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Accueil du site > Actualités > Société > Le droit de manifester contre les sommets du G8

Le droit de manifester contre les sommets du G8

Lors du G8 de Gênes en 2001, le manifestant antimondialiste Carlo Giuliani fut blessé mortellement par un jeune policier de vingt ans. Ce recours à la force meurtrière ayant été jugé nécessaire, l’Italie ne fut pas condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme dix ans plus tard (arrêt du 24 mars 2011). Quelques jours avant l’ouverture du G8 de Heiligendamm en 2007, deux ressortissants allemands furent cette fois arrêtés par la police de Rostock et gardés cinq jours en détention pour avoir été en possession de bannières invitant à la libération de prisonniers. Cette mesure les empêcha mécaniquement de participer aux manifestations contre le sommet des chefs d’Etat. Le 1er décembre 2011, la Cour européenne des droits de l’homme vient de condamner l’Allemagne pour violation du droit de ses deux ressortissants à la liberté de réunion pacifique (arrêt Schwabe et M.G.). Si cette issue est compréhensible, il existait cependant des arguments qui auraient pu convaincre de la licéité de l’entrave aux droits des deux manifestants.

LES ARGUMENTS EN FAVEUR DE L’ENTRAVE À LA LIBERTÉ DE RÉUNION

Le gouvernement allemand pouvait espérer que la Cour de Strasbourg serait sensible à deux types d’arguments justifiant sa gestion de la situation en 2007.

D’une part, en plaçant en détention les deux jeunes contestataires, l’Etat n’a fait que respecter son obligation positive de protéger la société contre la commission d’infractions imminentes. Il faut souligner le caractère singulier de la défense des autorités allemandes, qui sollicitent un mécanisme, les obligations positives, habituellement utilisé par les juges européens pour condamner les Etats qui sont restés passifs face à une menace pour les droits fondamentaux. En l’espèce, l’Allemagne invoque que les deux personnes ont été appréhendées car elles entendaient inciter autrui à libérer des prisonniers par la violence ; les laisser se rendre aux manifestations contre le G8 aurait donc été une faute encore plus grave de l’Etat. La Cour refuse pourtant ce raisonnement : l’obligation d’agir qui pesait sur les forces de l’ordre ne les autorisait nullement à retenir pendant cinq jours les deux individus, non armés, dont les banderoles n’invitaient pas explicitement à la commission d’infractions.

La seconde donnée qui semblait favorable à l’Allemagne tenait à la difficulté pour les autorités concernées de garantir la sécurité des participants au G8, face aux quelques 25 000 manifestants attendus, dont beaucoup avaient des intentions violentes. Le défi était considérable et il fallait prendre des décisions rapidement. Les forces de l’ordre étaient les mieux placées pour juger la situation, d’où une marge d’appréciation à mettre au crédit de l’Etat. Une considération de ce type a épargné à la France une condamnation européenne dans l’affaire de l’interdiction de la distribution d’une soupe au cochon lors de l’hiver 2006 (décision du 16 juin 2009). Dans l’affaire allemande, cette donnée était insuffisante à justifier l’attitude excessive des autorités.

LES ARGUMENTS PROUVANT LA VIOLATION DE LA LIBERTÉ DE RÉUNION

Pour schématiser le raisonnement de la Cour européenne, les motivations des deux manifestants méritaient protection et le traitement qu’ils ont subi n’était pas nécessaire dans une société démocratique. S’agissant du premier point, les juges attachent une importance cruciale au fait que les deux ressortissants allemands désiraient, en se rendant avec leurs banderoles aux manifestations en marge du G8, participer à un débat sur des questions d’intérêt public (en l’occurrence sur les conséquences de la mondialisation). On relèvera qu’habituellement, ce sont les Etats traduits à Strasbourg qui invoquent des impératifs d’intérêt public pour se justifier d’avoir restreint les libertés des individus. Ici, le label joue contre l’Allemagne, car il rend hautement suspecte l’entrave infligée à la liberté d’expression et au débat public. En 2010, la Cour avait indiqué à la Moldavie qu’il était contraire à l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme d’interdire une manifestation d’un parti politique d’opposition, dès lors que le discours de ce dernier constituait une forme d’expression sur une question d’intérêt public, et non un appel à la violence, même si par le passé l’effigie du président russe avait été brûlée par les dirigeants de ce parti (arrêt du 2 février 2010).

S’agissant en second lieu de l’appréciation de la réaction allemande en 2007, la Cour relève son caractère disproportionné. La privation de liberté infligée pendant cinq jours aux requérants était excessive car des mesures moins lourdes étaient à la disposition des autorités, comme la simple confiscation des bannières litigieuses, ce qui n’eût pas entravé la liberté de réunion des deux protagonistes. Sur le même mode, l’Autriche a été condamnée en 2006 pour avoir interdit une contre-manifestation, là où il aurait suffi d’augmenter la présence policière afin d’éviter des débordements (arrêt du 29 juin 2006). Dans l’affaire allemande, les autorités n’auraient finalement pas dû sortir un lance-roquettes alors que les deux antimondialistes étaient seulement justiciables du martinet.

Julien RAYNAUD, maître de conférences à la Faculté de droit de Limoges


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1 réactions à cet article    


  • lloreen 15 décembre 2011 10:14

    Voilà une action en justice introduite devant le tribunal de New York qui changera peut-être la destinée de notre monde
    http://eso-news.blogspot.com/

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