Le monde ne change pas car nous « nous ne changeons pas »

Dans les articles en général, il y a un manque essentiel et une omission cruciale : ce sont d’une part ce à quoi aspirent plus ou moins les êtres humains et d’autre part la cause profonde de l’état de délabrement de notre société.
Le manque explique nos comportements dans le sens du mal et du bien. Il est lié à notre nature véritable que nous ignorons et/ou que nous étouffons : le fondamental, qui est présent dans l’ensemble de l’Univers. Il est actif dans un processus de création continue, facile à observer autour de soi, notamment dans l’extraordinaire diversité de la vie et sa propension à être partout, certains astronomes et physiciens le contemplent également dans l’exercice de leur discipline. Le fondamental n’interfère pas dans notre existence, nous avons une extrême liberté d’agir à notre guise, ce qui est la condition sine qua none pour découvrir le sens de la vie, et le mal ou désordre est l’absence du bien qui est de vivre conformément à notre nature véritable et fondamentale. Le fondamental EST, toutes autres affirmations sont sujettes à caution.
Nous comblons le manque comme nous le pouvons, par la recherche de dieu, du plaisir, de la richesse, de la notoriété, de la respectabilité, de la puissance, par des activités incessantes telles qu’une activité professionnelle addictive, le bricolage, le jardinage, le sport, les loisirs, l’art, l’écriture, la religion, nos combats, nos fuites, etc., etc., toutes ces choses ne sont généralement que des palliatifs.
Actuellement nos faits et gestes ne sont pas, c’est le moins que l’on puisse dire, naturels et le résultat – moi, nous, la société, le monde - est le désordre, les souffrances que nous constatons tous ensembles, tout autour de nous ; nos analyses toutes aussi réactives que nos comportements, nos solutions et remèdes dans la continuité de ce qui existent n’y changeront rien, nous nageons à contre-courant, nous sommes continuellement à côté de la cible, nos agissements sont pratiquement tous délétères, générateurs de désordres ; notre monde extérieur et intérieur se dégrade inéluctablement et vouloir changer tout cela participe du même mouvement.
Nous sommes le monde, le monde est à notre image et celui qui en a le mieux parlé est Jiddu Krishnamurti :
« Le monde est ce que nous sommes. Le monde n’est autre que vous et moi. Ce petit monde de nos problèmes, une fois élargi, devient le monde avec ses problèmes.
Nous désespérons de comprendre les vastes problèmes du monde. Nous ne voyons pas qu’il ne s’agit pas d’un problème de masse, mais d’un problème d’éveil de l’individu au monde dans lequel il vit, et de la résolution des problèmes de son univers, aussi limité soit-il. La masse est une abstraction qu’exploitent les hommes politiques, ceux qui ont une idéologie. En vérité, la masse c’est vous, c’est moi, c’est l’autre. Lorsque vous et moi et l’autre sommes hypnotisés par une idéologie, nous devenons la masse, qui demeure une abstraction, car le mot est une abstraction. L’action de masse est une illusion. Cette action est en réalité l’idée que nous nous faisons de l’action de quelques-uns, et que nous acceptons dans notre confusion et notre désespoir. C’est à partir de notre confusion, de notre désespoir, que nous choisissons nos guides, qu’ils soient politiques ou religieux. Ils seront inévitablement, par suite de notre choix, la proie à la confusion et du désespoir. Ils peuvent paraître sûr d’eux et omniscients, mais en vérité, comme ce sont des guides de ceux qui sont désorientés, ils doivent l’être tout autant, sous peine de ne plus être leurs guides. Dans le monde où dirigeants et dirigés sont désorientés, on ne fait, en suivant un modèle ou une idéologie, consciemment ou inconsciemment que faire naître d’autres conflits et d’autres détresses. »
Un amour, une simplicité et une véracité extraordinaires jaillissent de ces paroles, si la citation de Krishnamurti trouve un écho en vous, vous vous posez ou poserez sûrement la question : que faire pour changer tout ce cirque ? Et il nous reste à percevoir que la question elle-même fait partie du problème.
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Pour ceux que cela intéresse, les causeries en public ou en petit comité de K ont été reproduites dans des livres dont notamment :
* Commentaires sur la vie (en 3 tomes) - Éd. Buchet /Chastel.
* Le sens du bonheur - Éd. Stock.
* L’éveil de l’intelligence - Éd. Stock/Monde ouvert.
* Le temps abolis dialogues (J. Krishnamurti et David Bohm) - Éd. Le Rocher.
