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Accueil du site > Actualités > Société > Le mythe de la décolonisation française en Tunisie

Le mythe de la décolonisation française en Tunisie

« Il nous fallait consolider la présence française sur de nouvelles bases, c’est ce que nous avons fait en Tunisie » Pierre Mendès-France, le 20 Novembre 1955 à Poitiers.

La décolonisation fut bien souvent surtout un exercice de rhétorique et de remaniements de façade. Une métamorphose nécessaire et inévitable pour faire croire à l'opinion publique colonisée qu'elle accédait enfin à cette si désirable « Indépendance », en changeant principalement les appellations de sa gouvernance, et en développant la délégation de pouvoir avec les autochtones (ce qui a de nombreux avantages en termes de coût et de popularité pour l'occupant), pour continuer d'en exploiter les ressources avec un contrôle et profit optimisés. 

Ainsi désormais le Résident Général français s'appellerait Président de la République démocratique tunisienne. Ni plus ni moins en réalité qu'un indigène charismatique coopté par la collégialité mondialiste (les capitalistes industriels et financiers de Paris, City, Francfort et New York qui investissent en Tunisie depuis le milieu du XIXème siècle). Il aura les attributs de prestige du pouvoir (notamment des Palais bien plus grands et couteux que ceux des Beys ...), une certaine liberté de légiférer sur le sociétal (surtout pour assurer la continuité des modes de vie d’une part des investisseurs occidentaux toujours en recherches d'offshore moins-disant et d’autre part des touristes venant profiter d'un littoral low cost), et une protection internationale (sonnante et trébuchante le plus souvent), tant que la prépondérance économique et sociale des Dominants d'avant (intérieurs et extérieurs) n'est pas remise en cause (impôt colonial, contrats sur le Sel, le Phosphate, le Gaz, les grands chantiers de construction ...). Ou uniquement par les nécessaires ajustements et adaptations. Un certain renouvellement et rafraîchissement des effectifs (cette françafrique locale représentée actuellement par la nébuleuse de la fratrie Mabrouk). Subtils micro-dosages des rapports de forces entre clans et familles, permettant d'alimenter la dynamique affairiste. 

"Que tout change pour que rien ne change"

(Le Guépard, Film de Visconti). 

Ainsi fut mise en place l'héroisation exacerbée de l'orateur Bourguiba, comédien suprême, puis celle du policier-ripou Ben Ali. Tous deux parfaits kapo-contre-maîtres pour manager le "changement" et calibrer cette colonie en phase avec l’air du temps et avec les dividendes et taux de croissance espérés. Alors que depuis longtemps existait en Tunisie une élite compétente et présentement d'autres hommes d'Etat (Tahar Ben Ammar, Mahmoud Materi, Salah Ben Youssef, Béhi Ladgham, Mongi Slim …), plus aptes à gouverner une réelle Indépendance, celle souverainiste et patriotique, respectueuse de l’identité et cohésion nationale, le choix de cooptation est donc essentiellement déterminé par la capacité d’allégeance et de mise en oeuvre de la standardisation occidentale. Standardisation d’une économie libérale et de l’acculturation sociale. Gouverner à coup de culte idolâtre de la personnalité et paternalisme surjoué fut donc ce nouveau visage voulu par l'oligarchie occidentale sur la Tunisie au sortir de la seconde guerre mondiale (et encore vraie à ce jour) pour transformer ce pays à sa guise. Surtout sous la pression grandissante du vorace empire américain et de son dollar en voie d'hégémonie. Ainsi furent permises les humeurs capricieuses, mégalo et autoritaires du nouveau Prince régnant, ce vizir devenu Calife. Et le zèle hostile et désordonnée de sa Cour. Puisque ceux-ci désormais sont républicains, démocrates, laïques et modernistes ... 

