Le bonheur qui vient
Pour changer, il faut savoir. Il faut savoir changer.
L’Apocalypse est enfin là. Depuis le temps qu’on l’attendait ! Cet hiver, on ne pourra donc pas se chauffer, peut-être même qu’on ne pourra pas cuire nos aliments, s’ils parviennent jusqu’à nous, et, le comble, ne plus regarder la télévision et ne plus avoir accès à Internet. Ce qui veut dire qu’on ne pourra plus se parler, plus se voir. Que le télétravail sera fréquemment impossible. Que ce sera la fin du monde tel qu’on le connaît.
Et vous voulez que je vous dise ? Grand bien nous fasse ! Combien d’entre nous rêvent d’une perte pareille ! D’un gain pareil ! Toute cette civilisation qui ne sait pas allumer un feu ou passer son bras sous celui de l’autre, enfin à terre ? Ce serait mon plus grand bonheur. Le nôtre, peut-être !
Oui, ça part d’un élan littéraire juvénile et extrême. Oui, c’est idiot. Mais l’inertie d’un monde qui est né avant nous est trop souvent frustrante pour la jeunesse de nos âmes. Tous ces panneaux de signalisation doivent tomber. Tous ces stop, ces « cédez le passage », toutes ces limitations à 80, à 30, tous ces dos d’âne et ces radars en ligne droite. On va peut-être enfin prendre le temps de faire attention aux enfants qui passent plutôt qu’à ces innombrables ronds-points et zébrages au sol.
Nous vivons dans la société du feu rouge. On attend sans cesse qu’il change au vert. Le courtier qui scrute sans cesse le moment de vendre. Le restaurateur qui écoute le son du trafic pour savoir s’il aura des clients à midi. L’hôtelier et le cuisinier dont les oreilles surveillent la clochette. L’employé de centre d’appels qui ne souhaite que la fin de la sonnerie. Le préparateur de commandes qui se déplace au rythme des bips de chariots élévateurs. Le maçon qui est dépendant de la grue. C’est censé créer de la valeur, ça crée surtout un boucan pas possible. Les propriétaires de pavillons situés près d’aéroports connaissent bien ce dont je parle. Ils sont enfermés chez eux.
Aller moins vite, ce sera une maladie dont beaucoup ne se remettront pas. Ils sont nés électriques. Ils ne pourront pas vivre organiques. Ils ont oublié leurs mains. Leur cervelle fonctionne en pilotage automatique. Leur malice ne considère que les moyens d’extraire toujours plus. Ils survivent en sur-vivant. Que deviendront-ils le jour où il faudra se contenter de vivre ? Vivre, c’est-à-dire considérer la résistance des éléments, de cette nature sauvage qui se meut de son propre rythme. Qui peut le plus peut le moins, dit-on. Je demande à voir.
Finis les véhicules avec chauffeur, il va falloir apprendre à conduire. Finie la cuisine tout prête, il va falloir apprendre à préparer. Les élites qui dirigent ont-elles les capacités intellectuelles et manuelles de se prendre en charge ? Il est clair que non. Si le peuple ne les démet pas, elles viendront se jeter à ses pieds pour leur demander charité.
Autrefois, « il était entendu que celui qui voulait sortir de la pauvreté risquait de tomber dans la misère. C’était son affaire. Il rompait le contrat conclu avec le sort. Mais on n’avait jamais vu que celui qui voulait se borner dans la pauvreté fut condamné perpétuellement à retomber dans la misère. » (Péguy, « L’argent », 1913) Revenir à la situation pré-industrielle demandera aux miséreux de retrouver la pauvreté en eux, la pauvreté primordiale de l’espèce, celle qui s’agite pour vivre et trouver des solutions en accord avec les contraintes exercées par le milieu, celle qui met en œuvre des qualités dans le fond extrêmement féminines. Cette situation est-elle vraiment sur le point de revenir ?
Passés ces paragraphes catastrophistes qui prennent le discours dominant pour argent comptant, questionnons-le, ce discours. Qui est-il censé servir ? Les personnes qui le lancent et celles qui participent à sa diffusion s’amusent-elles à souffler sur les braises de l’imaginaire collectif pour le simple plaisir du jeu ? Testent-elles les limites de leur invincibilité ? La pénurie énergétique est-elle un nouveau Covid, un leurre de plus lancé pour remplir des caisses vides et épaissir le brouillard de la sottise humaine ? Pour certains pays étrangers, le Covid peut avoir représenté la tentative de trop du filoutage occidental pour planquer la poussière sous le tapis et continuer à s’en mettre plein les poches. Il le peut, dans le cas où il n’y a pas de gouvernance internationale. Ce que nous pourrions enfin savoir dans les prochaines années, c’est qui a dirigé pendant ce dernier siècle. Qui dirige, ça restera un secret pour protéger les familles des dirigeants.
Dans les deux cas, que la pénurie annoncée soit réelle ou une manipulation supplémentaire, il faudra affronter la colère de ceux qui ne savent pas. Des coupures prévues ou spontanées restent des coupures. Il y a des réfrigérateurs, des plaques de cuisson et des radiateurs à faire tourner. Des ordinateurs. Des fraises de dentistes. Et des voitures, et même des bus, pour ceux qui ont accepté la « transition ».
Le bonheur dans tout ça, c’est l’imprévisibilité. Les luttes mentales pendant les périodes de confinement auraient diminué le nombre de suicides (sauf chez les jeunes femmes...). Pour une fois qu’il y a une guerre commune, un conflit, un évènement qui concerne l’espèce entière, ce serait dommage de le rater. En observant le spectacle, on a l’impression d’y participer. Qu’est-ce que ça serait si tout ça était vrai ? Si demain nous crevions tous de faim ou de froid, si nous ne pouvions plus nous déplacer ? Enfin une pensée virile ? Enfin l’extase ?
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