Le plaisir au féminin
En dépit des lois sur la parité et des CV anonymes, les femmes restent intrinsèquement différentes des hommes et c’est très bien comme cela. Hélas, quand on aborde la notion de plaisir chez la femme, beaucoup d’hommes et de rédactrices de magazines féminins ne pensent en priorité qu’orgasme, clitoris et point G ! Certes la sexualité occupe une place de plus en plus importante dans la vie de la femme, surtout depuis l’avènement de la contraception, de l’avortement et de la libéralisation des mœurs, mais le plaisir chez la femme concerne heureusement bien d’autres domaines que le sexe. Cependant, la place de l’histoire, de la culture et le poids des traditions interfèrent énormément dans l’expression du plaisir chez les femmes. Comme pour l’homme, le mimétisme et le consensus social et culturel interviennent fortement, l’éducation et la définition des rôles dans la société selon le sexe déterminent aussi grandement les choix et les orientations des loisirs et des divertissements. Alors qu’il existe des variations comportementales extrêmes d’une femme à l’autre concernant les phénomènes de société et la manière de vivre, ce n’est qu’à de rares exceptions qu’elles se différencient entre elles par rapport au plaisir.
Certaines aiment la bonne chère, les restaurants raffinés et les petits soupers fins en couple avec le décorum approprié, nappes, bougie et cristallerie. Par contre, rares sont celles qui s’empiffrent, car l’image d’un corps svelte est encore trop ancrée dans l’imaginaire collectif comme un Graal à atteindre du moins en Occident. Un nombre décroissant, (surgelés et micro-ondes obligent), mais encore important de femmes, aime toujours faire la cuisine, mijoter des petits plats, mitonner des ragoûts. Mais la dimension de jouissance devant les fourneaux si fréquente parmi les hommes cuisiniers est bien souvent remplacée par le sentiment de devoir accompli par la femme devant ses marmites. Satisfaction d’être reconnue comme une mère et une épouse respectable et compétente qui se dévoue pour les siens en les nourrissant convenablement. Selon les mots de la chanteuse Colette Magny, elle trouve ses lettres de noblesse dans la bouillabaisse. D’ailleurs, à de rares exceptions, quasiment tous les grands chefs étoilés sont des hommes. Les femmes ont plus la réputation de tenancières d’auberge, servant une cuisine traditionnelle ou bourgeoise. Pour certains hommes, cuisiner est un art, pour beaucoup de femmes, il s’agit avant tout d’un devoir pour ne pas dire un sacerdoce. Un homme qui aime les fours et les casseroles peut avoir une satisfaction proche de l’érotisme et même de l’extase en regardant fondre et frémir du beurre dans une poêle qui n’est même pas antiadhésive, jamais une femme. D’ailleurs, l’homme raye systématiquement le Téflon avec divers objets pointus au grand dam de sa compagne qui pousse des cris d’orfraie dès qu’il s’approche des casseroles dans la cuisine surtout s’il a un couteau à la main. L’homme aura un sourire carnassier souligné d’un petit eh-eh gaulois qui en dit long quand il fera glisser des œufs, des lardons ou des cèpes dans la matière grasse. Pour la femme tout ceci n’est que baliverne et propos de mec qui ne fait pas la vaisselle, seul le résultat culinaire final a de l’importance à ses yeux. La ménagère accomplie sait qu’il faut surveiller les pois-cassés comme le lait sur le feu pour ne pas les voir attacher et sentir le roussi, l’homme cuisinier amateur peut les laisser cramer car il les a oublié en allant consulter ses mails. On juge la femme à ce qui est dans l’assiette et non à ses émotions devant les fourneaux.
Face à l’alcool, les réactions sont aussi différentes. Nous passerons rapidement sur les clochardes et autres pochardes avinées au gros rouge qui sont avant tout des malades chroniques qui méritent plus des soins que d’opprobre. La femme dite normale et respectable est sensée se saouler en cachette et dans la discrétion, quasiment dans la clandestinité. La société pardonnera une cuite exceptionnelle et encore, cela fera jaser. La femme peut tout juste être pompette lors d’une fête, on la dira un peu ronde, mais ce n’est pas elle qui refera le monde au quotidien accoudée au zinc d’un bistro ou au Point-Courses, un double Ricard à la main. Une Gainsbourg en jupe plissée arrivant bourrée chez Drucker, Ruquier ou Ardisson créerait un malaise, même si elle ne mettait pas la main au paquet de Stevie ou d’Eric Zemmour. Elle ferait « mauvais genre » et non provocatrice. Et puis généralement, les femmes n’aiment pas les mêmes alcools que les hommes, certaines préfèrent les cocktails légers plus ou moins exotiques, les jus de fruits allongés, d’autres le champagne. Plus âgées, elles se rabattent sur le porto, le Martini ou les vins cuits qui font la joie des petites vieilles. Quel homme qui n’est ni un maquereau qui fait sauter une bouteille de roteux, ni un parvenu m’as-tu-vu, s’abreuverait de boisson à bulles en dehors des grandes occasions ? Seul un barbeau d’opérette fréquentant Pigalle osait encore ce breuvage au temps où l’on claquait des Pascals flambants neuf sortis d’une liasse qui sentait l’interlope.
De manière générale, les plaisirs trop charnels sont encore très mal vus quand ils se déclinent au féminin, ils ne peuvent que déconsidérer et avilir. Et en ce qui concerne la sexualité, les féminismes réclament désormais le droit à l’orgasme comme les syndicalistes le faisaient pour la cinquième semaine de congés payés ou la prise en compte des pauses dans le temps de travail. Mais on est loin de la revendication uniquement pour le plaisir physique. La femme est désormais plus dans le domaine de la défense des droits acquis que dans celui de la sensualité, alors que pour l’homme, parité bien ordonnée commence par sa queue. Au féminin, on est une bonne baiseuse par réputation ou rumeur publique et non par auto-déclaration ! Qui oserait se dire une bonne affaire au lit sans faire grincer les dents ? Pour en revenir à Serge Gainsbourg, on se souviendra de l’attitude choquée du chanteur face à Catherine Ringer détaillant ses exploits passés dans le porno. Gainsbourg, tel Kierkegaard, s’offusquant qu’une femme puisse tenir des propos graveleux. Comme si celle-ci ne pouvait chier, péter ou avoir ses règles pour être respectable. L’homme qui fréquente une femme très « vocale » au lit, comme le disent les Américains, se sent gêné et préfère qu’elle s’époumone dans une pièce insonorisée à l’abri d’oreilles tierces. Les « sopranos », c’est bon à l’opéra ou dans les films pornos (à condition de baisser le son), pas quand on vit chez ses beaux-parents ou qu’on est reçu chez des amis. A de rares exceptions, les femmes ne se vantent pas de leurs orgasmes et n’énumèrent pas le nombre de leurs coïts. Ce genre d’affirmation est l’apanage de quelques écrivains (le terme écrivaine est trop laid pour être repris ici) dans la mouvance de Catherine Millet et Virginie Despentes. Question de culture et d’éducation, certes, mais aussi perception totalement différente de la sexualité. L’homme est souvent vantard et exagère sur le sujet, il a tendance à se donner le beau rôle quitte à quelquefois affabuler ou du moins enjoliver, la femme préfère rester dans l’allusion, même si certaines conversations entre copines sont assez pimentées. On apprend à la fillette à ne pas écarter les cuisses en public, on dit à l’adolescente que les règles sont sales, sinon impures, (d’ailleurs, si les femmes détestent tant qu’un homme jette un œil dans leur sac à main, c’est surtout de peur qu’il y aperçoive des Tampax ou des serviettes hygiéniques). On apprend peut-être à une jeune fille à devenir une allumeuse mais non à se comporter en véritable « salope ». Bref, la fillette est initiée très tôt à une certaine réserve et discrétion. Une mère peut éventuellement parler avec sa fille des moyens de séduction, comme appâter, jadis un mari, désormais un compagnon stable, elle ne la poussera jamais à se comporter « comme une pute ».
