Le couple est-il un lieu de plaisir ?
Quand on entend parler du couple, les mots les plus souvent employés font référence au bonheur conjugal, à l’harmonie, à la complicité. Construire quelque chose ensemble est aussi souvent cité. En ce qui concerne le plaisir, en dehors de son aspect purement sexuel quelquefois « toujours renouvelé » pour certains, le terme ne revient pas très souvent dans les conversations. Cela voudrait-il dire que le plaisir ne serait pas la préoccupation principale des couples ? On peut en douter en lisant le courrier du cœur, les romans pour midinettes, les interventions des psychologues à la télévision et les résultats des sondages d’opinion. Cependant, on doit se préoccuper de temps à autre des performances au lit pour donner l’impression d’être moderne et ne pas se considérer comme anormal. Le plaisir de la découverte des corps concerne uniquement la période initiale de la séduction. Les attitudes torrides, la passion c’est bon pour le début, au risque de se consumer trop vite. Ensuite arrivent les enfants, la création du patrimoine, l’image de marque d’une famille unie ne laissant guère de place à la fantaisie. A-t-on encore le courage ou la volonté d’offrir des fleurs ou de dire tout simplement je t’aime quand on doit téléphoner trois fois au plombier pour qu’il vienne réparer une fuite ou que l’on est obligé de se battre avec les artisans pour qu’ils présentent un devis réaliste pour une porte de garage ? La vie quotidienne est le mouroir des sentiments.
Et puis, ne parle t’on pas de paix des ménages, comme si le but suprême de la vie à deux était d’éviter la guerre. Les bourgeois du XIXème siècle, l’avait fort bien compris en épousant des présumées vierges dotées qui sorties du couvent leur feraient un héritier si possible mâle et les laisseraient ensuite courir la gueuse sans protestations, assumant ce qu’on appelait alors le devoir conjugal avec un minimum de fantaisie dans la prestation. Le plaisir (et les sérieux ennuis), ils allaient le chercher dans les bras des courtisanes et de demi-mondaines, jamais dans ceux de leurs épouses légitimes.
Le couple idéal est un lieu d’harmonie, de compréhension mutuelle et d’échange, nous disent les sages du petit écran et de la presse hebdomadaire. Le couple est aussi l’occasion de se montrer attentif, attentionné et solidaire en faisant semblant d’être encore amoureux. Les couples passionnels ne durent pas, ils se déchirent très vite car l’amour excessif est incompatible avec la sérénité et la durée. Aimer intensément, c’est avant tout apprendre à souffrir et connaître la peur de l’abandon. Les romantiques l’ont seriné tout au long de leurs poèmes, de leurs romans et de leurs compositions musicales. L’amour est angoisse, crainte et souffrance, uniquement compensées partiellement par la présence de l’autre quand il est de bonne humeur et par la copulation. Les gens heureux en ménage sont le plus souvent sans imagination et se satisfont de petits plaisirs centristes et normatifs qui n’entraînent aucune tempête fût-elle dans un verre d’eau. Si le jouisseur emmagasine les photos plus ou moins dénudées de ses maîtresses dans son téléphone, l’homme heureux en couple admire de manière bovine une photo encadrée avec sa femme et ses gosses qu’il a ostensiblement placé sur son bureau à la vue de ses collègues. Chez lui, souvent sur injonction de son épouse, il accrochera un grand cliché de son mariage au dessus du lit conjugal et d’autres de ses charmants bambins dans des petits cadres sur les murs du salon. C’est dur de ne pas tomber dans la niaiserie lénifiante, mais possible à condition de vouloir garder sa dignité.
