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Le prix d’un accident du travail

20 500 euros d'amende pour l'accident de Laurent Radenac, cet ancien salarié de Nestlé Waters Direct qui avait été écrasé par une porte de près de 300 kg, et qui, par la suite, avait été retrouvé mort de froid… Pour la famille, le calvaire continue...

Les faits

20 500 euros d'amende infligés à Nestlé Waters Direct. C’est la condamnation que le tribunal correctionnel de Nanterre vient de prononcer pour blessures involontaires et infractions au Code du travail, suivant en partie le réquisitoire dans l'affaire du tragique accident du travail de Laurent Radenac.

L’ancien directeur général de l'entreprise écope d’une peine d’amende avec sursis s’élevant à 7 500 euros et une autre ferme de 2 000 euros. Maître Yturbide qui défend la veuve de Laurent Radenac, Nelly, estime que cette amende est forte, même si là encore, "on représente le pot de terre contre le pot de fer. En tout cas, ce sera inscrit au casier judiciaire de la société." Pour Nelly Radenac, "ce n'est pas cher payé, le directeur s'en sort à bon compte. Mais je suis soulagée car le principal, à mes yeux, c'est qu'ils soient condamnés !"

On ne sait pas encore si Nestlé compte faire appel, mais on se souviendra que son avocat avait à la fois promis que l'entreprise prendrait sur elle les conséquences de l'accident de travail de Laurent Radenac et minimisé les chefs d'accusation. Les juges ont retenu plusieurs fautes, dont le manque d'informations sur le fonctionnement de la porte de l'entrepôt mais aussi le manque de formation des salariés et le mauvais entretien de cette porte qui s’est écrasée sur Laurent, rappelle la FNATH qui défend tous les accidentés de la vie et notamment les victimes du travail.

Audience

L'audience avait eu lieu tard le soir, le 23 mai dernier, au tribunal de grande instance de Nanterre (Hauts-de-Seine). Devant la 17e chambre correctionnelle, les prévenus, l'entreprise représentée par Lucien Romeo, directeur général, et Lionel Reboul, ancien directeur général jusqu’en 2007. Mais aussi l’épouse de Laurent Radenac, Nelly et l'une de ses deux filles, partie civile, ainsi que l’Inspection du travail de Clichy La Garenne, pour défendre le chef d’accusation de blessures involontaires.

La victime, Laurent Radenac, le 10 janvier 2007, avait reçu une porte de près de 300 kg sur le genou qui avait entraîné un arrêt de 15 mois, une incapacité permanente partielle (IPP) de 10 % ; des séquelles physiques et morales dont il ne s’était jamais remis. Séquelles qui ont probablement contribué à sa triste fin, mort de froid, dans un entrepôt de la région parisienne, le 6 décembre dernier… mais ces arguments n'ont pas été évoqués. C’est dans ce même tribunal, en novembre dernier que Laurent Radenac s’était lui-même rendu, partie civile (lire Portrait plus bas). L’audience avait été repoussée à ce 23 mai…

On se souvient que Laurent était rentré dépité, inquiet, perturbé à l’idée de devoir retourner sur le billard en janvier. Quelques jours plus tard, il a posé ses affaires, laissé son portable, ses clés, pris 20 euros et n’a plus reparu. On ne sait pas ce qui s’est passé. Certains avaient parlé de lui comme d'un sdf, mais l'image d'un salarié laminé, déçu, inquiet est sans doute plus proche de la réalité, car, comme le rappelle sa veuve ou sa soeur, il continuait à prendre soin de lui. Il a eu besoin de prendre du champ, les conditions météo extrêmes de la fin 2010 en ont décidé autrement.

Accident évitable

A l'audience, la procureure avait réclamé 5 ans de prison avec sursis pour blessures involontaires, 2500 d’amende pour défaut d’entretien et 3 000 euros avec sursis pour les trois délits ayant entraîné l’accident du travail. Elle a également demandé la condamnation de l’entreprise à 50 000 euros pour blessures involontaires, 5 000 euros pour défaut d’entretien et 6 000 euros pour les trois délits ayant entraîné l’accident du travail. Les parties civiles ont réclamé 2 500 euros de dommages /intérêts et que la décision soit opposable à la CPAM.

