Le livre numérique, un OGM parmi les autres...
Les possibilités offertes par l’informatique ouvrent l’horizon du livre et concourent à l’implosion d’une chaîne toute puissante avec, aux deux bouts, l’édition et la librairie.
Un secteur économique certes, mais aussi, par essence, un entreprenariat sans morale qui, dans le contexte actuel, jette à bas le masque de sa nature prédatrice.
La société civile se doit de contester une filière liberticide qui s’accroche à une rente de situation pour le moins anachronique.
Concernant la production de livres, la montée en puissance du numérique représente un bouleversement avéré sinon une révolution dans la diffusion des idées.
Avec les années 2000, celui qui aime manier les mots comme d’autres les pinceaux, les images ou les notes, et qui souhaite partager, n’est plus, en effet, condamné à rester bloqué au pied du mur infranchissable des éditeurs. Plutôt que de se heurter vainement au mépris silencieux sinon à l’hypocrisie stéréotypée de la lettre de refus, plutôt que de contourner l’obstacle par l’entremise détournée et trompeuses des parasites du compte d’auteur, le plus obscur des anonymes peut s’engager dans d’autres voies.
D’abord, la solution de l’imprimeur : leur nombre et la concurrence induite attestent de la réalité du marché. Ensuite, ou concomitamment, la possibilité de l’édition numérique. Si la première option permet, entre le coût du tirage et la perspective de diffusion, de ne pas se laisser emporter dans la folie des grandeurs d’une sphère protégée et réservée à une caste d’écrivains aussi célèbres que cooptés, la seconde présente l’avantage certain de remettre illico le postulant les pieds sur terre ! Dans l’édition numérique, 300 pages "équivalent-papier" en autoédition se vendent sous la barre des 6 euros (5,99 si on applique la psychologie marketing des vendeurs de chaussures d’antan !) alors que les « grandes maisons » ne proposent rien en dessous de 10 euros quand elles n’ont pas le culot de coller à l'e-book le même prix qu'à la version papier !
A ce stade-là, les deux mondes antagonistes pourraient s’ignorer sauf que celui de l’édition veut désormais écraser sous son mur ces velléités émancipatrices parce que, de manière collatérale ou implicitement, les privilèges excessifs de la filière de l’édition sont dévoilés et remis en question.
On veut faire taire, on veut renvoyer dans cette plèbe de sans grades ceux qui ont l’outrecuidance de vouloir se gagner une place au soleil ! Et comme la meilleure des défenses est l’attaque sinon la surenchère, les éditeurs et les libraires qui se partagent historiquement 60 % de la valeur du livre (10 % environ pour l’écrivain « moyen ») voudraient profiter de la manne numérique pour confisquer jusqu'à 85 % du prix (55 pour l’éditeur et toujours 30 pour le libraire). Nous pouvons déjà constater qu’en dépit de frais de fabrication et de diffusion moindres, la différence entre un livre-papier et un e-book des « grandes maisons » est trop faible pour faire profiter le lecteur lambda de la révolution numérique.
La guerre est déclarée et depuis le dernier salon du livre de Paris, les libraires sont envoyés en première ligne (ce sont eux qui ont tout à perdre !). Et avec le soutien de madame la ministre, l’attaque vise Amazon, la grosse multinationale qui voudrait tout avaler et qui ne paierait pas ses impôts... En attendant, si Amazon permet à n’importe qui de publier librement et de mettre en vente ses écrits, elle ouvre aussi l’accès à la culture du plus grand nombre, offrant ainsi un plus par rapport à l’élitisme entretenu de l’édition traditionnelle.
L’argument des impôts ne tenant pas dans le contexte de mondialisation et le fait que l’UE elle-même adoube ses paradis fiscaux, à commencer par le Luxembourg où Amazon aurait son siège pour l’Europe, on pourrait regretter la perte d’un secteur économique sauf que les bénéfices dudit secteur relèvent d’une arnaque, fût-elle légale (ce qui est la norme) ! Et puis, qu’est-il advenu de la filière du textile, ou, plus près de nous, des buralistes ou des sidérurgistes de Florange, pour ne citer qu’eux ?
Avec le réseau de l’édition, avant la culture, c’est l’indécence des prétentions exagérées d’une caste qui est mise en avant ! Et ce qui est plus inquiétant encore est que la ministre de la culture s’engage sans ambigüité. Le problème du conflit d’intérêts se pose puisque madame Filipetti est publiée par les « grandes maisons » ! Et au sein d’un gouvernement socialiste, à moins que la génétique ait aussi le pouvoir de confondre la droite et la gauche, elle serait là pour préserver les privilèges d’une minorité ? Sans abonder dans tout ce qui alimente la déception générale, nous sommes en droit d’exiger un minimum d’impartialité pour que le ministère de la culture ne soit pas que celui de la grande édition, du business avant tout !
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