Le couple et la famille :
Le couple est ce qui se fait de mieux pour être heureux à deux quand tout ce passe bien, c'est-à-dire très rarement pour ne pas dire de façon exceptionnelle. Routine, dépendance, chantage affectif, repli sur une structure sécurisante, désir de paternité, de maternité, les enfants et leur scolarité, tradition, peur de l’extérieur, manque d’imagination, peur de ses pulsions voila ce qui résume le mieux le couple. Les amoureux qui se bécotent sur les bancs publics de Georges Brassens, après le court émoi où ils se croient seuls au monde, se mettent rapidement à rêver de papiers peints à fleurs ou à rayures et de prénoms ridicules pour les enfants qu’ils veulent avoir. Plus question d’aller à la chasse aux papillons, de s’éclater au lit conjugal et de faire rimer amour avec toujours passés les premiers mois d’idylle. L’enfant est l’aboutissement du couple, entend-on le plus souvent. La reproduction est le but ultime du mariage selon la vision des trois monothéismes. La femme qui recevait sans sourciller les copains de son mari et les laissait stoïquement fumer cigarettes et pétards, boire toute la nuit en faisant du boucan et même participait activement à la fête, bien souvent ne le supporte plus après l’arrivée du premier enfant. Elle devient subitement une lionne dans sa tanière qui ne veut pas qu’on dérange ses petits et qui est prête à montrer les griffes et les crocs si l’on vient troubler la quiétude de son antre familiale. Plus question de soirée festive qui s’éternise et celui qui arrive à minuit avec une bouteille de Montrachet se fait vertement rembarrer, même si lui aussi travaille le lendemain. La femme dorénavant veut défendre bec et ongles son petit bonheur étriqué quitte à faire le vide autour de son mari.
Par contre, peu nombreux sont les couples qui osent avouer qu’ils peuvent très bien vivre sans enfants. Cette profession de foi est rare parmi les hommes, elle est exceptionnelle pour les femmes. Or, quel est celui qui dans un moment de découragement face à sa progéniture braillarde, désobéissante, coûteuse et ingrate n’a pas un instant regretté de ne pas avoir épousé une femme stérile au-delà de toute possibilité thérapeutique ! L’enfant fait partie intégrante de la composante narcissique du prolongement de soi par le biais de la descendance. Celui qui refuse de se reproduire fait figure de dangereux individu, voulant mettre en danger l’équilibre de la société. Ne pas se reproduire dénote d’un comportement antisocial, alors que se lancer dans une famille nombreuse traduit un égoïsme qui ne tient pas compte des besoins de la planète et de ses capacités de se régénérer.
Le couple et la famille rassurent devant l’inconnu et le monde extérieur potentiellement hostile, ils empêchent de s’installer la crainte de se retrouver seul et de se laisser aller à ses pulsions, ses névroses et ses angoisses. De fait, le couple et la famille ne font que déplacer les problèmes et remplacer les causes de mal-être par d’autres, toutes aussi déstructurantes et déstabilisantes. L’image du pater familias est désormais battue en brèche, mais au lieu d’harmoniser les rapports entre les sexes, c’est l’angoisse de castration du mâle occidental face au féminisme qui s’est installée. Désormais la femme doit faire face le plus souvent seule à des difficultés matérielles qu’elle n’avait pas quand elle était mère au foyer ou femme entretenue, du moins quand l’homme assumait matériellement ce qu’il considérait comme un devoir. Et les familles recomposées pour ne pas dire décomposées étant de plus en plus fréquentes, la femme se retrouve finalement plus souvent en situation de précarité plus ou moins prise en charge par les services sociaux. Quand elle ne l’est pas du fait d’une meilleure rémunération, elle est tiraillée par des obligations d’horaires et d’emploi du temps qui ne lui laissent guère le temps de souffler. Certains y ont vu un progrès.