Le plaisir féminin de l’instant se retrouve plus dans la séduction et la domination. Concernant cette dernière, rien à voir avec celle du macho qui cherche à être obéi, craint et admiré pour son jeu de muscles ou en gueulant des ordres d’adjudant. La domination chez la femme s’exprime de façon bien plus subtile et perfide. C’est imposer le choix d’un film, un programme de télé alors qu’elle est seule au milieu de quatre ou cinq hommes qui n’osent la contredire, même si elle n’en fréquente intimement aucun. C’est aussi arriver systématiquement en retard à un rendez-vous, pour le plaisir de faire poiroter. Là, il ne faut pas confondre avec celle qui pose un lapin, la Madeleine de Brel se fout de sa gueule. Celle qui fait attendre viendra, mais probablement après le train 33, car elle n’aime pas les frites et encore moins Eugène ! Le retard est pour elle un moyen de se faire désirer, une façon d’affirmer son existence. Choisir un lieu de vacances, non par goût mais par contradiction, hésiter longtemps devant un menu à l’exaspération du garçon et surtout de la serveuse si elle est jolie, jamais un homme ne l’oserait. La femme peut passer des heures à choisir une robe ou un bijou, mais elle sera aussi très souvent indécise face au choix d’un papier peint, d’un coloris de peinture ou d’un buffet de cuisine. Quelle jubilation pour une femme de faire déballer des échantillons par une jeune vendeuse, l’obliger à ouvrir des emballages, étaler des catalogues et demander systématiquement le coloris qui n’est pas en magasin. Chez la femme le désir de faire attendre, de se faire attendre, d’être sèche et hautaine, pour ne pas dire méprisante et cassante entre à fond dans le jeu de la séduction. La devise de beaucoup de femmes vis-à-vis des hommes, même si elles s’en défendent âprement, est loin d’être cartésienne mais plutôt du style « je t’emmerde, donc je suis ». La composante dominatrice du plaisir chez la femme atteint des sommets dans le roman de Pierre Louÿs, « La femme et le pantin » bien plus proche des fantasmes féminins que la soumission théâtralisée décrite par Pauline Réage dans « Histoire d’O ».
Et puis, en dehors des nouveaux pères changeurs de couches et réchauffant des petits pots, beaucoup trop récents dans l’évolution de la société pour que l’on puisse en évaluer l’impact à long terme, les enfants interviennent de façon plus quotidienne dans la satisfaction des femmes. Aucun homme n’oserait des propos stupides sur les qualités d’éveil et les performances du petit dernier sur le perron d’une maternelle. Et si un père vient seul chercher ses gosses à la sortie d’une école primaire, il préférera reluquer le cul des jeunes mères que de parler avec elles des progrès en calcul ou en histoire de leurs gamins respectifs, même s’il suit de près les résultats scolaires de ses petits. L’enfant est souvent un prolongement narcissique des mâles, surtout quand il est beau et doué ; il est une partie des tripes de la mère, une sorte d’excroissance extra-utérine qui continue à faire corps avec elle longtemps après le partum même s’il est con et moche. La maternité change la femme et pas uniquement au niveau des vergetures. Un homme qui aime ses gosses et éventuellement encore son épouse ou sa compagne, ne renonce que très rarement à ses copains, à un dernier pour la route ou à une belle paire de nibards. Il apprend l’hypocrisie et essaie de dissimuler ses frasques et ses écarts pour avoir la paix. Il agit souvent par égoïsme et intérêt, mais aussi par lâcheté et s’il apprend à feindre et à dissimuler, ce n’est pas par perversité, mais par nécessité et recherche de tranquillité. Le bon père et le bon mari est celui qui sait gérer son emploi du temps entre famille, travail et distractions. La bonne mère et la bonne épouse, est celle qui ne délaisse ni son mari ni son amant (ni quelquefois les deux en même temps) pour se consacrer uniquement aux gamins. Le plus souvent, la femme, une fois mère, quand bien même eut-elle été auparavant une pétroleuse de roman, une amazone, une « pétasse » ou une « vraie salope », cesse de penser à elle mais avant tout à ses gosses. Peu importe qu’elle ne soit pas née femme mais le soit devenue comme le déclare péremptoire Simone de Beauvoir, ce qui importe, c’est le résultat final au niveau comportemental. Avec l’enfant, la femme devient anxieuse, ennuyeuse, calculatrice et organisée, en dehors de quelques femmes-enfants obnubilées par leur image corporelle et qui sont incapables de passer efficacement de la poupée au marmot. Traditionnellement, c’est la mère qui éduque, soigne, nourrit et éventuellement fesse ou corrige l’enfant au quotidien. Le père n’intervient que par intermittence et quand cela devient sérieux, niveau scolaire, toxicomanie, grosse bêtise ou maladie grave. Il a donc plus la possibilité d’avoir une interférence ludique avec l’enfant, même s’il n’est pas toujours présent. L’enfant distrait l’homme de son quotidien, alors qu’il est le quotidien de la mère. La nouvelle mère défendra avec acharnement son noyau familial jusqu’à l’éventuel divorce souvent de son initiative et essaiera le plus souvent de recréer une seconde cellule rassurante sur un modèle identique en faisant tout au niveau légal pour maintenir son droit de garde et sa mainmise sur ses gosses et les prestations qui vont avec.
