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Le DIF est difficile

Le titre de l’article II de la Loi relative à la formation et à l’orientation professionnelle tout au long de la vie s’intitule « simplification et développement de la formation tout au long de la vie »

La Loi a donc été promulguée le 25 novembre 2009 et elle sera applicable le 1 er janvier 2010. Cette Loi bien loin d’organiser la flex-sécurité à la française risque d’aboutir à un résultat inverse, ajoutant encore de l’insécurité et de la complexité là alors qu’on prétendait faire simple et sûr.
En fait de flex-sécurité c’est bien plutôt d’insécurité généralisée (pour les entreprises comme pour les salariés) que résultera ce texte, laborieuse mise en oeuvre d’accords interprofessionnels mal conçus et ambigües.

Une des innovations portée par cette nouvelle Loi de novembre 2009 résidait dans la portabilité du DIF, portabilité censée aider à la sécurisation des parcours professionnels (c’est par ailleurs le nom d’un nouveau fonds : le FPSPP, fonds paritaire de Sécurisation de Parcours Professionnels)

 

La portabilité remplace donc la transférabilité, jolie "arnaque sémantique" qui abusait jusqu’à présent les salariés découvrant lors d’un licenciement le vrai sens du mot transférabilité pour les partenaires sociaux : la liquidation pure et simple de leur Droit à la formation à des conditions financières très défavorables (surtout pour les moins qualifiés).

Exit donc la transférabilité (qui a entraîné la perte de centaines de milliers d’heures de DIF depuis 2005) et place donc à cette portabilité tant attendue et espérée.

 Le DIF devient donc portable mais le législateur n’a pas pu, pas voulu ou pas su rendre les choses simples.

La portabilité est évidente dans son principe : j’emporte mon DIF chez mon nouvel employeur ou en tant que Demandeur d’Emploi et j’ai encore deux ans pour le réaliser (chez un nouvel employeur).

 Tout ceci est compréhensible mais ce qui l’est moins c’est la façon dont les partenaires sociaux (et donc la Loi qui était tenue de reprendre les accords) ont organisé la portabilité.

 Petit tour d’horizon de quelques une des zones d’ombre qui planent sur la portabilité à la française (nous n’avons pu décrire toutes les situations problème tant elles seront variées et apparaîtront au cours du temps)
(Laissons de coté les interrogations pour le salarié qui doit demander son DIF pendant son délai préavis mais qui dans le cas d’une faute lourde ou d’une rupture conventionnelle est justement dispensé de préavis. )

 

Concentrons nous donc sur le régime le plus simple (et aussi le plus fréquent) celui d’un salarié licencié pour cause économique.

Dans ce cas deux alternatives se présentent à lui

  • Il demande son DIF avant la fin du délai préavis : C’est la situation la plus évidente (celle que nous ne saurions trop conseiller aux salariés s’ils veulent être certains de pouvoir réaliser leur DIF)

La somme de 9,15 € de l’heure multipliée par le nombre d’heures de DIF permettra de financer une action de bilan de compétence, de VAE ou de formation. Une personne ayant par exemple cumulé 100 heures de DIF quittera sa société avec un DIF valant 915 euros, somme due par l’employeur. Admettons que ce salarié trouve un organisme de formation travaillant sur une base horaire moyenne de 20 €/h, il pourra donc suivre un stage d’une cinquantaine d’heures.

S’il souhaite par contre bénéficier de la totalité de son capital (100 heures donc) ce même salarié devra payer de sa poche le complément. Si le salarié paie ce complément il devra en plus régler une TVA de 19,6 % sur cette part (qu’il ne pourra pas récupérer comme son entreprise le fait).

 

  • Le DIF n’est pas demandé pendant la période de préavis : les choses se compliquent car le mécanisme imaginé par les partenaires sociaux puis le législateur est assez irréaliste (comment faire compliqué tout en déclarant qu’on fait simple). Le DIF se transforme donc en crédit d’heures portables dans une nouvelle entreprise ou chez pôle emploi.

 

  • Premier problème : Qui va payer ? La Loi ne donne pas de réelles précisions. Il est simplement dit que le DIF portable est dû par l’entreprise quand il est demandé durant le délai préavis. On pourrait en déduire qu’il n’est pas dû par l’entreprise une fois que son (ex)salarié a quitté l’entreprise. S’il n’est pas dû par l’entreprise, il l’est donc par l’OPCA de cette même entreprise. Cette interprétation est probable (l’OPCA jouant alors le rôle d’une assurance DIF pour l’entreprise, la « couvrant » en cas de DIF portable) mais on peut aussi imaginer que si l’OPCA règle effectivement la facture pour ce DIF porté, il pourra ensuite se retourner vers l’entreprise adhérente afin de récupérer la somme payée pour ce DIF porté. Dans ce cas c’est donc toujours l’ancienne entreprise qui paierait pour le DIF porté et réalisé durant le préavis ou chez Pôle emploi.
  • Deuxième difficulté : que se passera-t-il quand un OPCA aura disparu ou été absorbé par un autre OPCA dans les 2 prochaines années (qui nous promettent de grandes bouleversements avec des manœuvres de fusions et de regroupement). Qui paiera alors pour ce DIF porté d’un salarié licencié si son OPCA de rattachement a disparu ou n’a plus de fonds ? La question mérite d’être posée quand on connaît les grandes difficultés qu’il y a aujourd’hui à financer un DIF ordinaire avec certains OPCA .
  • Troisième problème : qui va gérer le compteur d’un salarié se retrouvant à pôle emploi, travaillant 3 mois dans une société en CDD par exemple puis retournant à pôle emploi et ainsi de suite (c’est malheureusement un cas de plus en plus fréquent)
  • Quatrième problème, que va-t-il se passer quand un salarié arrivera dans une nouvelle entreprise avec son DIF porté ?