La famille est capable de rendre heureux les individus peu imaginatifs, formatés par la routine et l’imitation. Pour être heureux en famille il faut privilégier la stabilité affective et mettre en veilleuse les émotions trop fortes. Il faut aussi viser à une harmonie éducative de la progéniture, cela ne laisse que fort peu de place à la fantaisie et aux débordements. Le bonheur familial s’identifie à une quiétude mollassonne dans un milieu apaisé et il aspire à une retraite décente si possible en bonne santé et encore à deux malgré les rhumatismes et les affections invalidantes. Celui qui trop naïf, croyait qu’en se mariant, il aurait une épouse obéissante qui satisferait tous ses désirs sans le contrarier le moins du monde, va vite déchanter. Une fois installé dans le mariage, son unique ambition sera de ne pas obéir en permanence à son épouse. La jeune timide soumise qui approuvait avec admiration toutes les initiatives de « son homme » cachait bien son jeu et une fois passée devant le Maire, elle a fait très vite remarquer que c’est elle qui avait désormais droit à la parole et à la décision. Mais, à de rares exceptions, (les optimistes et les aveugles peuvent cependant vous citer un nombre impressionnant d’exemples édifiants), le couple qui perdure est surtout un lieu d’affrontement, de mensonges, de bassesses, de cachotteries et de mesquineries. Chez certains, au fil des ans, s’installe une haine réciproque qui au lieu d’aboutir à une rupture, crée paradoxalement un ciment indestructible qui rend toute séparation impossible tant la dépendance vis-à-vis de la haine de l’autre est devenue indispensable si ce n’est consubstantielle du couple. Inutile de dire que la sexualité a habituellement disparu chez ces couples qui font le plus souvent chambre à part. La dévalorisation permanente de l’autre n’amène guère aux rapprochements érotiques. Mais parmi ceux qui ne vivent pas à couteaux tirés, le couple est l’ultime remède contre la solitude avant de passer au chien, au canari et à la plante verte.
La routine rassure, car la passion amène plus de contraintes et de désagrément que de satisfaction. Etre heureux en famille ou en couple, tient avant tout de l’aveuglement, de la mise sous le boisseau de ses rêves et de son imagination. Le courage pour un homme est le plus souvent de fuir pour éviter l’affrontement, car il sait qu’au moindre accrochage, la société lui donnera tort même s’il n’a pas été violent. Orelsan, le rappeur de Caen, aurait mieux fait de lire Michel Onfray plutôt que de crier son amertume en termes un peu verts quand il s’est retrouvé trompé et humilié. Féministes et bien pensants lui sont tombés indignés sur le poil, alors que tout homme abusé a pensé au moins une fois les pires horreurs sur son ex-compagne avant de se calmer, surtout s’il avait trop bu pour apaiser sa douleur. Le grand Nietzsche, malgré les hauteurs qu’il prétendait atteindre n’a pu s’empêcher de traiter Lou Salomé de « petit singe décharné, sale et nauséabond » dans sa correspondance quand il fut éconduit. Tout le monde ne peut pas chanter, ne me quitte pas, tout en sachant que cela sera vain. Par contre, les grands chagrins d’amour peuvent être partiellement consolés dans des bras mercenaires, le temps, sinon d’oublier, du moins de se calmer. Le Milord d’Edith Piaf a bien de la chance de trouver une fille du port, une ombre de la rue pour l’aider à remonter la pente même s’il ne se sent pas vraiment mieux après.
Mais ce qui cimente le couple on ne peut que le répéter, c’est l’enfant. Aimer ses enfants, éprouver du plaisir en leur compagne et leur trouver des qualités tient avant tout du mimétisme et du narcissisme. Chaque être doué d’un minimum d’intelligence et de connaissances statistiques a l’intuition que sa probabilité d’engendrer un nouvel Einstein, Robert Redford, Louise Michel ou Catherine Deneuve est incommensurablement faible. Sans aller jusqu’à espérer la célébrité médiatique pour ses rejetons, il sait instinctivement qu’il a de forte chance de donner naissance à une progéniture se classant dans la moyenne de l’intelligence, de la beauté ou de quelle qu’autre qualité qu’il puisse imaginer. Or, quel est le père et surtout la mère qui soit capable de regarder ses enfants avec lucidité sans a priori favorable ? Infiniment peu en réalité, car cela remettrait en cause des certitudes et pourrait déstabiliser psychologiquement le couple et mettre en danger l’équilibre de l’enfant. On aime ses enfants et on se sent bien avec eux d’abord parce quasiment tout le monde le dit au point d’en faire un leitmotiv. L’inflation de déclarations positives vis-à-vis de la descendance parmi les gens classés parmi les normaux est telle que leur parole prend valeur d’axiome. « Les gens autour de moi disent aimer leurs gosses, j’en ai, donc il est normal que je les aime ». Deuxième axiome, « comme je les aime, ils sont forcément, beaux et intelligents ». Ceux qui sont moches, adipeux, stupides, et bien, on les aime quand même parce qu’il le faut bien. Le quand même est un aveu a minima de leurs défauts, mais un aveu indéniable ! Il s’installe une vérité a posteriori par le biais du mimétisme des clichés rassurants que beaucoup prennent de façon erronée pour des sentiments. On se ment à soi-même pour s’assurer le bonheur et pour refuser de voir les inconvénients. Ce qui pourrait être regardé comme de l’hypocrisie est en fait une réaction de protection contre la déstabilisation mentale pouvant mener à la folie si l’on admettait facilement ses enfants comme laids, stupides, ridicules et infects, or, ils le sont quelquefois. Tout le monde n’engendre pas un petit Mozart, cela dit, ce n’est pas une justification pour l’assassiner. Autre interrogation, « Si je ne les aime pas, je suis un monstre ou un fou ! ». Tel est le raisonnement de l’immense majorité des parents. Pour être heureux, il ne faut pas faire preuve d’originalité ou d’un excès de réflexion, il faut se laisser porter par la routine et les lieux communs. Il faut se livrer à la vague émotionnelle consensuelle et se laisser aller au narcissisme qui rassure, même si cela doit être fait au dépend du développement de l’enfant devenu projection d’un avenir que l’on n’a pas eu soi-même. Si l’on s’en remet uniquement à la raison, il n’existe logiquement pas plus de probabilité d’aimer ses enfants que d’apprécier un voisin ou un collègue de bureau. S’il parait tout à fait évident que parmi cent employés dans une entreprise ou cent locataires dans un immeuble, il n’y en ait qu’un ou deux qui puissent vous intéresser, il devrait en être de même avec les enfants, car peu nombreux sont ceux qui donnent naissance à des individus dignes d’intérêt. Statistiquement parlant, on a plus de probabilité de mettre au monde un enfant banal qu’un petit génie. C’est d’ailleurs ce que l’on constate avec ceux des autres, en les regardant sans parti pris, ils ont le plus souvent l’air particulièrement quelconque, pour ne pas dire médiocres et désagréables. Car à moins d’être une femme en extase devant chaque bambin, pour les gens normalement constitués, la majorité des gamins d’autrui est totalement sans intérêt, voire ridicule et agaçante. Il faudrait avoir le bon sens de se dire qu’il est tout à fait naturel que ses enfants n’entraînent que de l’indifférence ou de l’irritation chez ceux qui n’ont aucun lien familial avec eux. Chaque père, chaque mère devrait pouvoir regarder ses gamins avec l’œil de ses voisins, mais, dans l’éventualité où l’on en soit capable, cela serait tellement perturbant et l’on en éprouverait un tel malaise, qu’il serait difficile de s’en remettre. Si l’on peut parler de nature en ce qui concerne l’instinct maternel, alors la nature fait bien les choses en créant un leurre contre raison qui permet l’acceptation et la vision positive de l’enfant. Ainsi, les femmes violées qui donnent naissance à un enfant arrivent à éprouver des sentiments pour celui-ci, alors que la logique devrait les inciter au rejet sinon à la haine. Sans cela, l’éducation de tels enfants serait impossible sans négligences ou carences affectives. L’amour des parents pour leurs enfants est donc une illusion nécessaire qui s’amplifie en s’auto-entretenant, pour maintenir en état de marche la cellule familiale dans l’intérêt éducatif de la progéniture.
