Le pire ennemi de notre société
Les prétendants à ce titre d’ennemi public numéro un se bousculent au portillon de notre esprit. D’un cynique délinquant en col blanc qui détourne des milliards au détriment de la collectivité à un morbide pédo-tueur en série en passant par le terroriste des transports en commun, les démons méprisables ne manquent pas. Ces affreux personnages colonisent les colonnes des faits divers, ainsi que de nombreuses premières pages, en vampirisant régulièrement la quiétude des honnêtes citoyens. Pourtant, pour peu que l’on admette que nous vivons dans une société de consommation capitaliste, le pire adversaire de ce système vit certes dans l’anonymat, mais pas dans le secret d’un luxueux cabinet au cœur d’un building d’affaires ou encore dans la pénombre d’une cache d’arme. Non, cet individu qui fait secrètement trembler les bases de notre société est peut-être tout simplement un de vos voisins.
Obscurantisme télévisuel
Cette personne hérétique répond toujours non quand on lui demande si elle a regardé l’émission de télévision de la veille. Elle sera également incapable de vous aider lorsque vous lui demanderez le titre de la chanson habillant tel spot publicitaire. Pourtant, elle connaît certainement cette musique, mais ne l’a jamais entendue associée à quelque marque que ce soit. Pour les mêmes raisons, cet étrange individu va désespérer l’argumentaire du commercial de France Loisirs quand ce dernier, après avoir frappé à sa porte, va tenter de lui asséner l’argument généralement décisif : « vous savez, c’est le livre du présentateur de telle émission, lui, vous le connaissez, non ? ». D’ailleurs, ce même commercial, en voyant tous les instruments de musique dans l’appartement du suspect lâchera : « oh, vous jouez de tout ça ! Moi aussi, j’ai toujours voulu en faire, mais je n’ai jamais le temps ». Ce à quoi notre déséquilibré mental répondra : « quand on regarde moins la télévision, on se retrouve avec un peu de temps et un peu de calme pour faire plein de choses, vous savez ».
A la masse culturellement
La fréquentation des salles obscures révèle l’inculture de notre olibrius : ému par un film à petit budget que 5 000 personnes ont vu en France, marqué par un documentaire qui ne passera jamais à la télévision, même à 2 heures du matin sur Arte, il pense que les scénaristes des « blockbusters » sont en grève depuis des années. Voilà pourquoi les pauvres producteurs sont acculés à user de campagnes publicitaires dignes de celle du « oui à la Constitution européenne » de 2005, à vendre des jeux vidéo ou des figurines en plastiques et à décorer des paquets de céréales pour enfants.
Terroriste du PIB
Notre récalcitrant énergumène, ne connaissant décidément aucun plaisir de la vie, ne fume pas. Il n’enrichit donc pas les caisses de l’Etat par ses achats de cigarettes, ce qui n’est pas très citoyen. Statistiquement, il aura moins de risque d’occuper du personnel dans un centre anti-cancer, du moins pour celui du poumon. Heureusement que d’autres se dévouent héroïquement - car connaissant les risques - pour permettre à la recherche d’avancer et au personnel médical de travailler.
Ce réactionnaire ne fréquente guère les établissements de restauration rapide : ce n’est pas là qu’il emmène ses enfants pour avoir l’impression d’être un bon père et leur faire plaisir, malgré les malignes injonctions publicitaires. Ce quasi-boycott est scandaleux quand on songe aux étudiants qui ne pourraient pas payer leurs études si les fast-foods avaient moins de fidèles clients. Sans parler des spécialistes de l’obésité infantile qui n’auraient plus qu’à devenir gynécologues !
Personne chez lui ne discute de liposuccions ou de pilules magiques qui permettraient de manger plus sans grossir ; personne n’est directement concerné par les risques d’obésité [1] et toutes les maladies dérivées ; personne ne sent l’obligation d’aller transpirer sur un tapis roulant pour mériter de se soumettre au regard « mode-lé » de l’autre. Mauvaise nouvelle pour les cliniques de chirurgie plastique, les laboratoires pharmaceutiques, les gérants de club de « fitness », les magazines « fashion » où deux malheureux articles viennent couper les pages payantes de pub... A croire que la famille de ce personnage a déclaré une guerre ouverte au PIB du pays !
Education d’un autre âge
En parlant d’enfants, les siens sont plutôt calmes et pris en exemple dans les magasins, surtout comparés à ceux qui hurlent et renversent tout dans l’impunité parentale. Pourtant, il y a quelques mois, c’est à peine si des clients n’ont pas appelé la police quand ils ont vu notre psychopathe envoyer une gifle de revers à son fils qui dérangeait tout dans un rayon et qui n’écoutait plus les avertissements. Il ne manquerait plus qu’il soutienne un prof qui aurait fait de même avec un de ses enfants ! L’apprentissage des limites, du respect et de la supériorité de l’effort sur le caprice, va probablement faire de ses enfants des déséquilibrés, voire pire, de mauvais consommateurs qui s’arrêteront avant le découvert.
Erreur d’étiquetage
Politiquement, il ne sait pour qui voter : ce n’est pas qu’il ne soit pas insensible de l’urne, mais plutôt qu’il ne se sent réellement représenté par personne. Syndicalement, il fait grève selon la cause, pas selon l’organisation syndicale qui appelle, ce qui est pratiquement unique dans son entourage.
Une logique têtue
Cet extrémiste possède mille autres facettes terrifiantes. Par exemple, il aime la marche à pied et ne prend pas sa voiture pour faire deux kilomètres. C’est un manque à gagner pour un éventuel parking, c’est un pompiste qui devra patienter un peu avant de voir un réservoir affamé arriver, c’est de la concurrence déloyale envers les magasins de vélos d’appartement. Heureusement, sa jeune voisine compense ses manquements car elle a acheté spécialement une voiture pour se rendre à son premier travail, à quatre blocs de son domicile. Ainsi, elle gagne du temps pour se permettre de se rendre le soir à son club de sport où elle cotise 60 euros par mois pour fondre sur un tapis roulant devant un écran de télévision qui lui fera l’éloge d’une crème glacée ou d’un soda (qu’elle aura bien mérité, non ?) entre deux clips habités de danseuses arborant un ratio poitrine/taille standard, c’est-à-dire LaraCroftien.
Travailler plus à vivre mieux
Autre habitude curieuse de notre atrophié de la civilisation, il n’est pas du genre à traîner les magasins pour tuer le temps, il préfère se promener dans les parcs publics, dans les musées, lire, perfectionner sa guitare, jouer avec ses enfants, par exemple. Tout cela représente d’injustes avortements de tentations d’achats à qui il ne laisse pas une chance de venir au monde réel, celui des tiroirs-caisses greffés de leurs excroissances humaines jetables que le management presse et taille en sacrifice au chiffre et, cela, pour le plus grand bonheur de banques spécialisées dans le crédit à la consommation. Notre terroriste du commerce ignore tout des bienfaits d’être un bon citoyen du XXIe siècle et de s’endetter pour acheter un écran plat dernier cri. Corollaire, cet intégriste anti-progrès ne voit pas l’intérêt d’ouvrir plus de magasins le dimanche : il est donc en plus l’ennemi des forces vives de la nation qui veulent travailler plus pour penser moins, ainsi que de ceux qui revendiquent la liberté d’acheter des biens de première nécessité comme le dernier Harry Potter ou un pack de « diet coke », 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.
Notre hystérique, véritable descendant de l’homme du Caucase, envoie promener les racoleurs et les sondeurs téléphoniques, surtout après 21 heures : encore des gens qu’il empêche de travailler tranquillement.
Flibustier du développement durable
Tout juste sorti des cavernes, l’humain rétrograde bricole un peu. Du coup, quand un appareil tombe en panne, il parvient parfois à le réparer ou à le prolonger d’une année ou deux. C’est donc un déchet de moins à recycler pour la grande cause du développement durable, un produit de moins à fabriquer pour une entreprise chinoise, une livraison de moins à assurer pour un transporteur, des coups de fils qui ne seront pas passés et quelques intermédiaires qui ne travailleront pas en exerçant leur talent de prise d’intérêt. Là encore, le crime contre les intérêts de la croissance est évident. Par exemple, il a récemment réparé sa chasse d’eau avec un joint à 50 centimes au lieu de changer le mécanisme. De plus, il a glissé une bouteille de deux litres remplie d’eau dans le bac pour réduire son volume. Franchement, s’il voulait faire un geste pour l’environnement, il aurait mieux fait d’acheter un système neuf : en plus, cela aurait été visible pour ses visiteurs. Oui, qu’est-ce que l’écologie sans communication en 2008 : même la croissance du nombre de vélos « publics » dans sa ville est corrélée à celle des annonceurs publicitaires !
Cet être résiduel du Néandertal utilise une carte pliée en vingt en guise de GPS. Avec des gens comme lui, les progrès technologiques sur des sujets aussi essentiels seraient ralentis ! Heureusement que les citoyens normaux stimulent l’offre avec de vrais besoins : qui veut encore faire un jogging de nos jours sans montre-cardio-GPS ?
La liste des agissements de l’ennemi numéro un de notre système n’est pas exhaustive. En attendant que des lois soient prochainement édictées pour le faire rentrer dans le rayon et restreindre sa capacité de nuisance comme sa liberté d’expression, vous devez confondre cet individu dangereux pour la paix sociale et le convertir ou le dénoncer sans délais. Pas nécessairement au RMI, le lascar peut être d’autant difficile à détecter qu’il a possiblement un emploi « normal » comme beaucoup d’entre vous, dans lequel il dissimule machiavéliquement son extrémisme.
[1] : pardon pour l’obésité d’origine génétique. Pour les causes plus modernes, voir le livre Toxic de William Reymond ou son site, www.williamreymond.com
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