  • 100 heures de DIF représenteront un coût que l’entreprise accueillante pourrait ne pas apprécier (surtout si la formation demandée par le salarié n’est pas prise en charge par l’OPCA car ne faisant pas parti des priorités de branche).
  • Les employeurs pourraient être tentés d’utiliser ces heures de DIF pour mener à bien l’intégration du nouveau salarié mais de nombreux syndicats s’y opposeront estimant qu’il s’agit d’une obligation du contrat de travail, pas du développement des compétences du salarié.

 

Si le salarié ne demande pas ses heures de DIF dès son embauche mais après un an ou 18 mois le nouvel employeur pourrait se trouver dans l’obligation de tenir deux compteurs DIF (trois même dans certaines branches professionnelles ayant conservé la transférabilité )

Le premier compteur DIF traditionnel comptabilisera les heures de DIF classiques cumulées par le salarié à raison de 20 h par an et qui obéiront au régime principal du DIF (hors temps de travail et avec l’accord de l’employeur)

Le second compteur DIF devra comptabiliser les heures de DIF portées puisque celles-ci n’obéiront pas aux mêmes règles d’accord que le « DIF classique » : un refus ne pourra pas être opposé au salarié si celui-ci réalise ses heures de DIF dans les 2 ans, hors temps de travail et sans allocation formation (mais tout de même avec l’accord de l’OPCA). Ce second compteur sera d’autant plus nécessaire que la personne n’a aucune obligation de liquider son compte DIF porté en une fois et qu’il reste possible de prendre ses heures DIF en 2, 3 ou 4 fois durant les 24 mois d’intégration dans la nouvelle entreprise.

 

  • Cinquième difficulté : La vie professionnelle de nombre de salariés est de plus en plus heurtée, plus du tout un « long fleuve tranquille ». Si un salarié passe en quelques années par plusieurs entreprises via des CDD, des missions courtes, un CDI interrompu, de l’intérim…. Que se passera-t-il pour son DIF porté. Qui tiendra le compte des heures utilisées, des heures dues, des heures cumulées et surtout qui au final paiera pour un DIF qui risque au fil des ans de ne plus devenir qu’un assignat, une monnaie de singe sans valeur. (les emprunts russes au moins pouvaient eux être accrochés au mur dans un cadre !)

 

Nous sommes loin d’avoir imaginé tous les cas de figures qui vont invariablement se poser aux entreprises et aux salariés avec ce texte mal fichu qui pourrait entraîner le contraire de ce qu’il recherchait : une insécurité durable pour le monde du travail.

Certains attendent la publication des décrets d’application pour y voir plus clair mais nous sommes le 23 décembre, il reste 8 jours pour trouver et inventer des explications de textes, ça sera difficile et on peut aussi imaginer que les fêtes de fin d’année aidant on laissera le monde du travail se débrouiller à partir du 1 er janvier avec un texte qui a réussi le tour de force d’être issu d’un accouchement interminable (près de deux ans de tergiversations alors qu’au plus fort de la crise plus de 3000 personnes perdaient leur emploi) et d’être inapplicable à force de compromis et d’aller retours incessants.

 

 

D Cozin

Ingénieur de formation professionnelle

auteur d’"histoire de DIF"


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6 réactions à cet article    


  • Yohan Yohan 24 décembre 2009 11:52

    C’est complètement débile cette législation. Non seulement, on va faire supporter le coût des heures DIF au nouvel employeur et on ne sait toujours pas qui paye. Cela va finir par se retourner contre les chômeurs concernés qui se verront pénalisés à l’embauche. C’est comme si on leur met un boulet de plomb à la patte,


    • NOVATEM NOVATEM 24 décembre 2009 15:29

      Mais mon cher Didier, pourquoi faire simple quand on faire compliqué ?

      Bon, d’accord, quand on voit le titre intitulé « simplification et développement de la formation tout au long de la vie », A ce niveau, on se demande s’il s’agit d’inconscience ou d’incompétence...Un peu des deux peut-être.

      Cela étant dit, en tant que juriste, j’aime bien les situations compliquées ! (on a besoin de moi ! ;).



      • NOVATEM NOVATEM 24 décembre 2009 15:30

        Et pendant que j’y suis, autant faire de la pub pour mon forum spécialement dédié au DIF : http://www.le-dif-en-questions.fr


        • NOVATEM NOVATEM 24 décembre 2009 15:31

          J’écris trop vite : lire « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué » (mais j’imagine que tout le monde aura corrigé de lui-même)


          • NOVATEM NOVATEM 24 décembre 2009 15:34

            Je ne peux pas intervenir sur tout mais un point a été oublié : le régime juridique du DIF en cas de démission. Le problème se posait déjà avant la loi du 24 novembre 2009 mais ici le problème se pose en des termes un peu différents.


            • scavenger scavenger 5 janvier 2010 14:16

              mon employeur est basé à l’étranger mais possède un cabinet comptable en France, où il paie toutes les charges et taxes de le même façon que n’importe quelle entreprise du secteur : SSII.

              Impossible de savoir qui doit financer mon DIF, pourtant j’ai écrit au FONGECIF, ils ne savent pas quoi répondre car ils ne répondent pas...

              Merci les taxes inutiles :)

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