Le dernier bizutage d’un charpentier remonte à plus de 2000 ans
Les institutions ne sont pas au-dessus des lois et elles le savent. En revanche, il est dommage de constater qu’au vingt-et-unième siècle, elles se considèrent pour beaucoup au-dessus de la morale. On n'a pas tous les droits parce qu'on sauve des vies.
Le bizutage illustre bien ce genre de dérives. Tout le monde sait que c’est mal, mais on agit comme si c’était l’institution elle-même qui l’imposait. Alors, pour redonner sa place à l’humain dans notre société il est temps d’en finir avec ces pratiques barbares.
D'abord, on peut se demander quelle est la fonction de ces rites cruels et souvent violents.
Il est facile de constater que ce sont dans les institutions réputées autoritaires que le bizutage est le plus répandu. Quelques-unes ont réussi à le remplacer par un entraînement extrême et souvent pénible qui fait office de rite de passage pour les postulants (GIGN, Légion étrangère…), mais dans certains cas, le plus souvent parce que ce qui constitue les bases d’un bon bizutage – privation de nourriture et de sommeil, exposition à des conditions climatiques difficiles, etc. – il est difficile de recourir à un tel subterfuge. Comment justifier que l’on doive résister au froid, au manque de sommeil et à la faim parce qu’on prépare HEC ou que l’on veut devenir médecin… ou acrobate chez les pompiers ?
Dans de tels cas, le bizutage par l’entraînement (poliment rebaptisé « bahutage » dans nos armées) n’est plus possible et on ressort du placard les bonnes vieilles humiliations, mentales ou corporelles.
J’en reviens maintenant à ma question initiale : « Pourquoi le bizutage ? » Sur ce point, ma théorie est simple : au sein des institutions où l’autorité n’est pas toujours liée aux compétences, ceux qui commandent doivent savoir pourquoi ils commandent. On leur donne alors une réponse toute faite : « Parce qu’ils ont été bizutés ».
Le bizutage devient alors un élément constitutif de l'autorité, d'autant plus important que l'institution en question n'est pas confrontée aux réalités du terrain et que les "chefs" qui la composent ne peuvent susciter l'adhésion grâce aux résultats qu'ils auraient obtenus (c'était le cas dans l'armée "régulière" des années quatre-vingt — avant que les troupes ne soient envoyées sur des théâtres d'opérations extérieurs).
Au mieux, la hiérarchie tente de canaliser et d’encadrer ces pratiques, allant même parfois jusqu’à les justifier (traditions, cohésion, esprit de corps…), mais elle ne remet jamais en cause leurs fondements, et ce pour une bonne raison : le bizutage reste le meilleur moyen d'asservir un individu ou un groupe d'individus.
En effet, une personne humiliée n’a que deux options : quitter l’institution (si possible, sans faire de vagues) ou y adhérer pleinement. Accessoirement, si elle reste, elle n’aura aucun état d’âme à imposer son autorité à ceux qui n’auront pas subi les mêmes rites de passage, c’est pourquoi ces « cérémonies » n’ont pas lieu quand on rejoint une institution, mais chaque fois qu'on en gravit les échelons.
Alors, que faire ?
Si, en tant que parents ou qu'éducateurs, on peut insister sur le fait que la remise en question du système doit être une préoccupation constante (quitte à se préparer à vivre une période difficile pendant l’adolescence de nos rejetons), la tâche est plus ardue pour un simple citoyen.
Il reste cependant des choses à faire. Une écoute et un soutien aux victimes qui osent briser la loi du silence me semblent un minimum, mais une autre partie du travail – la plus difficile – consiste à refuser le culte voué à certaines institutions.
Vive super-maçon !
C’est dans le bâtiment que surviennent le plus d’accidents du travail et le plus de morts « en service ».
http://www.preventica.com/dossier-btp-secteur-risque.php
A-t-on jamais vu quelqu’un s’émouvoir sur ces héros qui construisent nos maisons, nos ponts et nos routes ? Non. Comme c’est un milieu où le métier « s’apprend » et où il est impossible de faire semblant d’être compétent, les hommes n’y ont pas besoin d’uniformes, de grades ou de cérémonies. La profession, malgré sa dangerosité, n'intéresse pas les médias, d'autant plus qu'elle est mal rémunérée.
Démystifier les institutions, aussi utiles soient-elles, doit devenir un souci constant du citoyen comme du pompier, du chômeur comme du pilote de chasse. Lorsque les honnêtes gens cesseront de chercher des modèles parmi les élites — ou plutôt ceux qui sont présentés comme tels —, ces mêmes élites comprendront que ce qu’on attend d’elles, c’est qu’elles sauvent des vies ou qu'elles arrêtent des criminels comme un maçon construit une maison, avec efficacité et professionnalisme.
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