« Le problème du Venezuela, ce n’est pas Maduro, c’est la délinquance »

Vénézuélien vivant à Marseille, Mello Leon est compositeur et percussionniste. Originaire de Caracas, il a quitté le Venezuela en 2012, un an avant la mort de Chavez, quand la violence dominait déjà les rapports sociaux du sixième pays d'Amérique latine en termes de population. Devant le chiffre de 120 morts depuis le début du conflit, il peine à s'émouvoir. « J’ai une pensée pour les familles des victimes, mais pourquoi les médias évoquent seulement les morts dans les manifestations et pas ceux qui meurent chaque fin de semaine à cause de la délinquance ? ».
Des chiffres confirmés par l’Observatoire Vénézuélien de la Violence (OVV), selon lequel 28.479 personnes ont été tuées en 2016, soit 78 morts par jour en moyenne, classant le pays parmi les plus violents et dangereux du monde. L’ONG considère Caracas comme « 14 fois plus violente que Sao Paulo (Brésil), 10 fois plus que Bogota (Colombie) et 15 fois plus que Mexico. ». Mello reprend « un seul samedi à Caracas, c’est autant de mort que depuis l’ensemble du conflit ». Selon lui, le récent intérêt des médias internationaux coïncide avec l’effondrement du modèle de référence pour la gauche d’Amérique latine. Une théorie confirmée par les universitaires chiliens Giorgio Boccardo et Sebastian Caviedes dans une analyse publiée en juillet 2017 dans la revue « La Brêche », les auteurs soulignant :
« Il ne faut pas se soumettre à l’opportunisme de la droite, qui, sous une façade démocratique, réduit tout débat à la question de savoir si oui ou non le régime vénézuélien est une dictature, alors que ses intentions vont dans le sens de réinstaller un modèle aussi socialement et politiquement excluant que celui de type néolibéral. »
Le gouvernement actuel porte-t-il la responsabilité de cette insécurité ? Chavez expliquait le taux de délinquance par la misère et la pauvreté qui régnait dans le pays. En aidant les plus démunis, il pensait mettre fin à l'escalade de violence. Nicolas Maduro en faisait également le thème central de sa campagne présidentielle en 2013 et évoquait l’insécurité comme « la priorité de toute son action à la tête du gouvernement ». Bien que le phénomène ne soit pas nouveau, il s’amplifie ces dernières années. Toujours selon l’OVV, on comptait 19.336 personnes tuées en 2011, qualifiée à l'époque « d’année la plus meurtrière de l’histoire nationale ». On dénombre aujourd'hui 28.479 morts, soit pratiquement 10.000 de plus, 49% d'augmentation en six ans.
Mello reprend :
"Le problème du Venezuela, ce n’est pas Maduro, c’est la délinquance. Les politiques changent, les crises peuvent se résoudre. Mais l’insécurité ? C’est le vrai problème, elle a toujours été là et ça ne changera pas ».
Quand on lui demande s'il craint pour sa famille restée à Caracas, il répond calmement qu'il s'y refuse. « Sinon je passerais toute ma vie dans la peur ». Comme les enfants nées dans un pays en guerre, il s'est habitué à la mort et à la violence.
En cause, des crimes et délits plus mortifères qu'avant. A un niveau de délinquance constant, la prolifération d’armes à feu utilisées par les délinquants - mieux équipés - est évoquée comme l’une des causes de l’augmentation de la mortalité. La réponse policière s’est également accrue, entrainant des règlements de compte et des fusillades violentes entre policiers et délinquants comme le 24 juin dernier, lors d’une confrontation entre la police et des trafiquants dans une fête de San Juan.
De nouveaux acteurs de la violence apparaissent, classés comme « délits amateurs », ils ne sont pas le fait de délinquants chevronnés mais de personnes sans antécédents. Des « Monsieur Tout le monde » commettant un acte délictueux en réaction à la situation de crise et soutenus par le sentiment d’impunité qui règne dans le pays. Plus récemment, on assiste à l'apparition des « crimes pour la faim » provoqués par les pénuries et encouragés par l'inflation.
Un bilan économique contrasté
Chavez, au pouvoir pendant 14 ans, a un bilan économique contrasté. Le taux de pauvreté a reculé sous sa présidence, mais il était également en baisse dans l’ensemble des pays d’Amérique latine sur la même période. Malgré un important investissement public pour sortir des millions de Vénézuéliens de la pauvreté, les résultats sont difficilement estimables en raison de l’opacité des chiffres officiels et de la crise économique qui sévit actuellement.
Mello a toujours soutenu le chavisme et reconnait que sans les structures et associations financées par le régime, il ne serait jamais devenu musicien :
« Musicien au Venezuela ? Je n’avais aucun avenir, mais le gouvernement nous a donné les moyens d'apprendre, de faire des spectacles et des concerts, pour tout ça, je suis reconnaissant, ma vie s’est améliorée ».
Mais il reconnaît avoir eu de la chance, ce qui fonctionna pour lui ne fut pas une généralité pour les autres :
« Avant Chavez, seulement les avocats et les docteurs pouvaient réussir, pourquoi pas les ouvriers ou les musiciens ? » lâche-t-il.
Son discours est nostalgique. Malgré les doutes, il croyait à la révolution ouvrière et à l'héritage d'un chavisme éternel. A un détail prêt, Maduro n’est pas Chavez, et d’un air triste, il conclut "mais Chavez est mort, et maintenant, c’est la merde".
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