Le pouvoir de séduire des femmes, vecteur de révolution sociale : pour en finir avec le voile islamique comme symbole d’un nouveau féminisme
L’annonce par le Président de la République d’un débat de portée nationale sur l’islam organisé par l’UMP, non sans arrières pensées quant à tenter ainsi de rabattre des voix de droite risquant de s’égarer vers le Front National, suivie de son affirmation d’une identité de la France dont les racines seraient du côté de la chrétienté, ce qui est pour le moins réducteur, jette un peu plus de confusion sur des questionnements essentiels en regard des attaques que subit la laïcité. L’islam n’en demeure pas moins un problème sérieux posé à la société française, à travers la montée constante de ses revendications communautaires. Nous avions fini par penser les libertés et droits individuels, les libertés publiques, l’école laïque elle-même comme intouchables par les religions, jusqu’à la première affaire du voile à l’école à la fin des années 80.
Après avoir lutté pour enlever les crucifix des écoles et ne plus jurer sur la bible pour rendre la justice, on a vu revenir, par l’entremise de l’islam et ce signe religieux ostensible qui le représente, le voile islamique, la religion, animée d’une volonté de partout s’insinuer. Il en a été ainsi lorsqu’il a été question pour cette religion d’imposer des concessions dites, accommodements raisonnables, qui n’ont de raisonnables que le mot, au nom d’une liberté de conscience dont il n’a été fait que peu de cas alors de celle des autres. Mais surtout, ce mouvement procéda de prendre le pas sur une libération des jeunes maghrébines qui marquait les années 70 en France et le début des années 80.
Un repli identitaire de la femme musulmane présenté à travers le voile comme un nouveau féminisme
L’affaire des premiers voiles, celle de Creil en 1989, a été le point de départ d’un retour à la tradition et a donné un coup d’arrêt à un mouvement de mélange entre non musulmans et musulmans en France qui a connu depuis une involution. A la suite, un mouvement de revoilement a donné lieu à un repli identitaire, au nom du droit à la différence et à un retour aux vraies racines, se traduisant dans une conception de la religion relative à la notion de foi authentique enfermant les jeunes filles musulmanes tendanciellement dans une logique communautaire. De fait, derrière cette logique du retour du religieux dans les populations d’origine d’Afrique du nord comme référence identitaire première, s’est produit un éloignement croissant du mouvement d’émancipation qui marquait l’histoire des femmes en France depuis 1968.
Dans ce contexte, on s’est mis soudain à nous vanter le nouveau féminisme des jeunes filles voilées, symbolisant la résistance aux valeurs « immorales » de l’Occident et une fierté identitaire à opposer à l’indignité d’un colonialisme qui avait opprimé leurs parents. Au passage, on a oublié de penser que ce voile pouvait aussi être porteur d’une nouvelle oppression représentant un symbole de soumission à un coran qui donne à la femme un statut nettement inférieur à l’homme, qui doit lui être soumise par la volonté de Dieu (Sourate IV verset 38). Une large frange de la gauche et une autre de la droite, se sont prêtées depuis à un marchandage et un clientélisme religieux, qui ne peut qu’encourager les choses dans la plus mauvaise des directions.
On sait que le mouvement qui aujourd’hui domine le Conseil Français du Culte Musulman, l’UOIF (l’Union des Organisations Islamiques de France), qui défend le port du voile comme une obligation pour la femme musulmane, lors de ses manifestations annuelles invitent par exemple Hani Ramadan qui prône la charia et la lapidation comme la loi authentique des musulmans, ou son frère Tariq, qui dans le meilleur des cas nous propose de négocier cette dernière derrière l’idée d’un moratoire, comme si cette barbarie était négociable, ou encore professe ses bons conseils coraniques sur la chaîne du gouvernement iranien Press TV pendant que les opposants à ce régime fascistes sont emprisonnés et torturés, liquidés ! Ce qui en dit long sur le frein que représentent ces organisations et leurs soutiens au passage de l’islam actuel à sa modernisation laïque.
On a vu d’ailleurs qu’une organisation politique très proche de l’UOIF comme le NPA de Besancenot, poussait les choses jusqu’au point de proposer à l’élection à un mandat de la République, qui sépare sans ambages religieux et politique, une candidate voilée, et donc contre les principes fondamentaux de nos institutions qui permettent notre vivre ensemble. Le voile est progressivement devenu ainsi le symbole du refus de l’intégration.
La vertu du voile cache la soumission à un ordre patriarcal moyenâgeux
Toutes les religions sont issues d’époque où dominait l’ordre patriarcal, c’est la raison pour laquelle aucune d’entre-elles n’a jamais prôné l’égalité hommes-femmes. Toute religion prise au pied de la lettre ramène inévitablement ainsi des siècles en arrière les relations entre les sexes. Malheureusement, force est de constater que sous l’impulsion d’un CFCM dominé par l’UOIF, se réalise un mouvement de revoilement allié à une relecture littéral du coran et de son interprétation la plus conservatrice, qui conduit à l’obligation du port du voile comme l’attribut incontournable de la bonne musulmane, c’est-à-dire celle qui est vertueuse, parce qu’elle cache derrière celui-ci ce que la religion considère comme impudique, ses cheveux.
C’est d’ailleurs le thème défendu par Yamina Benguigui dans son dernier téléfilm « Aïcha » diffusé sur France 2, mercredi 2 mars. On y voit des jeunes filles voilées qui manifestent pour demander le droit à l’ouverture de la piscine municipale à des horaires spécifiques aux femmes musulmanes, alliées pour la circonstance avec des « Loubavitch ». Un mouvement se réclamant d’un nouveau féminisme culturel qui entend en finir avec la mixité, qui a été une des conquêtes laïques des plus essentielles contre les préjugés de l’Eglise catholique en France. Une présentation où il est clairement énoncé que cette demande doit être entendue dans le sens de respecter la pudeur des jeunes filles musulmanes, comme un droit relevant de leur liberté individuelle, s’imposant à une structure remplissant un rôle de service public, normalement fondé sur la non-discrimination.
Il ne faut pas se tromper ici en pensant cela anodin. Contrairement à l’affirmation d’un voile porteur d’un nouveau féminisme, il est, en se remémorant un peu l’histoire de l’émancipation des femmes de la domination masculine dans notre société, facile de comprendre qu’il n’en est rien. Il y a ici pour le moins fausse route. Car ce dont il est question ici, derrière cette façade philosophico-religieuse, c’est du retour d’une oppression, d’une soumission typiquement patriarcale et machiste, discriminante et infériorisante pour la femme.
Marie*Claire, un nouveau journal qui libère les femmes à travers la promotion du désir de plaire
Pour mesurer comment le voile est tout le contraire du féminisme, il faut se reporter quelques années en arrière, lors de la publication pour la première fois d’un journal féminin, s’adressant uniquement aux femmes, « Marie*Claire », créé en 1937 par Jean Prouvost, au lendemain du Front populaire qui avait vu cet événement sans précédent de l’arrivée de trois femmes dans un gouvernement, alors qu’elles n’avaient pas encore le droit de vote. A plusieurs reprises depuis la seconde décennie du XXe siècle, l’Assemblée nationale avait voté en la faveur de la reconnaissance de ce droit, mais le Sénat conservateur et porteur des veilles valeurs du passé dont celle d’une Eglise toujours pesante, s’y était opposé à chaque fois.
Ce journal féminin revendiquait l’émancipation de la femme et sa promotion dans la société alors qu’elle devait encore demander au mari son autorisation pour ouvrir un compte bancaire ou travailler, qu’elle n’était encore considérée avant tout que comme une mère soumise à une autorité paternelle toute puissante, remplacée seulement en 1970 par l’autorité parentale conjointe ou si l’on préfère, des droits égaux pour les époux sur leur(s) enfant(s).
La révolution dont ce journal allait être porteur, c’était résolument d’une nouvelle image de la femme. Celle qui ne pouvait être qu’infantile ou épouse et mère allait affirmer une nouvelle réalité, celle de la femme qui cherche à plaire, à se faire belle pour elle-même, non en regard d’un modèle de beauté décorative et potiche, mais d’un culte de la beauté qui est véritablement révolutionnaire. Cet état de femme jeune et jolie qui veut plaire, provoque l’envie chez les autres et encourage donc toutes les femmes à répondre à cet idéal.
A travers cette nouvelle attitude sociale, la beauté devient une nouvelle façon pour la femme de faire irruption sur la scène urbaine, sur la scène de l’histoire, comme un contrepouvoir qui rivalise avec d’autres instances de pouvoir, dont celle où l’homme trône seul jusque-là devant les sexes. Une mise en valeur qui fragilise l’homme et le déstabilise en lui montrant une nouvelle voie aux relations amoureuses, à une nouvelle façon de s’aimer qui culminera dans la reconnaissance de l’égalité entre les sexes. Cette nouvelle image de la femme, qui trouvera son aboutissement en mai 68 et explosera en révolution sexuelle, provoquera des années trente aux années 70 un bouleversement des mentalités et l’apparition d’une nouvelle femme, libérée de plusieurs siècles de domination masculine par ce dévoilement de sa beauté, par sa mise en valeur totalement laïcisée et émancipée des conventions et tout particulièrement, du conservatisme religieux qui avait sévit longtemps en opprimant la liberté de s’aimer et le désir.
Le voile est une obligation de la femme musulmane à s’effacer, à disparaitre… Il faut qu’elle se révolte !
Cette façon qu’a le voile d’invitation à se cacher pour la femme, à se mettre en retrait, au nom d’une religion, révèle combien il s’agit ici de retour en arrière, d’une régression de la condition des femmes et d’un contresens de l’histoire qui les fait retomber entre des mains d’hommes d’un autre temps. Il y a une nouvelle révolution à faire pour les femmes musulmanes en regard du voile, pour se départir de ce symbole de possession d’elle d’une religion qui les met en réserve pour ceux qui vont les posséder ou signifie que déjà ils les possèdent !
Le voile, s’il est un instrument de domination de l’homme sur la femme est aussi le symptôme d’un tour de passe-passe, celui d’un islam politique qui utilise l’argument identitaire pour assimiler toute difficulté d’intégration sociale, dans ce contexte de crise économique, à une question de discrimination. On encourage ainsi, dans ce prolongement, le ressentiment contre une société française accusée sous ce signe des discriminations de post-colonialisme généralisé. Une démarche qui est un détournement de sens qui efface la question sociale derrière celle de l’identité ethno-religieuse, prenant en otage des centaines de milliers de jeunes filles, souvent françaises, qui devraient au contraire s’en extraire pour trouver le chemin de leur libération en investissant sans réserve la société et toutes les responsabilités qu’elle leur offre, et prioritairement les luttes sociales. Une révolution qui permettrait de reprendre le cours de ce mélange entre populations d’origine et de croyances ou convictions différentes, comme le meilleur des gages contre le racisme et l’exclusion.
Rappelons-nous que c’est Jules Guesde, ce grand révolutionnaire socialiste, qui dans le programme du Parti Ouvrier de France proposa pour la première fois dès 1880 l’égalité en tout, entre hommes et femmes, y compris l’égalité salariale. Une innovation sans précédent sous les effets conjugués de la nouveauté de l’avènement laïque de la IIIe république et de plusieurs révolutions politiques et sociales qui marquèrent l’histoire du XIXe siècle. Lors du Front populaire, l’occupation des usines par les femmes constitua un tournant décisif dans l’affirmation de leurs droits, participant de faire trembler sur ses bases le capitalisme. Elles avaient montré la voie que reprenait, après la victoire sur le nazisme, le Conseil national de la résistance en 1944, qui devait enfin instituer le droit de vote des femmes et leur accès à part entière au statut de la citoyenneté politique en regard aussi de leur rôle éminent dans la résistance.
Voilà le chemin de la liberté des femmes, de leur émancipation, entre la révolte contre les conventions, l’affirmation de leur désir, les luttes sociales et politiques pour les droits de tous et l’égalité, la démonstration de leur courage au service de la nation entendu comme la souveraineté du peuple.
La femme est plus que jamais l’avenir de l’homme !
L’émancipation des femmes a été un facteur d’émancipation et d’avancer des libertés pour toute la société. C’est pour celles qui portent aujourd’hui le voile un rendez-vous manqué avec l’histoire, il ne tient qu’à elles de la faire bouger en s’émancipant de ce signe ostensible qui pèse sur leur volonté. Ce serait libérer du même coup tous les musulmans eux-mêmes. Quel formidable exemple cela pourrait être, donnant du grain à moudre aux révolutions arabes en cours dont l’issue concernant la place des femmes n’a rien d’écrite à l’avance. Ce serait aussi à coup sûr donner un nouvel élan de liberté à notre société, l’apport de nouvelles forces vivent pour pousser plus loin l’émancipation collective, la conquête laïque du bonheur.
Vive le 8 mars, journée internationale des femmes !
Guylain Chevrier, historien.
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