Qui n’a été interrompu au moment crucial par un nourrisson braillard ou un gamin qui a fait un cauchemar alors qu’il était en pleine copulation ? Qui n’a pas pesté un week-end, tiré d’une grasse matinée prometteuse, parce qu’il fallait se lever aux aurores pour emmener le plus grand à un stage ou à une randonnée organisée par le collège ? Et quand on est responsable et non fortuné avec un emploi du temps chargé, il devient impératif de faire des choix et de privilégier les besoins et les plaisirs de l’enfant au lieu de partir seul en vacances aux Caraïbes, se payer le dernier gadget qui faisait envie. Il faut hélas perdre son temps précieux à surveiller les devoirs, s’extasier devant les dessins atroces que les gosses produisent en bas âge et les accrocher au mur ou sur le réfrigérateur avec une ostentation feinte ou encore s’ennuyer à en mourir aux réunions de parents d’élèves où les autres géniteurs ont des têtes d’abrutis qu’on aurait envie de gifler dès qu’ils ouvrent le bec. La parentalité est une école du renoncement et de la frustration de ses désirs élémentaires. L’enfant nécessite des sacrifices et impose des choix qui ne vont pas du tout dans le sens de la satisfaction des plaisirs individuels. En prendre conscience ne veut pas dire renoncer à s’en occuper, c’est ce qu’on appelle la responsabilité. L’enfant, la chair de notre chair, le sang de notre sang est hélas souvent celui qui limite et freine l’expression de nos désirs immédiats. C’est cela aussi, la procréation responsable.
La fidélité dans le couple
La fidélité est une notion qui s’est installée au fil de l’évolution des civilisations pour garantir aux mâles la certitude de leur paternité. Il en fut de même pour la mise des bâtards au ban de la société. La fidélité est indissociable de la transmission du patrimoine, car à quoi bon avoir des héritiers, si l’on n’est pas sûr qu’ils soient génétiquement vos enfants ! Contrairement à ce que l’on pourrait penser quand on manque de vocabulaire, un père putatif n’est pas celui qui fréquente les prostituées, loin de là. La jalousie est avant tout un sentiment créé par la peur de perdre un bien. L’adultère n’est jamais ressenti de façon agréable quand il est subi, mais son image a évolué dans la société occidentale vers une plus grande considération des droits de la femme. Madame Bovary se tirerait nettement mieux d’affaire, même dans une sous-préfecture de nos jours. Jadis, des épouses trompaient aussi leurs maris, mais elles le faisaient dans la discrétion, au risque de leur tête, telles les femmes d’Henry VIII ou de la répudiation et de l’opprobre. Les hommes avaient des maîtresses et fréquentaient des filles de joies, les bourgeois troussaient les bonnes et en dehors des prêtres et de quelques moralistes, personne n’y voyait à mal tant que cette propension n’entraînait pas des dépenses excessives menaçant le patrimoine. Seule la prodigalité était condamnable car elle mettait en danger le capital. De nos jours, la fidélité est encore possible dans le couple à condition d’être réciproque et protégée par des garde-fous comportementaux. Sinon, s’installe le doute, la jalousie, l’espionite qui débouchent rapidement sur la perte de confiance. Combien se prennent un amant ou une maîtresse non par attrait physique mais par peur du ridicule d’être cocu le premier. On supporte plus facilement d’être trompé quand on a commencé soi-même. L’infidélité est une solution pour le couple et peut paradoxalement l’aider à durer à condition d’être dissimulée et non étalée au grand jour et que chaque membre du ménage ait l’intelligence de ne pas être trop inquisiteur et suspicieux, ne pas trop chercher à savoir et se satisfaire de la présence de l’autre quand il est présent. L’emploi du temps influe aussi grandement sur les possibilités d’adultère. Il est certain qu’un couple de charcutiers ou de pharmaciens mutualistes qui part tous les matins ensemble ouvrir la boutique et rentre à la maison à la fermeture pour y faire la comptabilité aura peu d’occasions d’aller voir ailleurs si les étreintes sont meilleures. Quand on a un travail à horaires fixes et connus du conjoint, l’adultère devient alors un exercice digne du jeu de go, il faut se faire un territoire et placer ses pions et surtout savoir inventer des mensonges et anticiper ses coups. La moindre étourderie ou erreur de stratégie se paie cash. Le mensonge par omission protège la viabilité du couple, car la sincérité fait mal quoiqu’en disent la plupart des gens. Elle n’est utile qu’en cas de rupture et de divorce, sauf si la dissimulation autorise des bénéfices ou des avantages financiers ou permet la garde des enfants. Mais l’adultère reproduit bien souvent un couple bis, avec les mêmes poncifs et les mêmes mesquineries.