Faute... limitée

En réponse, l’avocat de Nestlé Waters Direct a souligné que l’entreprise prendrait sur elle les conséquences de l’accident du travail sans rechigner. Mais il a tenté de minimiser les chefs d’accusation. Il a rappelé que l’entreprise n’avait jamais méprisé la sécurité. Selon lui, la cause de l'accident de Laurent Radenac remonte à un laps de temps très court depuis le 9 janvier 2007 au soir où l’on décide d’ouvrir la porte avec les moyens du bord jusqu’au 10 au matin où elle retombe sur Laurent Radenac, alors que le fabricant de la porte a été appelé pour intervenir à 10h. La faute de Nestlé c’est de ne pas avoir empêché ce geste !

Mauvais coupable

De son côté, l'avocat de l'ancien dirigeant, M. Reboul, s'est fondé sur le fait que son client ayant été licencié, n’avait pas en sa possession les documents qui pouvaient l’aider à se défendre. Les droits de la défense ne sont pas respectés selon lui et l’on s'est trompé de coupable !

A la fin de l’audience, le représentant de Nestlé s'est tourné vers la veuve et sa fille et a tenu à rappeler la mémoire de Laurent en soulignant combien il était aimé de ses collègues, combien c’était un homme bien et courageux.

Pierre LUTON

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encadré

Le calvaire n’est pas fini !

La décision du TGI de Nanterre ne met pas un terme au calvaire de la famille de Laurent Radenac : une procédure en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur menée par la FNATH doit en effet être examinée après le procès au pénal pour permettre aux proches de la victime d’être indemnisés. Comme des milliers de victimes du travail, c’est devant les tribunaux qu’elle doit se battre pour obtenir une indemnisation plus juste pour les conséquences d’un accident qui aurait pu être évité.

La FNATH qui accompagne cette famille dans son combat pour faire reconnaître la faute inexcusable de l’employeur, rappelle que l’indemnisation automatique dans le cadre des accidents du travail ne concerne que le versement d’indemnités journalières et éventuellement l’attribution d’une rente ou d’un capital. Pour obtenir l’indemnisation des préjudices des ayants droit en cas de décès, une action doit être engagée afin de faire reconnaître la faute inexcusable de l’employeur si celle-ci est la cause de l’accident ou de la maladie. Une telle action peut être intentée si deux conditions sont réunies : l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

 

PORTRAIT

« Ce Radenac, c’est un cas spécial ! »

C’est l’histoire d’une descente aux enfers aux ingrédients trop connus : accident du travail, dépit, repli sur soi, vague de licenciement, crise au travail, collègues plus ou moins bienveillants, procès, peur, abandon… Un jour Laurent Radenac a tout laissé tomber !

« Laurent a été pris par le froid. Il ne restait plus que 9 euros dans ses poches. Peut-être a-t-il voulu rentrer à la maison, mais il n’en avait plus la force. » La dépouille de Laurent Radenac, 52 ans, a été retrouvée dans un entrepôt désaffecté de la mairie de Paris. Ce sont des agents qui l’ont déniché là, témoigne sa femme, Nelly, qui a décidé de poursuivre le combat pour lui.

« Il avait dû forcer le grillage pour se mettre à l’abri. Cela explique pourquoi on a mis tant de temps à le retrouver. Il a disparu le 15 novembre. On ne l’a retrouvé que le 6 décembre, durant la vague de froid. On l’avait pourtant signalé au service des disparitions inquiétantes. Personne ne l’a croisé ! » Cette semaine du 15 novembre 2010 avait été épouvantable pour Laurent et pour sa femme qui depuis n’a pas été épargnée. Elle vient de perdre son père et n’a toujours pas retrouvé de travail. « Il y a des séries, quand ça va mal, ça va mal jusqu’au bout… » « Je n’ai cessé de lui dire : " va voir le docteur, il t’arrêtera." Il me répondait : « Ils vont me licencier… »