En contre-point de la mise en place de ce nouvel autoritarisme anglo-saxon, ce friendly fascism qui se concentre surtout sur les Banques Centrales pour gouverner, fut créé la diabolisation bien orchestrée d'un ennemi intérieur supposé, ce double maléfique permettant alors toutes les surenchères sécuritaires qui masquerait les réalités économiques (ouverture massive au libéralisme et à l’ingérence occidentale au détriment de la souveraineté et des intérêts nationaux). Cette menace islamiste construite et instrumentalisée par une fraction locale très active de l'appareil sécuritaire (ces miliciens officiels en charge de préserver les acquis et un certain rapport de force, ne sont-ils pas les vrais obscurantistes ?) fut modélisé par l'empire britannique (comme ils le firent précédemment avec le wahabisme et les Frères musulmans) pour détruire de l'intérieur l'Empire Ottoman et tout ce qui constitue la civilisation arabo-musulmane. Le MTI puis Nahda (dont le leader Rached Ghanouchi a fait allégeance à la Reine d’Angleterre pendant plus de 20 ans durant son exil dorée à Londres) en sont donc la version tunisienne.

Surtout ce néo-colonialisme est possible en mettant plus en avant cette moyenne bourgeoisie avide de tout. De consommer et de s'imposer surtout. Pouvoir, notoriété, argent, gloire. Jalouse et complexée des privilèges, statuts et apparats, de l'ordre ancien tunisien. Mais sans en prendre et comprendre les codes et la charge des devoirs. Au mépris des valeurs et traditions le plus souvent. Au mépris du peuple travailleur finalement. A travers le déni identitaire et la destruction du patrimoine naturel et culturelle. Et de la cohésion et harmonie sociale même. A l'encontre de ces nombreuses familles fondatrices qui de Kairouan à la Zitouna (les Chérif, Mohsen, Bayram, Baroudi, Belkhodja, Ben M’rad, Darghouth, Belkadhi, Ben Mahmoud, Abbes, Bokri, Ennaifer, Ben Achour, Djaït, Chahed, Rassaâ, Snoussi, Boukhris, Maherzi, Bahi, Riahi, Azzouz, Belhassen, Ben Zayed, Halfaoui, Ben Arous, …) ont bâti une nation avec son propre modèle civilisationnel et de développement, et donc sa propre manière d'aborder la mondialisation. 

A quels moments clés cette néo-colonisation a pris forme ? 
Comme il fallait lutter à tout prix contre un royaume de Tunisie trop souverainiste au goût de la Guilde mondialiste soucieuse de s'étendre, et qui donc ne souscrivait pas au nouveau cahier des charges colonial, la destitution unilatérale de Moncef Bey en 1943, fut un des actes fondateurs majeurs, un point de basculement. Les husseinites, cette aristocratie militaire qui a offert pourtant plus de monarques éclairés à la Tunisie (rappelons juste l’Abolition de l’esclavage en janvier 1846 par Ahmed 1er BEY) que l'Indépendance ne lui a offert de démocrates véritables, allait dès lors subir le châtiment de l'Empire, les humiliations, diffamations et dépossessions. Cette noblesse atypique, ses manières de faire et son entregent diplomatique expérimentés, bâtisseuse d’un Etat stable et structurée de l’avis même des autorités coloniales, fut une rivale intolérable au déploiement du Nouveau Monde. Celui-ci, plus adepte du « ordo ab chao », passa donc en force, comme souvent quand une Nation lui résiste. Et s'imposa alors contre un peuple qui n'aura de cesse depuis de toujours vivre et travailler dans un sous-développement et des inégalités savamment entretenues (ferchichisation des institutions et des cités), et avec la propagande schizophrénique adéquate. Quid du passé de ses fameux Beys de Tunis, le gouvernement français retire alors le Régent de son royaume et de son peuple, l'exil loin des siens (déporté d’abord à Laghouat dans le sud algérien, ensuite exilé dans des conditions difficiles durant deux ans dans la ville de Ténès, petite ville côtière dans l’Oranais, puis il est transféré à Pau, Sud-Ouest Français, le 17 octobre 1945) jusqu'à sa mort précoce (par empoisonnement ?) moins de 5 ans plus tard (le 1er septembre 1948). De plus, passant des intimidations et menaces aux actes les plus sanglants, les officines pro-coloniales (Main Rouge ; Main Noire, …) font le ménage chez les rivaux de leur champion Bourguiba, et éliminent physiquement en assassinant par arme à feu notamment le leader syndicale et très populaire Farhat HACHED (5 décembre 1952), le prince héritier du trône Ezzeddine Bey (1er Juillet 1953) et le président du congrès du Néo-Destour Hédi Chaker (13 septembre 1953).

