L’article L. 1225-29 du Code du travail prévoit le congé de maternité en ces termes :
Il est interdit d’employer la salariée pendant une période de huit semaines au total avant et après son accouchement.
Il est interdit d’employer la salariée dans les six semaines qui suivent son accouchement.
La formule ne laisse guère de place à l’ambiguïté. Le congé maternité n’est pas un droit pour la femme, mais une obligation qui pèse sur l’employeur. Il encourt au reste une amende de 1500 €, sans préjudice des indemnités civiles qu’il devrait verser à la salariée.
Voyez la différence.
On peut, en pratique, renoncer à l’exercice d’un droit. Que le congé maternité se réduise à une prérogative de la salariée et l’on voit bien que celle-ci pourrait être conduite à ne point s’en prévaloir. Il en va ainsi, du reste, du congé paternité[1]. En revanche, dès lors que le congé maternité fait l’objet d’une obligation qui s’impose à l’employeur comme au salarié, il ne saurait être question de se réfugier derrière la lettre de la loi.
— Mais alors, comment Rachida Dati a-t-elle pu reprendre si tôt le chemin de son bureau ?
Et bien, contrairement à l’analogie faite par Maya Surduts, le ministre de la justice n’est pas salariée de l’État, non plus que de son chef, ou même, du gouvernement.
Le ministère est une fonction politique qui échappe aux catégories du travail salarié ou de la fonction publique. La défense de l’intérêt privé s’estompe donc devant celui de l’intérêt général.
Un ministre en congés ne pourrait exercer ses fonctions ; et en particulier prendre les actes qui lui sont dévolus. La nomination d’un juge ou d’un procureur serait retardée de la durée du congé. Sauf bien sûr à confier les fonctions de ministre à une autre personne, ce qui revient à changer de ministre de la Justice.
Il n’est pas si simple d’instituer la vacance de l’État.
On peut juger, comme Marie-Pierre Martinez[2], que le ministre a sacrifié son repos à sa carrière.
Peut-être. C’est là le lot d’une bonne partie de la classe politique, qui n’est pas paresseuse, loin s’en faut.
On peut esquisser encore qu’elle privilégie ses ambitions à ses liens de famille.
Peut-être, mais outre qu’il en va ainsi de nombreuses femmes et hommes hors et dans la politique, il n’appartient certainement pas au public, non plus qu’à votre serviteur, de porter un jugement sur la façon dont Rachida Dati conduit sa vie privée. Sauf à ce que celle-ci pèse sur la mission qu’elle exerce dans l’intérêt de la Nation[3].
A tout prendre, le scandale eut été que le ministre se recroquevillât sur les joies de la maternité au détriment de sa mission.
On peut la louer qu’il n’en soit pas ainsi.
Il n’est pas question ici de "normes masculines"[4], mais des principes de l’État dont l’action ne saurait s’interrompre, surtout pour le bénéfice du bonheur privé de l’un de ses serviteurs.
On attend beaucoup de ceux qui prétendent exercer le pouvoir ; bien plus que de celui qui occupe un poste de travail. Les ministres ne se mettent pas en congés de la République lorsqu’ils ont un enfant ; et ils ne quittent pas leur ministère le vendredi à seize heure. Et pas davantage encore ne prennent-ils de jours de récupération.
Le comportement de Rachida Dati n’est pas condamnable, il est exemplaire : l’exercice du pouvoir politique suppose d’être placé plus haut que les dirigés. Plus haut, mais également au delà des protections que l’on doit aux plus vulnérables[5]. Qu’il s’en suive des sujétions extraordinaires n’est que la contrepartie du bénéfice de pouvoirs extraordinaires.
Et l’on préfèrera celle qui renonce aux jouissances de sa vie privée à cet autre qui semble s’y adonner avec peu de vergogne.
Notes
[1] Voulez-vous d’ailleurs une véritable égalité entre les hommes et les femmes au travail quant à l’embauche ? Soumettez le congé paternité au même régime que le congé maternité. Car ce sont bien les charges de la maternité qui peuvent conduire les employeurs à préférer embaucher des jeunes hommes à des jeunes femmes.
[2] Secrétaire générale du Planning familial.
[3] Quant à l’intérêt du nourrisson, qu’il soit permis de le rejeter en note : il n’est pas décent de se pencher sur la façon dont autrui élève ses mioches. Et qui s’inquiète à ce point du sort du nouveau-né ne doit pas hésiter à en référer à la protection de l’enfance.
[4] Comme le soutient Marie-Pierre Martinez.
[5] Plutôt que de s’inquiéter de l’exemple de Rachida Dati, il conviendrait de se pencher sur le sort des femmes qui exercent des professions libérales ou commerciales ; elles-ci ne sont soumises qu’à une seule autorité, celle du carnet de commande.