Le retour de la machine à supprimer le dimanche
Ce dimanche 26 avril, c’est par la voix de Brice Hortefeux, « l’ami de trente ans » du Président, devenu l’actuel Ministre du Travail, que les grincements de la machine à supprimer le dimanche se font à nouveau entendre. Il était l’invité du « Grand rendez-vous », sur Europe1.

Promesse de campagne ? "Nous n’y avons pas renoncé".
Le Ministre a rappelé qu’il s’agissait d’un engagement de campagne pris en 2007 par le candidat Sarkozy : "nous n’y avons pas renoncé", "cet engagement doit être tenu et il sera atteint", a-t-il asséné.
M. Hortefeux s’est bien gardé de parler de certaines autres promesses de campagne de son candidat : en 2007, Nicolas Sarkozy avait aussi promis de rétablir l’équilibre des comptes publics, de faire baisser le taux des prélèvements obligatoires, de ramener le plein-emploi et d’améliorer le pouvoir d’achat. Du boulot, pour un Ministre du Travail...
Une nouvelle proposition de loi... écrite par le Gouvernement, et discutée... pendant les grandes vacances !
Et le Ministre d’annoncer le prochain dépôt d’une nouvelle "proposition de loi" (censée être d’initiative parlementaire, dont le circuit législatif est plus simple que celui d’un "projet de loi", d’initiative gouvernementale). Selon les décomptes, le texte original a fait l’objet de sept ré-écritures successives officielles, toutes "parfaitement équilibrées", ce nouvel avatar n’en serait que la huitième !
En fait, une fois de plus, il s’agira pour le gouvernement de réécrire le texte initialement proposé par Richard Mallié, ce député des Bouches du Rhône, que sa propension à déformer la réalité (voir l’affaire du vrai-faux sondage du JDD) est telle qu’elle l’a fait surnommer "Tonton Carabistouille". Les rumeurs rapportent d’ailleurs que ce ne serait pas Tonton Carabistouille, un peu usé, qui porterait cette nouvelle mouture, mais un nouveau député porteur d’eau.
Le texte relooké, qui devrait être déposé "dans les prochaines semaines", sera "débattu en juillet", période où les citoyens sont en vacances, les journalistes à la plage, et où les bancs de l’Assemblée sont désertés. Une façon toute particulière de concevoir le débat républicain...
Abuser du marketing politique tue (la confiance).
La reprise d’arguments improbables laisse prévoir que ce nouveau débat sera, comme l’ancien, placé davantage sous le signe du marketing politique, à grand renfort de cabinets de communication et de campagnes de pub - on se souvient des millions dépensés par le Gouvernement Raffarin pour sa campagne de pub sur le Lundi de Pentecôte - , que de la sérénité et de la transparence, voire de la confiance.
Ainsi, on pleurerait presque à ré-entendre le Ministre reprendre l’inoxydable "Par exemple, c’est une stupidité de ne pas pouvoir faire ses courses le dimanche sur les Champs-Elysées". Encore un peu, il nous ressortait le coup des "180 dérogations" !
Mais, plus sérieusement, il est lassant, après six mois de matraquage marketing, de continuer à entendre M. Horetefeux affirmer que le projet consisterait à permettre "aux salariés qui le souhaitent, dans des zones bien définies, de pouvoir effectivement travailler volontairement", alors que l’on sait que ce prétendu "volontariat", en matière de salariat, n’existe pas, et que les "zones bien définies" ne tiendront pas longtemps devant les problèmes de concurrence en domino qu’elles vont induire, phénomène actuellement observable avec les conséquences de l’amendement Confokéa.
De même, que le Ministre laisser perdurer l’énorme carabistouille du texte Mallié, qui avait fait croire aux salariés que le dimanche serait payé double, tout en écrivant dans sa proposition - en très petits caractères - que le double paiement ne s’appliquerait qu’en absence de convention contraire, disposition qui rendait le double paiement aussi probable que la fin des impôts, n’est pas des plus responsable.
La Mallié-VIII, version light
La future proposition, huitième réécriture du texte Mallié, s’annonce comme une version "light" de la septième version.
Selon M. Hortefeux, il s’agira de pouvoir ouvrir "tous les commerces de détail" dans "les zones touristiques et thermales", ainsi que dans certaines "grandes agglomérations", comme Paris, Marseille et Lille. M. Hortefeux a sans doute oublié que les magasins d’alimentation (jusqu’à midi), de loisirs, de sport, et tous les établissements culturels peuvent actuellement ouvrir en toute légalité dans toute la France, ainsi que tout commerce s’il est ouvert par son propriétaire (il faut rappeler que le travail du dimanche n’est PAS interdit en France, mais que la Loi impose seulement aux employeurs de donner un jour de repos hebdomadaire aux salariés, le dimanche).
La disposition Mallié, qui proposait de passer le nombre de dimanche d’ouverture exceptionnelles des magasins de 5 à 8 par an, ne devrait pas être reprise. Il est probable que ce soit la crise qui soit à l’origine de cette évolution : prévoyant originellement la libéralisation de tous les dimanches, le secteur de la grande distribution avait demandé que n’en soient libéralisés "que" 10 seulement par an, seuil de la rentabilité de l’opération*. C’était avant que la grande distrib’ ne mesure tous les effets de la crise.
A problème simple, solution simple.
Au fond, qui veut la peau du dimanche ?
D’un point de vue économique, il s’agit, selon tous les rapports publié sur le sujet, ainsi que l’expérience de certains pays voisins (Etats Unis et Allemagne, notamment), d’une mesure légèrement néfaste, ne créant ni emplois ni richesse. Socialement, c’est une très mauvaise mesure, et la société n’en a vraiment pas besoin. Selon les sondages, de 70 à 80% des citoyens veulent garder le dimanche comme il est, les syndicats sont vent debout, et les Eglises protestent. Politiquement, mauvaise limonade : l’UMP ne partage pas massivement l’opinion de ses leaders sur ce sujet (comme sur d’autres, d’ailleurs), et l’opposition, toujours en peine de trouver des sujets sur lequels elle puisse rebondir, est toute prête à enfourcher ce cheval. Du côté "amical", les lobbies de la grande distribution, qui avaient chaleureusement poussé la proposition Mallié, sont refroidis par la baisse de consommation actuelle, et la faiblesse des prévisions pour 2009. On n’entend même presque plus Laurence Parisot sur le sujet, c’est dire !
Reste deux questions emblématiques : Plan de Campagne, par qui cette histoire "ubuesque" avait commencé, et les Champs Elysées.
Le problème de la plus belle avenue du monde n’en est pas un : une consultation des commerçants de l’Avenue devrait rapidement permettre de trouver une solution, qu’une simple solution réglementaire viendrait asseoir - en attendant qu’un prochain Ministre trouve stupide de pouvoir acheter des lunettes de vue le dimanche sur les Champs mais pas rue de Berri ! Les syndicats s’y sont déclarés ouverts.
La question de Plan de Campagne est moins facile : ce centre commercial gigantesque avait pu obtenir des dérogations lui permettant d’ouvrir en toute légalité (au contraire des Usine Center), mais ces dérogations de complaisance, témoignant de quarante ans d’incurie administrative, sont aujourd’hui attaquées. Là encore, une solution progressive de retour à la normale, pourquoi pas dans une durée équivalente, est une solution réaliste et efficace. Elle avait été entreprise début 2007 par le Préfet Christian Frémont, en concertation avec les partenaires sociaux et les entreprises, et ne demande qu’à être reprise.
Pas besoin pour cela de détruire une loi qui a fait la démonstration de son équilibre depuis plus d’un siècle.
* Interview Jérôme Bédier, Nov 08
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