Le rapport Gallois
Il n’est pas sorti qu’il est déjà enterré par François Hollande lui-même. Les journaux sont assez peu diserts sur les raisons profondes de l’Elysée et l’on serait intéressé de les connaître. Peut-être cela sera-t-il pour plus tard ? En attendant, nous allons commenter les points de fond qui sont abordés potentiellement dans ce rapport et qui ont fuité dans la presse.
Le Parisien fait état de sept propositions phares. Nous ne les commenterons pas toutes équitablement, certaines valant plus que d’autres au point de vue symbolique. En réalité, la vraie mesure phare que propose Louis Gallois est celle d’un choc de compétitivité qui a deux volets essentiels : la baisse du coût du travail et la baisse du coût de l’Etat. Disons le net, le slogan de Nicolas Sarkozy avait une part de vrai, mais une part seulement. Il faut travailler plus pour gagner plus, certes, mais il ne s’agit pas de décréter de travailler plus ex nihilo, encore faut-il qu’il y ait du travail à faire et encore faut-il que le travail effectué le soit à un coût compétitif. La France, avec plus de 10% de chômeurs, a effectivement besoin de travailler plus et si elle travaille plus, on peut penser, au premier ordre, qu’elle gagnera plus. Le problème actuel, c’est que le coût du travail est exorbitant. Prenons un exemple pour bien fixer les choses. En aéronautique, dans certains corps de métier, lorsque le salarié reçoit en salaire brut 1€, il coûte à son patron 2,2€. Au final, être compétitif avec de telles charges est tout simplement impossible quand certains de nos compétiteurs sont à moins de 1,15€ pour un salaire brut de 1€. Baisser, donc, le coût du travail, non pas en baissant le net du salarié, mais tous les parasites qui viennent se greffer sur la feuille de salaire est donc une mesure à rechercher.
Néanmoins, il est facile de le dire, mais c’est sans compter que l’argent des charges est utilisé à des fins sociales : la sécurité sociale, les allocations vieillesse, les caisses ASSEDIC, UNEDIC, etc. Changer le système de financement, en prenant une autre référence que les salaires, pourrait être une voie. Certains syndicats, en son temps, ont proposé comme alternative une taxe sur la valeur ajoutée des entreprises. Je ne pense pas que cela soit une bonne chose, car taxer la valeur ajoutée revient exactement à taxer le travail in fine et l’on retombe alors dans la problématique précédente. Louis Gallois, lui, propose une augmentation conjointe de la CSG et de la TVA. Cette dernière semble une voie raisonnable puisqu’elle taxe avant tout la consommation et une TVA intelligente, dite sociale, taxerait les produits d’importation, ce qui n’est pas le cas des charges sur les salaires. La CSG est plus discutable, car elle taxe aussi les salaires. Or le pouvoir d’achat est déjà en berne, il ne faudrait donc pas ajouter une crise à la crise.
Vient alors le coût de l’Etat, dont personne ne parle, mais qui est un vrai sujet. On dit couramment que l’état français coûte 8 points de PIB de plus que l’état allemand. A priori, les allemands ne sont pas sous-administrés. Il y a donc là, incontestablement, un gisement important d’économies. Certains ne manqueront pas de dire que si l’on supprime des emplois publics on augmentera encore le chômage, ce qui est le contraire de ce que nous visons. La réponse est seulement oui provisoirement. En effet, une compétitivité retrouvée se soldera par des commandes supplémentaires et donc une production en augmentation et des créations nettes d’emplois qui devraient faire plus que compenser les pertes initiales. Par ailleurs, regardons les choses sous un jour logique. Lorsqu’un employeur rémunère ses salariés, il leur attribue, en échange de leur travail, un pouvoir d’achat. Dans ce pouvoir d’achat, le coût de l’Etat est compris. Avec un état qui représente 56% du PIB, cela veut dire que plus de la moitié de la rémunération du salarié, d’une façon ou d’une autre, sert à rémunérer l’Etat. Que chacun réfléchisse bien à sa vie de tous les jours et qu’il regarde s’il a l’impression que la moitié de ses gains (charges employeur incluses) lui paie l’équivalent en prestations publiques… On en arrive donc à une conclusion qui aurait pu être prononcée a priori, sans aucun risque de se tromper : le problème de la France, ce n’est pas celui de la compétitivité de ses entreprises, c’est celui de sa compétitivité globale dans un contexte où l’état représente plus de 50% du coût.
Eliminons d’abord une solution qui était possible, mais ne l’est plus : la dévaluation. En effet, tant que nous avions une monnaie nationale, nous pouvions compenser nos surcoûts en dévaluant notre monnaie, ce qui nous permettait de rester compétitifs sur le marché mondial. Avec l’euro, ce n’est plus possible. Il est d’ailleurs étonnant que ce sujet n’ait pas été davantage débattu pendant la campagne présidentielle. En effet, Louis Gallois, alors PDG d’EADS, ne se privait pas de dire que chaque fois que le dollar perd 10c par rapport à l’Euro, cela coûte 1 milliard d’euros à Airbus. Lors de la campagne, nous avions essentiellement deux partis politiques qui voulaient revenir au franc, le FN et DLR. Il est étonnant qu’aucun de ces partis n’ait utilisé l’argument suivant. Le positionnement industriel de la France étant centré sur l’aéronautique (plus du tiers des emplois industriels civils français), le nucléaire et l’automobile, le passage au franc qui aurait amené à une dévaluation de l’ordre de 30% de notre monnaie, aurait potentiellement rempli les caisses d’Airbus, d’AREVA, de PSA, Renault, etc., avec des plans sociaux en moins… Mais tout le monde fut, étrangement, bien silencieux sur une telle approche.