Ce dernier ouvrage paru qq. années avant la mort de K en février 1986 est un enquête sur (je cite une partie du résumé de l’ouvrage imprimé au verso de sa couverture) « La source du conflit de l’humanité qui est dans l’incapacité que nous avons à affronter la réalité de ce que nous « sommes » psychologiquement avec pour corollaire la quête chimérique de ce qu’il faut ‘’ devenir ‘’. Cette incapacité à sa source dans les divisions profondes introduites dans la psyché par la pensée, et plus particulièrement par la pensée qui suscite l’expérience du temps, et le ‘’ moi ‘’. »
Il existe également de nombreuses vidéo de K sur internet, la plupart sont en anglais souvent sous-titrée en français et dans qq. vidéos K s’exprime parfaitement en français.
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Ce que nous enseigne K, ce que j’ai retenu d’essentiel dans son enseignement, est la nature de la pensée et l’illusion qu’elle entretient que nous pensons que nous sommes un penseur qui pense. Notre personnalité est ce que cette illusion imprime en nous tout au long de notre existence ; très tôt, dans la toute petite enfance, l’entourage conditionne l’enfant en l’incitant à se construire un ego illusoire « moi, je » et cette image chimérique va se renforcer avec les expériences de la vie et le savoir qui en découle. Avec de l’attention il est possible de percevoir que la pensée vient avant le penseur ; la pensée est un processus qui, sur un stimulus, un évènement quelconque, extirpe de la mémoire suivant des automatismes idiosyncrasiques semblables à des programmes informatiques, reflet de nos innombrables conditionnements, des réponses correspondant à notre savoir. Et c’est ce même processus dans le même déroulement qui fabrique un artefact : le moi, le soi, l’ego, la personnalité, le penseur comme il vous plaira de le nommer. La pensée et le penseur sont une seule et même chose, le penseur EST la pensée, la pensée engendre le penseur, la pensée n’est qu’un contenu, un savoir auquel nous nous identifions.
La pensée ne peut évoluer que dans le champ du connu et toute réponse formulée est le produit de l’ancien. La pensée a toujours une longueur de retard. la pensée est le produit du temps, la pensée est le temps.
Le processus de la pensée fait des merveilles dans son domaine de pertinence, la science et la technologie nous le prouvent quotidiennement pour le meilleur et pour le pire ; ce processus est pertinent pour répondre à des problèmes pratiques, comme conduire une voiture, concevoir une nouvelle machine ou monter le meuble que nous venons d’acheter, mais il est boiteux voire inadapté face à des défis, des états ou des questionnements psychologiques et/ou existentiels. La pensée par définition n’a pas accès à l’altérité, à l’inconnu et en conséquence notre nature fondamentale lui est inaccessible.
Percevoir cela ne peut que changer notre rapport aux autres et au monde (c’est la même identité), et nul changement profond ne peut exister dans la société sans cette prise de conscience individuelle. L’éveil d’une conscience saine (le saint esprit de Jésus ?) ne peut s’opérer sans la compréhension du rôle de la pensée en nous et sur le monde.
Il y a toujours un point qui reste en suspend : la cause profonde de l’état de délabrement de notre société, elle est facile à voir, c’est le point commun fâcheux qui caractérise et relie chaque membre de la communauté humaine, quelque soit son origine et sa culture, c’est la pensée, qui plus que l’imagination, est la folle du logis, et qui oblitère la réalité par son bavardage incessant, qui fait écran entre nous et les autres. Nous pouvons d’ailleurs percevoir que le manque et la pensée ne sont qu'une seule et même manifestation du psychisme.
Le fondamental n’est pas dans le champ du connu, le fondamental est inaccessible à la pensée mais si nous ne sommes pas à sa recherche, alors nos activités et nos quêtes ne sont que vaines chimères, notre vie aussi riche et brillante soit-elle est inutile car vide de sens et fait de nous des névrosés.
Une ultime question inévitable, pourquoi les êtres humains à un moment donné se sont-ils engagés dans une impasse mentale ? Je n’ai personnellement pas de réponse précise satisfaisante, c’est évidemment le résultat étonnement rapide, dans l’échelle de temps géologique de la vie, du développement du volume du cerveau qui nous permet d’appréhender le monde en l’explorant avec nos nouvelles et récentes facultés cognitives, cependant quelque chose a dérapé dans cette évolution, la pensée a remplacé cela qui " est " par cela qui " pourrait être " et nous fait prendre des vessies pour des lanternes.
Peut être que l’anomalie psychique est inéluctable et que la liberté ne peut être pleinement appréciée qu’après une période de privation, de contrainte et de dépendance. La pensée nous limite, il nous faut découvrir l’issue vers les larges horizons, encore faut-il en ressentir l’appel.
L’homme est le point médian, le point de rencontre entre la matière et l’esprit, il n’est pas question dans cette proposition de notre petit esprit étriqué par notre mentalisation mais de l’Esprit illimité.
A la question « Pourquoi le monde ne change t-il pas ? », il nous faut également répondre honnêtement à une autre question « Pourquoi voulons-nous que le monde change ? ».
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