Quand il a simplement envie de baiser, l’homme n’est guère plus qu’un vulgaire canidé en rut. Par contre, quand il est amoureux, il perd tout sens commun, qu’il soit académicien, ouvrier, paysan ou malheureusement pour lui chef de gare si l’on en croit la chanson. Le sentiment amoureux n’est pas une question d’intelligence, mais de sensibilité qui transforme l’esprit le plus clairvoyant en pitoyable loque quand les choses commencent à mal tourner. La plupart du temps, l’homme amoureux se conduit comme un imbécile ; c’est même à cela qu’on le reconnaît. Aimer c’est avant tout se comporter comme le pire des crétins, mais c’est tellement agréable, du moins au début, avant que les ennuis commencent.
La femme a plutôt les pieds sur terre, en dehors de quelques naïves midinettes qui croient encore au prince charmant. La femme est bien souvent plus pragmatique, plus terre-à-terre, en un mot plus mature et arrive plus facilement à rompre et à passer à autre chose, même si les tentatives de suicide (non suivies d’issue fatale), pour motif de rupture sont plus fréquentes chez elle. D’ailleurs près des deux tiers des divorces en France sont désormais demandées à l’initiative de l’épouse. La femme est plus raisonnable, certains esprits amers diront calculatrice dans ses amours, elle voit très rapidement les défauts de son homme, elle sent voir venir l’adultère avec la sagacité d’une détective digne d’Agatha Christie, alors que l’homme est le plus souvent aveugle devant l’évidence même. En terme cru, l’homme a très souvent l’air d’un con quand il est amoureux, il devient minable, pitoyable, souffreteux et totalement déplorable quand il est déçu ou trompé. Jacques Brel a chanté l’amour et ses déceptions avec un tel brio que cela donne envie de se flinguer après avoir bu le calice de l’amour jusqu’à l’hallali.
Dans un couple, les désirs, les fantasmes, il vaudrait mieux les garder pour soi ou les assouvir en cachette à l’abri du regard de son conjoint, que l’on soit un homme ou une femme. Les déboires de la Princesse de Clèves ont commencé bien avant que Nicolas Sarkozy ne s’acharne sur elle. Ils ont débuté le jour où elle a eu l’idée saugrenue de parler de ses sentiments et de ses émotions à son mari. Si elle avait su se taire, elle aurait eu le choix de repousser les avances du godelureau qui la reluquait ou de se le prendre comme amant en toute discrétion tout en continuant à copuler conjugalement. En matière d’adultère, moins les protagonistes en disent et mieux ils se portent. Le mutisme et la discrétion protègent le couple ; quand on trompe son conjoint le silence n’est pas d’or mais de diamant ou de platine. Bien-sûr, il n’y aurait pas eu de roman édifiant, mais une situation bien plus réaliste où les protagonistes composent et sont obligés au mensonge et à la dissimulation pour vivre leur vie sans trop d’inconvénient. Mentir est salutaire quand il y va de sa tranquillité ; pécher par omission est une faute bien vénielle, on appelle cela, éluder. Madame de Lafayette, par contre ne dit pas si la Princesse de Clèves avait ou non des orgasmes avec son mari, ce qui peut tout changer aux mécanismes de l’intrigue, car si l’époux était un piètre baiseur, les atermoiements de la Princesse sont incompréhensibles. L’homme trompé qui en a conscience est malheureux, mais il est moins ridicule que le cocu qui s’ignore. Ceux qui baisent en éprouvent du plaisir, ceux qui aiment doivent accepter la souffrance.
43 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON