Langue de plomb à l’Université
Nombreux sont les articles publiés qui nous indiquent inlassablement où se trouvent la grande force et la spécificité de notre université française. Une simple formule les résume : esprit critique. Telle serait, pour certains, l’essence même de l’institution, sa lumière. Et tout à l’Université serait mis en œuvre et orienté dans le but de développer le fameux « esprit critique ». Par conséquent, cette chose, parce qu’elle est si rare, menace et se trouve constamment menacée.
La défense de cet "esprit critique" est particulièrement remarquable dans le secteur des Sciences Humaines. Pour les partisans humanistes de l’esprit critique, les autres sciences, la technologie, le commerce, et même la médecine constituent déjà des domaines où, par définition, l’esprit critique, soumis aux fortes contraintes du marché, peine tout naturellement à exister.
Il est aussi aisé de constater que, parmi les partisans de l’esprit critique, on trouve un nombre considérable de collègues dont la pratique enseignante se résume à remplir le récipient étudiant avec un cours récurrent, c’est-à-dire, avec ce qu’ils estiment être la vérité. En Licence, nos collègues à l’esprit critique auront tendance à apprécier l’étudiant qui prend sagement des notes, remet en ordre leur exposé bancal, et qui, après un lourd travail de secrétariat, se comporte comme un parfait perroquet le jour du partiel. Plus tard, en Doctorat, ces enseignants choisiront de diriger le doctorant qui acceptera de travailler sur leurs sujets et de mener les enquêtes de terrain qu’ils ne veulent plus faire. Bref, ils dirigeront des serviteurs.
Ce comportement a une conséquence radicale : il conduit beaucoup d’étudiants en Sciences Humaines à laisser de côté, durant le parcours universitaire, toute velléité de pensée personnelle.
Lorsque des mouvements de "défense de l’esprit critique" se développent dans les universités, comme cela est aujourd’hui le cas, certains enseignants utilisent une méthode semblable par rapport aux collègues : gare à celui qui ne partage pas "la lutte", gare à celui qui s’y oppose, honte à celui qui la nuance. Les assemblées réelles ou virtuelles partent du principe que "tout le monde est d’accord, bien évidemment".
On assiste alors à un bien triste spectacle. De grands professeurs, reconnus dans le monde et assurés tous risques, susceptibles d’exprimer une pensée libre et individuelle, "partagent bien sûr" en assemblée ce qu’ils ne partagent plus dans les couloirs. Ils se sentent coupables de ne pas défendre, comme tout le monde, le fameux esprit critique.
Ces réunions témoignent d’une réalité simple : pour les défenseurs acharnés de l’esprit critique, celui-ci DOIT être le même pour tous ! Cette forme de pensée est bien connue. On y chercherait en vain l’esprit. On ne trouvera qu’ordre, hiérarchie et appareil. On y chercherait en vain la critique. On ne trouvera que la servilité du soldat.
Celui qui, par esprit tout court ou par liberté personnelle, manifeste son désaccord avec le groupe, s’expose à un deuxième coup de massue : on lui fera savoir qu’il n’a pas de conscience politique. Et c’est un fait : il n’a pas été à toutes les manifs, n’a pas lu tous les communiqués syndicaux, n’a pas assisté aux dernières assemblées. Et on sous-entendra qu’il est réactionnaire, donc inférieur.
Cette conscience politique vers laquelle on devrait tous progresser et que certains de nos collègues ont atteint, n’est rien d’autre que la volonté acharnée d’exercer une domination abusive sur les autres. Elle est, très clairement, sans grandeur.
Si la langue de bois de l’esprit critique cache l’absence d’esprit et l’absence de sens critique, la langue de plomb de la conscience politique cache, elle, la volonté d’empêcher les consciences de s’épanouir et la politique créative, transparente et confiante de voir le jour.
3 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON