Le mécénat des pauvres petits vieux
Le financement de l’accueil des personnes âgées en institutions se fait de plus en plus par le biais du mécénat. Ce procédé dont la fiscalité est loin d’être avantageuse pour le budget national, participe à la disqualification symbolique du droit à vivre de nos grands anciens.
De plus en plus fréquemment, il arrive que des hôpitaux locaux ou des établissements d’hébergement pour personnes âgées (EHPAD) fassent appel à des « mécènes » pour obtenir, qui une sonorisation dans la salle à manger, qui un véhicule pour transporter les pensionnaires…
La tendance actuelle va même maintenant jusqu’à utiliser ce mode de financement pour faire des achats non plus exceptionnels, mais indispensables au fonctionnement quotidien des institutions.
Prenons l’exemple d’une maison de retraite publique, implantée sur deux sites différents, qui avait, il y a quelques années, sollicité « l’opération pièces jaunes » pour demander le financement d’un minibus dédié au service d’animation, afin de pouvoir en disposer plus régulièrement que celui de la commune qui était alloué aux cinq établissements du canton. Il s’agissait donc d’une demande exceptionnelle afin de donner plus de confort pour le personnel et les résidents.
En 2008, cet établissement a demandé et obtenu d’un manufacturier de renommée internationale, une voiture (bariolée aux couleurs du donateur !!!) pour effectuer les liaisons (personnel soignant) entre ses deux sites. Là, par contre, il n’est plus question de confort mais de nécessité !
Bien sûr, a priori, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ! En effet, pourquoi se priver de ce véhicule opportunément offert. Ce cadeau va probablement permettre de dégager des fonds qui seront alloués à d’autres priorités !
Pourtant, en y réfléchissant un peu, on peut démontrer la perversité de ce mode de financement.
Notre première objection porte sur la fiscalité du mécénat. En tant que mécène : l’entreprise bénéficie d’une réduction d’impôt de 60 % du montant du don (en plus, non assujetti à
Donc le généreux contributeur ne paye en fait que 3200 euros pour 10000 euros offerts (du fait de l’abattement de 20% de TVA et de la déduction de 60% du montant restant), le reste est récupéré… sur le budget de l’Etat. De plus compte tenu du fait que l’entreprise mécène a reçu entre trois et quatre milliards de francs d’aides publiques (source : ministère du Travail) pour différents plans sociaux ces dernières années, on est en droit de s’interroger sur le gain réel de cette opération pour les finances publiques.
Mais nos principales objections sont ailleurs.
La mission d’un EHPAD est d’assurer un hébergement de qualité et des soins (le plus souvent dits « de support », c’est-à-dire visant le confort plus que la guérison) à des personnes trop handicapées pour pouvoir rester à leur domicile. Les pensionnaires de tels établissement payent très cher leur hébergement (en moyenne 50 euros par jour restent à leur charge) pour un taux d’encadrement en France très bas : 0,4 soignant pour 1 lit (ce taux est le double dans de nombreux pays d’Europe).
Dans l’état actuel (si l’on ne s’interroge pas sur la qualité de la prise en charge), il semble donc que la mission de service public des EHPAD à but non lucratif soit réalisable puisque les revenus sont importants et les dépenses (du moins de personnel) relativement faibles. Les fournitures indispensables au fonctionnement de base des structures semblent donc n’avoir aucune raison d’être déléguées à la charité publique !
Mais il ne faut pas négliger le fait que nombre de ces maisons de retraites, en milieu rural surtout, sont « adossées » budgétairement à des petits hôpitaux dans des situations financières calamiteuses… situations générées essentiellement par la réforme de tarification à l’activité.
Le secteur des personnes âgées même s’il n’est pas déficitaire, puisqu’il dépend de la même « gouvernance » que celui de l’hospitalisation, doit vivre dans une ambiance générale d’austérité et de frugalité. Le recours à l’aumône est alors largement encouragé, et nous allons voir que ce n’est pas un hasard, surtout dans le domaine gérontologique (alors qu’il faut redire que c’est un des secteurs les moins déficitaires) !
Quels sont les principaux dangers consécutifs au financement de la prise en charge du grand âge reposant sur la pitié qu’inspirent les vieux (car c’est bien de cela qu’il s’agit) ?
La pitié est une expérience émotionnelle qui cache des sentiments refoulés, notamment le mépris. Notre pitié s’adresse à des personnes pour lesquelles nous n’avons pas d’estime.
Cachée sous une apparence socialement acceptable et même synonyme d’altruisme et de grandeur d’âme, cette expérience émotionnelle peut paraître plus facile à accepter que le mépris.
Le message latent porté par cette malsaine philanthropie qui a l’apparence de « la riche entreprise citoyenne et solidaire qui se soucie du bien-être de ses aînés » est en fait celui « du somptueux grand capital qui s’abaisse à faire un geste symbolique pour ces méprisables petits vieux qui n’ont pas eu le talent suffisant pour rester riches et bien portants ».
En fait, personne n’est dupe de la manœuvre, mais elle garde toute sa valeur en donnant l’occasion de disqualifier implicitement et une fois de plus toute l’organisation gérontologique, dont on ne sait que rappeler le coût exorbitant. Ce tour de passe-passe permet aussi de faire l’économie d’une vraie réflexion sur le rapport entre le coût de la prise en charge en EHPAD, la qualité des prestations et leur adéquation avec les véritables souhaits des personnes âgées.
Le cœur de notre interrogation concerne particulièrement les directions des établissements quémandeurs qui semblent n’avoir aucune préoccupation d’ordre éthique, ni aucune fierté pour reconnaître ainsi qu’ils sont incapables d’oser exiger de leurs financeurs (la puissance publique) des moyens simplement décents pour accompagner dignement les êtres humains, absolument pas méprisables, dont ils ont la responsabilité !
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