Dans un contexte où nous restons dans l’euro, ce qu’il nous faut donc, c’est un choc de compétitivité de l’Etat. Pour les gens de mon âge, le discours sur la réforme de l’Etat est un peu comme le monstre du Loch Ness dont on parle tout le temps, mais que l’on ne voit jamais. Des mesures plus techniques les unes que les autres sont proposées, mais ne voient jamais le jour, et, bien souvent, heureusement tant elles semblent hasardeuses. La réforme nécessaire de l’Etat doit avant tout être philosophique. « L’intendance suivra » comme le disait Napoléon. En réalité, sans faire de l’économie de haut vol, l’Etat est là pour offrir un service. Ce service ne saurait être gratuit. Il doit donc être payé par ceux qui s’en servent. Mais ceux qui ne s’en servent pas ne doivent pas avoir à le payer. Prenons un exemple qui, nous semble-t-il, a quelque peu été oublié ces dernières décennies. La monnaie, aujourd’hui, ne peut exister que si un état existe. L’Euro, à cet égard, est une monstruosité, puisqu’il ne dépend pas d’un état. Quoi qu’il en soit, le seul agent social qui doit avoir la main mise sur la monnaie doit être l’Etat, car il en est, en quelque sorte, l’alpha et l’oméga. Cette monnaie, l’état en assure la légitimité, la légalité, la sécurité, la circulation, etc. Tout cela constitue un service essentiel de l’Etat qui doit donc être rémunéré à sa juste valeur. J’ai proposé, dans mon ouvrage « ainsi marchait l’humanité », de supprimer la monnaie « solide » (papier, pièces, chèques, etc.) pour la remplacer par une monnaie électronique anonyme, mais traçable par la justice en cas de besoin avec toutes les garanties démocratiques assorties pour éviter quelque dérive que ce soit. Typiquement, serait prélevée par l’Etat, une taxe sur chaque transaction, quelle qu’elle soit et uniforme, pour rémunérer, justement, ce service unique de l’Etat.
Cela a bien des avantages dont je vous passerai le détail, mais je ne puis résister à la tentation de faire un commentaire annexe. Aujourd’hui, nos gouvernants, qui se disent exemplaires, pensent peut-être taxer les transactions financières au niveau de 0,1%. Au nom de quelle morale taxerait-on les transactions financières à ce si faible niveau quand la nourriture, elle, est taxée à 7% ?
Pour les autres prestations, on pourrait facilement s’inspirer du principe que nous avons défini plus haut. Par exemple, il revient à l’Etat d’organiser l’équité. Considérons le secteur médical. La sécurité sociale n’est ni plus ni moins qu’un organisme d’assurance un peu particulier. Ce qui la distingue d’une compagnie d’assurance, c’est qu’elle n’a pas vocation à faire des bénéfices et qu’elle ne doit pas discriminer entre les divers cotisants, c’est-à-dire offrir un taux uniforme à tout le monde. Cela, clairement, elle le fait en partie aujourd’hui. Mais peut-être n’a-t-elle pas vocation à « engraisser » certaines professions. Comment, par exemple, peut-on tolérer depuis des années, des pratiques éminemment coupables comme le fait que le malade à l’hôpital part après 14h et est remplacé dans une chambre à 16h par un autre, ce qui permet de facturer la chambre deux fois ; ou encore les déplacements en ambulance récemment épinglés par la cours des comptes avec des voyages multiples alors que les malades sont transportés en groupe, etc. ?
La révolution culturelle que doit faire l’Etat est donc celle de déterminer son « cœur de métier » et d’assurer l’équité de la prestation et ce via un coût uniforme à la population. Ce coût uniforme doit être payé par tous, même les plus pauvres, au travers, par exemple, comme indiqué plus haut, de taxes sur les transactions, tout simplement, car chacun doit savoir ce que l’Etat coûte et être conscient qu’il paye cette prestation qui doit être à un juste prix. Les plus pauvres doivent aussi payer, parce que chacun, dans la mesure de ses moyens, doit contribuer à l’Etat. La seule contribution acceptable, dans un tel contexte, est la contribution strictement proportionnelle, c’est-à-dire un pourcentage fixe, identique pour tout le monde. L’Etat, lui, est chargé de l’équité. Cela ne l’empêche aucunement, si nécessaire, de reverser des compensations au plus pauvres.
Voilà ce que l’on pouvait dire sur les deux mesures phares proposées par Louis Gallois. Les autres, hélas, ne sont pas du même niveau. La taxe sur les diesels est une ineptie, car les moteurs diesel polluent moins que les moteurs à essence. Le pouvoir aux salariés dans les conseils d’administration est de la poudre aux yeux, quant au pacte social et de compétitivité « historique », il est une douce utopie comme nous allons rapidement le voir. En effet, le dernier pacte historique qui a été passé, c’était au sortir de la deuxième guerre mondiale. La mondialisation a largement changé la donne et l’on ne voir guère comment un syndicat serait assez bête pour penser que l’on pourrait revivre une sorte de capitalisme paternaliste national. Cela n’est possible que dans une nation, ce que nous ne sommes plus.
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