la moindre bavure comme s’il s’agissait d’un cataclysme, alors que l’on se trouve devant un simple fait divers occasionnel ! S’il faut déployer autant de police pour deux décès en dix ans, quelles forces de l’ordre faudra-t-il mobiliser le jour où le peuple descendra dans la rue pour protester contre le gouvernement ? Devra-t-on leur envoyer les chars ?
Les apéritifs géants ne sont ni à louer comme une manifestation du génie créatif de la jeunesse influencée par Facebook, ni à être diabolisés, mis au pilori de la moralité car ils peuvent éventuellement déraper. Mais dirons les bons esprits, mettez vous à la place des parents du jeune mort d’avoir bu un coup de trop ! Ce jeune, il aurait pu mourir ailleurs, lui ou un autre, lors de circonstances similaires moins médiatisées que cet apéro. Une cuite solitaire ou en comité restreint et on se casse la gueule dans l’escalier, on tombe du parapet ou tout simplement on se vomit dans les bronches et on y passe bêtement, toujours bêtement.
Pas besoin de Facebook ou de milliers de participants pour que ça tourne mal de temps à autre. Heureusement, des centaines de milliers de gens plus ou moins jeunes boivent en France sans avoir attendu les apéritifs géants. Un pourcentage non négligeable d’individus de tous âges se prend régulièrement ou occasionnellement des cuites carabinées et heureusement seul un très petit nombre arrive à en claquer.
Rien à voir avec l’alcoolisme chronique et addictif qui est une maladie invalidante et qui doit à la fois être pris au sérieux et soigné car il aboutit à la longue à la destruction de l’individu et peut faire courir des risques aux autres de façon plus récurrente que de petites fêtes non encadrées. L’idéal serait qu’il n’y ait pas de dégâts collatéraux aux beuveries, mais un mort de temps en temps est loin d’être une catastrophe à l’échelon d’une nation. Il ne s’agit pas de faire l’apologie de l’ivresse, d’inciter les jeunes à se saouler ou à consommer comme des brutes mais de revenir à la raison. Toute activité humaine est potentiellement dangereuse, certains loisirs le sont plus que d’autres, mais réprimer, interdire n’empêchera jamais les digressions. La liberté collective et individuelle a un prix. Dans un pays de plus de 60 millions d’habitants, quelques décès accidentels à la suite de beuveries, de bagarres, de comportements à risques sont certes fâcheux mais non rédhibitoires. A force de vouloir tout prévenir, on en arrive à tout interdire et en fin de compte on développe la clandestinité. A force de chercher le risque zéro, de vouloir appliquer le principe de précaution, la société française devient lâche, frileuse, craintive. La peur gagne en chaque domaine : peur des cuites des jeunes devenant peur de la jeunesse, peur des jeunes cons caillassant des bus, qui se calmeraient avec quelques gifles, se transformant en peur des musulmans sous prétextes que certains de ces abrutis sont arabes, peur de l’avenir aboutissant à une psychose du suicide en entreprise, effroi des produits phytosanitaires , frayeur des OGM, des Chinois, de leurs jouets de leurs industriels, panique face aux volcans islandais ou aux potentiels pédophiles. La liste pourrait s’allonger à l’infini tant la presse, la télévision, le discours des politiques et des psychologues sont alarmistes.
Il n’y a pas si longtemps, Jean Paul II disait en chevrotant « n’ayez pas peur ! ». De nos jours, la France crève de trouille. Qu’elle ait peur n’est pas grandiose, mais que médias et politiques se fassent les porte-paroles de cette panique inconsidérée, de cette lâcheté généralisée est encre plus malsain. La France actuelle est comparable à la France pusillanime et défaitiste de 1938, celle qui accueillait Daladier au Bourget sous les hourras à son retour des accords de Munich. Cette France vaincue bien avant le premier coup de fusil face aux nazis, vaincue plus par le défaitisme que par les armées du Troisième Reich ! Cette France de « sans couilles » se reconstitue sous nos yeux de jour en jour. Il se crée désormais le paradoxe d’être fier d’être lâche dans le pays de la Révolution.
Souvenez-vous de « l’arrache cœur » de Boris Vian ! L’héroïne du roman, craignant de façon déraisonnable qu’il survienne un malheur à ses enfants, finit par les mettre en cage pour les protéger du monde extérieur forcément dangereux et hostile. C’est toute la société française qui va bientôt se retrouver dans la cage géante que sera devenu le pays, si les hygiénistes, les moralistes, les partisans du principe de précaution arrivent à imposer en totalité la toile qu’ils sont en train de tisser inéluctablement autour des citoyens.
Et puis, boire un petit coup, c’est agréable, dit la chanson populaire. Au lieu de réprimer les jeunes à propos de l’alcool, les adultes devraient leur enseigner à boire progressivement dès l’adolescence. Leur faire prendre leur première cuite sous contrôle, pour qu’ils apprennent à connaitre leurs limites et ainsi éviter les inconvénients de l’alcool et permettre d’en apprécier le plaisir. Une sorte de « conduite accompagnée » de la bouteille sous la supervision éclairée d’un adulte. Et boire, c’est comme conduire, on ne commence pas d’emblée avec un litre de schnaps ou une Ferrari. L’alcool s’apprivoise comme l’accélérateur et le levier de vitesse. L’alcool peut être un plaisir à condition de savoir le maitriser. Et puis, même adulte, une cuite, (de préférence pas trop souvent), ça se prépare pour éviter les inconvénients majeurs de la soûlerie itérative. Etre tout le temps bourré n’apporte plus vraiment du plaisir, mais des ennuis et de la dépendance. La légitime défonce, pourquoi pas ? Mais au rythme où vont les choses, il est à craindre que les buveurs qui vont se retrouver la gueule dans le seau se mettent à porter plainte contre la municipalité si les secours médicaux ne les prennent pas en charge immédiatement au premier malaise. Il faudrait pourtant assumer les conséquences de ses excès de boissons ; c’est ce qu’on appelle la responsabilité et le libre arbitre.
Enfin, que ceux qui ne sont pas encore trop fâché avec le christianisme, se souviennent que les dernières paroles du Christ sont : « j’ai soif » et « tout est consommé » Tout un programme pour se prendre un apéro !
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