C’est une œuvre ambitieuse par laquelle le comité Orwell, présidé par Natacha Polony, a voulu commencer son combat idéologique. « Bienvenue dans le pire des mondes » est une remise en perspective globale des évolutions de nos sociétés, économiques, politiques et sociétales. Un livre tout aussi riche que recommandable. Premier aperçu, avec son analyse économique.
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Ce marché qui veut gouverner le monde
Le début de l’analyse est classique. L’ouvrage évoque le virage des années 1970 et le rôle considérable de l’administration Clinton aux Etats-Unis dans la déréglementation, de l’ouverture à la Chine,
qui a coûté des millions d’emplois aux Etats-Unis, à la finance (avec la fin du Glass Steagall-Act et le développement des produits toxiques). Ils dénoncent la désertion fiscale, des financiers, avec les 15% de taxation sur les plus-values des LBO, contre les plus de 40% par l’impôt sur le revenu
et celle des multinationales : ils rappellent qu’Apple emprunte pour payer des dividendes plutôt que de rapatrier ses profits, et payer 35% d’IS. Pour eux, «
le libre-échange débridé est un des causes de la Grande Dépression, de la montée des inégalités, de la paupérisation des classes moyennes occidentales ».
Ils citent les travaux de Branko Milanovic, ancien chef économiste de la Banque mondiale qui montre comment le libre-échange a accentué les inégalités, fragilisé les classes populaires des pays occidentaux, et produit un grave séparatisme social et un danger pour la démocratie,
dans la droite ligne des analyses de Guilluy. Enfin, ils rappellent que pas grand chose a changé depuis 2008 : selon McKinsey, en 2015, deux tiers des citoyens de l’OCDE avaient un niveau de vie plus bas qu’en 2005 ! Enfin, ils remettent la nouvelle économie à sa place,
comme je le fais ici sur le blog, en rappelant qu’elle recherche le monopole et que « l’ubérisation est une paupérisation (…) quels que soient les dégâts humains et sociaux. Sans se préoccuper d’éthique. Sans se poser de questions existentielles ». Ils notent qu’«
en devenant virtuelles et planétaires, ces forces (le marché, la technologie) se sont détachées de tout territoire et sont désormais hors d’atteinte des volontés populaires », citant «
L’homme nu ».
En somme, pour eux, «
nos belles sociétés occidentales sont ces nirvanas dans lesquels le droit et le marché régulent les rapports pour le plus grand bonheur des peuples appelés régulièrement aux urnes afin de trancher les grands problèmes ». Ils dénoncent la «
course au moins-disant, social, fiscal, environnemental » et que la «
seule réponse à la crise apportée par les élites occidentales : encore plus de globalisation, encore plus de dérégulation » produise un «
abaissement constant du collectif face à l’individuel, du public face au privé, de la politique face à la société civile ». Puis, ils reviennent sur le livre de Thomas Porcher et Frédéric Farah, «
TAFTA, l’accord du plus fort ».
Ils montrent que la démocratie fonctionne mal, comme le dit Jacques de Larosière, ex-gouverneur de la Banque de France : « La BCE est indépendante du pouvoir politique, comme toutes les grandes banques centrales. Mais ces institutions ne sont-elles pas tombées dans une autre forme de dépendance, cette fois aux marchés financiers ? Lorsque l’on constate l’énorme pression exercée par ces derniers en faveur de telle ou telle décision monétaire, on peut légitimement se poser la question » ou celle de David Rockefeller, au groupe Bilderberg en 1991 : « La souveraineté supranationale d’une élite intellectuelle et de banquiers mondiaux est assurément préférable à l’autodétermination nationale pratiquée depuis les siècles passées », puis en 1999, dans Newsweek : « quelque chose doit remplacer les gouvernements et le pouvoir privé me semble l’identité adéquate pour le faire ».
Ici,
rejoignant les analyses notamment développées par Jacques Sapir, le comité Orwell développe un point particulièrement dérangeant de cette globalisation ultralibérale : sa tendance à vouloir toujours plus corsetter les démocraties nationales, ce fameux «
soft totalitarisme » dénoncé par le livre, point que je développerai dans le prochain papier sur ce livre très riche.
Source : Natacha Polony et le comité Orwell, « Bienvenue dans le pire des mondes », Plon