Dans les pays occidentaux, une mode assez récente, elle date d’à peine 30 ans, veut que le géniteur assiste à la mise-bas de sa compagne, lui tenant la main d’un air benêt pendant qu’elle accouche. Cette attitude de compassion lénifiante n’apporte rien à la femme qui pousse sur la table gynécologique et la présence d’un tiers ne peut que perturber l’équipe obstétricale si les choses tournent mal. Car bien que la spécialité ait fait des progrès énormes, nulle parturiente n’est à l’abri d’une complication impromptue. Et puis l’accouchement n’est ni écœurant ni sublime, il est simplement physiologique. Il est donc totalement ridicule de parler de « mystère de la vie » concernant un acte aussi naturel et banal que le rot, le pet ou la défécation. L’accouchement est tout juste moins fréquent dans la vie d’une femme que les autres exonérations sphinctériennes et il dure un peu plus longtemps. Quel plaisir peut éprouver un homme peu au fait des choses médicales à l’odeur du liquide amniotique, à la vue d’une vulve dilatée par la tête de l’enfant à naître, de la merde sortant de l’anus entre deux contractions ? (on n’a pas tout le temps l’opportunité de pratiquer un petit lavement avant chaque accouchement). Qui peut s’émouvoir devant un cordon ombilical ou un placenta ? La seule différence entre l’accouchement et le vêlage réside dans l’absence de paille dans la salle de travail et dans la position de la parturiente qui n’est pas à quatre pattes. Quant au mâle, quelle fierté a t’il à tirer de l’évènement, lui qui n’a réalisé qu’une copulation fécondante plutôt brève comparée à la durée de la gestation. Pas de quoi en émettre un cocorico ni de saluer comme un boxeur sur le ring. Stupide fierté masculine mal placée, car tout le travail est le lot de la femme et non dans l’instant éjaculateur du petit mâle ergotant.
Les rapports avec le corps sont aussi différents selon le sexe. Sans être une Japonaise, terrifiée à l’idée qu’on puisse l’entendre uriner, une femme en général apprécie de pouvoir pisser discrètement et en paix. Alors que beaucoup d’hommes aiment se soulager la vessie en groupe à la sortie d’un bar, contre un arbre ou entre deux voitures, lâchant ou non un rôt ou un pet synchrone. Et ceux qui s’adonnent à ces petits plaisirs mictionnels ne sont pas forcément des prolos incultes ou des supporters de foot. La femme veut aussi dissimuler le plus possible, toute odeur corporelle, ce qui fait le profit des fabricants de parfums, de déodorants et de gel-douche. L’homme sans pour autant vouloir puer attache bien moins d’importance aux soins corporels, à l’exception des nouveaux métrosexuels épilés et pomponnés qui ne sont que des épiphénomènes de magazines branchés servant à vendre une ligne de cosmétiques. La femme a encore plus l’angoisse du vieillissement, la ménopause faisant office de guillotine esthétique, mais les effets de l’âge commencent bien avant. Car il est indéniable que la plupart des femmes passées les quarante ans, surtout si elles ont eu des grossesses menées à terme, sont beaucoup plus belles habillées que nues. Ceux qui ne fréquentent pas que des jeunes donzelles post-pubères ont eu de désagréables surprises au moment crucial du déshabillage. Si l’on a exceptionnellement la fesse molle et le sein en gant de toilette à vingt ans, cette tare apparaît hélas trop souvent passées les quarante. Et en dépit de la piètre opinion que l’on puisse avoir d’Eric Besson, les glapissements pseudo-littéraires de son ex-épouse Sylvie Brunel ne sont pas justifiés. Elle a eu, hélas pour elle, le sort qui l’attendait inéluctablement. La question qu’un homme marié est en droit de se poser est : vaut-il mieux être trompé par une jeune et jolie femme ou déçu et honteux avec une de son âge.
Enfin, ce n’est pas la joie de vivre qui irradie la planète. Les hommes seraient mal placés de critiquer les femmes sur ce point, car ce sont eux qui ont majoritairement inventé, les guerres, les religions, les usuriers, le stalinisme, le nazisme et l’écologie. Quant on en voit les ravages, on ne peut jeter la pierre aux femmes. Disons cependant que les quelques facétieux qui se sont mis en dehors et en porte-à-faux avec ces systèmes totalitaires ont montré à la face du monde, leur irrévérence, leur ironie et leur sens de la dérision. Il se peut que le nombre peu important de femmes n’appartenant pas au modèle conservateur et traditionnel soit le résultat d’une éducation minorée et d’un manque d’accès à la parole qui fut leur lot pendant des siècles. Mais les nouvelles générations féminines qui sont nettement moins brimées et ont plus la capacité de s’exprimer et de prendre le pouvoir ne sont pas pour autant prêtes à la fête, à l’excès et à la débauche. Très peu, d’autre part, sont capables de développer des qualités d’humour et de raillerie que l’on retrouve au masculin. Comme pour les grands cuisiniers, l’immense majorité des humoristes est composée d’hommes. Et en dehors de leur ancêtre, Madame de Sévigné, qui avait cependant une médisance toute féminine, nos grandes comiques sont très rares. Elles se caractérisent souvent par un excès pondéral et un physique particulièrement moyen pour rester dans un registre neutre et poli. Une très belle femme est exceptionnellement drôle. Le persiflage féminin qui n’a rien de rabelaisien, n’atteint jamais la méchanceté lucide et tragique d’un Coluche ou d’un Desproges. Dans ce monde de l’ironie, seule peut-être Claire Bretécher a su en France tenir la dragée haute à bien de ses confrères masculins. La plupart des femmes prend pour de l’enfantillage et de l’immaturité les blagues et les comportements festifs des hommes. Pire elles n’en comprennent pas la portée. Non qu’elles manquent de subtilité, mais parce qu’elles évoluent dans un autre registre de raisonnement. Comme simple exemple, un homme peut trouver très érotique une table rectangulaire mise en biais pour y manger du petit salé aux lentilles en compagnie d’invitées au décolleté plongeant, une femme aura du mal à voir le côté sensuel et la charge hautement voluptueuse de la situation. Pas plus qu’elle ne percevra la puissante charge érotique d’un bas filé, surtout s’il est noir et qu’il perle quelques gouttes de sang coagulé sur le genou, elle ne voit dans un accroc à son collant qu’un vague inconvénient esthétique. Une femme éprouvera aussi beaucoup de difficultés à percevoir la sensualité que dégage une harpiste en robe longue dans un orchestre philharmonique (surtout si elle n’est pas épilée des aisselles) pas plus qu’elle ne saisira l’émoi de son compagnon quand il passe en voiture devant la devanture d’un bistro miteux en plein dans la zone industrielle, sorte de madeleine de Proust de sa jeunesse de virées dans des lieux glauques sentant la pisse, le cambouis ou le renfermé et maculés de dépôts incertains et de débris putrides. Certains hommes se satisferaient très bien de défilés de mode dans une décharge d’ordures ou une casse de voitures pour accentuer le contraste, sûrement pas une femme. Et si la copulation dans les poubelles décrite avec tant d’humour par Reiser peut tenter quelques amateurs de sensations fortes, la femme préfère le plus souvent les draps de satin et les bons matelas aux coups pressés et furtifs dans des endroits extravagants. Il existe bien évidemment des exceptions, mais elles sont rares.
Les contraintes religieuses, culturelles et morales ont maintenu les femmes dans la sphère familiale et nourricière pendant des millénaires. Cela explique en partie leur faible participation à des activités triviales en dehors de celles dédiées professionnellement aux plaisirs masculins. Rejetée car impure et démoniaque pour les penseurs chrétiens, la femme est subalterne pour les Grecs qui préfèrent les contacts musculeux entre mâles quand ils ne prônent pas l’ascèse et l’abstinence et dans l’univers romain elle est matrone, vestale, esclave ou putain. Pour les hétérosexuels pas trop imprégnés de religion, la femme fut longtemps, avant l’actuelle poussée du féminisme, un bel objet que l’on convoite ou que l’on exhibe avec ostentation comme une toile de maître, une Maserati ou une carte Gold, le petit côté salace en supplément. A de rares exceptions, la femme n’apparaît pleinement comme capacité pensante que vers la fin du XIXème, le début du XXème siècle. Auparavant, aucune d’elle ne pouvait s’exercer sérieusement à la philosophie, on imagine mal Anna Arendt au temps de Sappho ou de Charlemagne, même si quelques femmes enseignèrent comme les compagnes des gnostiques et celle d’Aristippe de Cyrène. Il n’est qu’à se souvenir qu’Emmanuel Kant ne les imaginait que dans la cuisine et derrière les fourneaux. Bas-bleu à la rigueur avec ce qu’il y a de péjoratif derrière ce terme, mais certainement pas philosophe ! Il restait dans le domaine féminin autorisé, la poésie, la peinture et le piano pour se distinguer de celles qui ne sortaient ni des fourneaux, ni du repassage ni de la broderie entre deux maternités. La femme qui aime le sexe et qui ne s’en cache pas, malgré la libération des mœurs reste rare. Peu sont capables de se comporter comme une héroïne de Virginie Despentes qui « couchait avec le plus de monde possible, car elle pensait qu’on s’améliore au lit comme on s’améliore au piano, en pratiquant », (Apocalypse Bébé). Baise-moi, est loin d’être le cri de guerre des femmes et encore moins des féministes.
Bien avant le film culte de Jean Eustache, la femme a longtemps été cantonnée dans un rôle de maman ou de putain. Il existe désormais une troisième catégorie, celle de la femme active, l’executive woman des Américains, qui a totalement oublié qu’elle possède un vagin, considère la maternité comme un obstacle à son plan de carrière et de ce fait ne voit pas d’un bon œil le pénis du mâle. Pour les autres, donner le sein, torcher le cul, habiller et laver des marmots n’incite pas a priori à raconter des blagues et commettre des facéties. Cependant, sans négliger l’importance des contraintes religieuses, historiques, éducatives et sociales, on ne peut que se demander si l’imprégnation hormonale différente entre les deux sexes n’intervient pas pour beaucoup dans l’expression du désir et des pulsions. La femme peut finalement plus facilement assassiner Marat ou défendre ses droits fondamentaux et inaliénables comme le fit Olympe de Gouges avant de finir sur l’échafaud que rire d’un concours de pets, relever ses jupes à défaut d’ouvrir sa braguette pour pisser avec ostentation sur la ligne de l’Equateur ou au pied de la Tour Eiffel avec des copains ou raconter des blagues à deux sous une chope à la main dans un bistro minable. Quand l’époux dans le TGV ouvre ostensiblement un journal à la page des mots croisés et déclare d’un air faussement interrogatif, « on l’a mauvaise quand on saute dessus ? », avant de clamer d’un air entendu « mine ! » comme un eurêka, sa femme lui lance un regard torve, quand elle ne dit pas excédée « arrête tes conneries ! », comme on dit à un gosse, « tu vas te tenir tranquille ». Et le pauvre Archimède baisse le nez, frustré et vaincu. Ce n’est pas demain la veille qu’il tentera en public la définition du mot écume : « taille des pipes au bord de la mer » ; il prendrait trop de risque de se faire de nouveau engueuler ! Contrairement à ce que pense et déclare Jean-Jacques Rousseau, « La femme ne sera jamais autre chose qu’un grand enfant », la réalité quotidienne tend à nous prouver exactement l’inverse. C’est plutôt l’homme qui refuse de grandir et s’y résout la main forcée quand les contraintes sociales et économiques l’y obligent. Malheureusement cette maturité et cette clairvoyance féminine servent le plus souvent à étouffer toute aspiration à la fantaisie chez son conjoint qu’à prévenir d’éventuels débordements.
Le désir de consommer est loin d’être l’apanage des femmes, le mâle dispendieux existe bel et bien, mais elles jettent leur dévolu sur d’autres catégories de biens de consommation qui leur sont spécifiques. Là où l’homme pense gadget clinquant, voiture customisée, montre tape-à-l’œil, la femme s’intéresse à la mode, aux marques et aux colifichets. La dépendance de la mode et aux marques a créé cette catégorie de fashion victims plus ou moins consentantes qui peut se retrouver prise au piège du surendettement. La fièvre acheteuse, compulsive chez certaines femmes ne trouve son équivalent masculin que dans la dépendance au jeu. Dans le couple, pas beaucoup de place pour les facéties, la couple est hélas trop souvent une camisole enfilée de force pour prévenir la fantaisie. Quand l’épouse envoie son homme avec une liste de courses, c’est net et précis. Pas question d’en oublier une partie et s’il ne trouve pas l’après shampoing sans sulfate laurylé parfumé au miel et à l’amande dans la jungle des rayons du supermarché, le mari ne peut dire en s’excusant : Je n’ai pas trouvé ton shampoing, alors j’ai ramené une bouteille de Suze. C’est le meilleur moyen de se faire engueuler et d’anticiper le divorce. Alors, de temps en temps, pour se sentir un peu libre et rêver quand il est enfin seul, l’homme fait une petite virée solitaire en voiture, Ray Ban sur le nez, fenêtre ouverte, un coude à l’extérieur arborant un sourire carnassier à chaque jolie piétonne qu’il croise en ralentissant et puis il rentre piteusement au bercail, sans avoir osé draguer.
Les féministes devraient enfin comprendre que ceux qu’elles qualifient de misogynes sont souvent des hommes qui ont tellement aimé les femmes qu’ils s’en sont retrouvés amers, déçus et quelquefois aigris. Qui n’a jamais mieux chanté l’amour que Brel ! Et Jean Dutourd et Philippe Bouvard ont probablement caché bien des déceptions derrière leur ironie sarcastique et leurs bons mots vis-à-vis des femmes. Sans être totalement misogynes, beaucoup d’hommes doivent penser que comme pour la guerre qui est une chose trop sérieuse pour être laissée dans les mains de militaires, l’organisation des plaisirs ne peut décemment l’être dans celles des féministes, des écologistes et des moralistes. La femme de son côté, au lieu d’être ou de se regarder comme l’avenir de l’homme, devrait se considérer comme son propre avenir. Un avenir de complémentarité et non d’affrontement des sexes de type marxiste. On a vu finalement ce qu’il est advenu de la lutte ses classes. Mais un jour peut-être, les Lysistrata du futur se retrouveront bec dans l’eau, les mâles ayant renoncé à leur virilité pour avoir enfin la paix, devenus homosexuels ou frappés d’anaphrodisie totale ils ne regarderont plus les femmes et se remettront à feuilleter un herbier ou à la philatélie qui sont a priori deux arts mineurs sans risques excessifs de poursuites pour harcèlement. A moins qu’après une période d’incertitude, de tâtonnements et d’expériences négatives et décevantes, la femme ne revienne plus raisonnablement aux neiges d’antan et se remette à se comporter comme les Vénus de la vieille école, celles qui font l’amour par amour. Un jour peut-être, les femmes reviendront à de bien meilleurs sentiments ; l’homme qui aimait trop les femmes peut se permettre de rêver.
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