Tournant

En janvier 2007, Laurent Radenac qui travaillait comme chauffeur-livreur chez Nestlé Waters Direct a reçu sur lui un rideau de fer défectueux. Ce jour-là, il a eu de la chance, mais il s’en est sorti avec des séquelles à vie. « Ça le travaillait de ne plus pouvoir reconduire. Il a fallu qu’il digère ce tournant. » Laurent a été arrêté 15 mois. Il a été reclassé, mais comme agent de maintenance. Des rumeurs de vente couraient. Il y a eu des départs. « Il y avait une ambiance malsaine. Il était isolé, il se demandait ce qu’on allait faire de lui. » « Oui, l’accident du travail a été admis, il a eu un taux d’incapacité de 8 %, mais on ne s’est pas senti réparé. Autour de lui, tout s’effondrait. » Nelly fait une pause : « Oui, c’est moi qui l’ai poussé un peu. Il voulait laisser tomber. Tu vas être handicapé à vie, je lui disais. On lui répétait la même chose dans la famille. On savait que cela faciliterait la démarche pour la faute inexcusable. »D’après sa femme, Laurent s’est senti angoissé, anxieux, même, le jour où il a reçu sa convocation pour le procès au pénal impulsé par l’inspection du travail de Clichy-La-Garenne pour blessure involontaire. L’audience a eu lieu le 8 novembre dernier. Il s’est porté partie civile. Un renvoi a été prononcé. Des pièces manquaient au dossier. « Mon mari l’a pris contre lui. » « Les jours suivants, il m’a dit : "maintenant qu’on sait que je suis partie civile, on va tout faire pour me pousser à la démission"  ». Il se sentait visé : « Radenac, c’est un cas spécial », lui rapportaient certains indélicats qui prétendaient l’avoir entendu de la part de dirigeants…

20 euros

Quelques jours après, Laurent Radenac est rentré chez lui. Il a simplement posé ses affaires, laissé son portable, ses clés, pris 20 euros et n’a plus reparu. « Pour moi, il s’est passé quelque chose, mais je ne le saurai jamais. » Il gardait tout pour lui. « Des inspectrices du travail enquêtent encore aujourd’hui au sein de la société qui a été rachetée par Château d’eau. Si elles démontrent le harcèlement moral, elles en feront part au procureur de Bobigny. Pour mes deux filles, je veux obtenir réparation. Quand je pense qu’au bout de plus de 4 ans après l’accident du travail, il n’y a toujours pas eu de jugement. En tant que victime, Laurent était miné. »

 

ENCADRE

Un adhérent de Paris

« C’était quelqu’un de très discret, Laurent Radenac, nous confie Fabienne Juin, secrétaire générale du groupement parisien de l’association FNATH qui défend les accidentés du travail. Affectée, elle ajoute : « Il ne se plaignait pas. Il a adhéré fin décembre 2007 et repris son travail en avril 2008, après 15 mois d’arrêt suite à son accident du travail. L’inspection du travail a relevé plusieurs infractions. Une procédure pénale a été entamée. M. Radenac voulait se porter partie civile. La faute inexcusable était en attente du jugement au pénal. Il a fallu attendre juin 2011 pour savoir si son employeur allait être condamné. Cela va rarement plus loin que des amendes. La veuve et les filles de M. Radenac pourront par la suite poursuivre en faute inexcusable pour le compte du défunt. Une seconde enquête de l’inspection du travail est en cours pour déterminer si Laurent Radenac a pu être victime de harcèlement ; ce qui pourrait déboucher, même si c’est compliqué, sur une reconnaissance de son décès en accident du travail. Sa veuve et ses filles pourraient ainsi prétendre à réparation. »

 

Article paru en partie dans le journal de la FNATH, "A part entière" (Mai 2011). Pour en savoir plus : www.fnath.org


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4 réactions à cet article    


  • Robert GIL ROBERT GIL 9 juin 2011 10:41

     la plus grande insécurité, c’est au travail ; et les victimes
    d’accidents du travail, sont, du point de vue de la réparation, moins bien
    protégées que les victimes d’accidents de droit commun. Les dispositions de
    l’indemnisation des victimes du travail sont moins favorables que celles des
    « victimes » en général. Une maigre compensation existait, à savoir que les
    indemnités journalières des accidentés pendant leur arrêt de travail forcé
    n’étaient pas imposées : elle a été scandaleusement qualifiée de « niche
    fiscale » et supprimée, on s’en souvient, en 2009, par la majorité UMP. Voir :

    http://2ccr.unblog.fr/2011/01/15/travailler-nuit-gravement-a-la-sante/


    • antonio 9 juin 2011 12:20

      Ah ! Si Laurent Radenac s’était appelé Bernard Tapie ! Il aurait eu droit au moins à quinze millions d’euros pour préjudice moral !


      • TSS 9 juin 2011 19:22

        L’etat nous bassine à longueur de temps avec les 4500 morts de la route  ! mais si il publiait

         les chiffres de la mortalité par accident du travail , je crois que pas mal en tomberaient sur le cul !!

        Et là les coupables sont faciles à trouver... !!


        • pierre luton pierre luton 14 juin 2011 17:07

          Précision : veuillez lire : L’ancien directeur général de l’entreprise écope d’une peine d’amende avec sursis s’élevant à 5 000 euros et une autre ferme de 4 500 euros, selon maître Yturbide, avocate de la famille Radenac.

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