Ainsi, dernier jalon de la métamorphose coloniale, Bourguiba, par son coup d’Etat du 25 Juillet 1957, sans l’avis populaire ni celui des autres leaders politiques, prostrés par tant de manipulations et violence, usurpe et kidnappe durablement le pouvoir. Nourri de ressentiments plus que de magnanimités, il mène à marche forcée sa politique de représailles envers toute la famille beylicale, puis envers tout le pays lui-même : politique du parti unique (PSD, qui deviendra RCD sous Ben Ali), culte de la personnalité, répression et condamnations arbitraires (se souvenir de Tahar Ben Ammar et Mohamed Attya judiciairement persécutés par la Haute Cour de Justice présidée par Mohamed Farhat) assassinats d’opposants politiques (y compris ses anciens camarades de combat comme Salah Ben Youssef et les fellaghas), anti-islamisme forcené, destruction de monuments (les Remparts de Tunis, le Dar TeJ à La Marsa, le fort de Gafsa pour construire celui de Monastir …), spoliations et dépossessions de biens privés, corruption, régionalisme … Jusqu’à aller à un changement de constitution et s’offrir la Présidence à vie (en 1975). Pourtant peuple et élite n’ont jamais demandé ni l’abolition de la monarchie ni l’instauration d’une République, ni la fermeture de la Zitouna et des corporations de métiers, mais bien l’Indépendance et la Souveraineté. Ce sera tout l’inverse avec 30 ans puis 23 ans de pouvoir autocrate sans partage (et même qualifié de « quasi-mafieux » par le Quai d’Orsay sous Ben Ali) par des affiliés occidentaux qui sont pourtant censés représenter l’Indépendance, la République et la Démocratie et n’ont en réalité que mieux servie la Ploutocratie. Véritable aliénation pour cette nation dont la richesse civilisationnelle est d’une identité unique et des plus profondes dans toute l'Histoire de l'Humanité.


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4 réactions à cet article    


  • Allexandre 29 mai 2015 19:39

    Merci pour cette mise au point.

    Le gouvernement des Beys de Tunis a souvent été intelligent et bienfaiteur pour leur pays. Ils ont été balayés comme des malpropres pour mettre à la place une voyoucratie dictatoriale, rendant bien service à la France et au camp occidental. Il n’est un secret pour personne que le camp libéral agissait pour promouvoir la démocratie en s’appuyant sur un nombre pléthorique de dictatures, souvent établies par eux. Mais qui cela interpelle-t-il aujourd’hui ? Plus grand monde. Et demain, plus personne, puisque plus personne ne saura quoi que ce soit sur quoi que ce soit. La culture est devenue l’ennemie de la « civilisation » occidentale.

    • LUDOVIC DIAS LUDOVIC DIAS 30 mai 2015 12:34

      @Allexandre
      Merci. Effectivement vous venez de limpidement synthétiser la stratégie libérale des 200 dernières années qui aboutit à notre idiocraty actuelle.


    • perditadeblanc perditadeblanc 30 mai 2015 20:31

      Excellent article, bien documenté. Enfin un écrit qui nous change de la falsification officielle de l’histoire de la Tunisie qui a fait d’une dynastie qui a perduré 260 ans des régents fantoches de l’empire Ottoman. je dit bravo à la dynastie Husseinite oubliée qui fut une grande et besogneuse dynastie qui a consacrée sa gloire à la souveraineté et a fixer une véritable identité à la Tunisie. Qu’en reste t’il avec ces comiques démocrates ? RIEN, ZERO. !


      • Ennaifer Chiheb 13 juillet 2015 11:53

        Tout est dit et bien résumé : Que des vérités historiques qui balayent tous les mensonges répétés à souhait à plusieurs générations de Tunisiens par les régimes des dictateurs-mercenaires et corrompus, Bourguiba et Ben Ali.

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