Le revenu de base inconditionnel est le socle de la refondation du pacte social
Le revenu de base inconditionnel n'est pas assimilable à une revendication sociale qu'il faudrait négocier avec qui que ce soit. Le revenu de base inconditionnel est le socle de la refondation du pacte social. Il n'est pas une simple mesure adoptée parmi d'autres ; il est la base d'une nouvelle approche, d'un nouveau paradigme de notre modèle de société.
J'ai assisté samedi 31 mars 2012 à Montreuil à un colloque sur le revenu inconditionnel organisé par le collectif PouRS (Pour un Revenu Social), en présence de nombreux universitaires, économistes, travailleurs sociaux, syndicalistes...
Les tables rondes ont été passionnantes, et les intervenants apportaient tous des éléments très intéressants à verser au dossier du revenu de base inconditionnel. Certains présentaient des visions complémentaires ou originales de mise en œuvre du revenu de base inconditionnel, comme Michel Lepesant, du mouvement des objecteurs de croissance, pour qui l'instauration d'un revenu minimum garanti est indissociable de la mise en place d'un revenu maximum acceptable (il ne m'a pas convaincu).
Certains apportaient la contradiction en exposant les raisons de leur franche opposition, comme Catherine Lebrun, du syndicat Solidaires, qui est farouchement opposée au revenu de base inconditionnel, le traduisant comme le renoncement des forces du travail face à celles du capital, confirmant les raisons que j'évoquais dans un récent billet.
Certains enfin évoquaient leur scepticisme, comme Emmanuel Porte, sociologue, qui nous a présenté une expérimentation du revenu minimum étudiant, et qui craignait que l'instauration du revenu de base inconditionnel puisse subir les même dérives que le revenu minimum étudiant avait pu rencontrer.
Dans cette dernière catégorie (celle des sceptiques), Matthieu Grégoire, sociologue, nous a présenté "La revendication de revenu inconditionnel au regard de l'expérience du régime des intermittents du spectacle". Bien que la comparaison puisse paraître discutable au regard de l'inconditionnalité (pour tous et sans contrepartie) du revenu de base inconditionnel alors que le régime des intermittents est par définition catégoriel et soumis à conditions, elle est a contrario pertinente parce qu'elle permet de mesurer la continuité du revenu dans un contexte de discontinuité de l'emploi (propre aux intermittents), et permet donc d'observer une rupture existante du lien emploi-revenu.
Je ne détaillerai pas ici l'exposé de Matthieu Grégoire. En revanche, il a conclu en constatant que le régime des intermittents était né (et avait été sauvé) de luttes avec un interlocuteur identifié (le Medef), et en craignant que le revenu de base inconditionnel ne voit jamais le jour faute d'un interlocuteur identifié avec lequel il puisse être négocié.
Si cette dernière remarque ne m'a pas laissé indifférent (comme toutes les raisons qui pourraient faire obstacle à l'instauration d'un revenu de base inconditionnel), elle me semble en revanche totalement erronée, et je suis même étonné qu'un sociologue puisse la commettre.
En effet, Matthieu Grégoire semble postuler que pour pouvoir un jour être instauré, le revenu de base inconditionnel devra nécessairement être négocié. Il l'assimile de la sorte à une revendication sociale, comme les congés payés, l'instauration du SMIC, les 35 heures, les retraites... comme s'il s'agissait d'une exigence du monde du travail face au patronat (comme c'est le cas pour le régime des intermittents). A mon sens, il commet ce faisant une erreur, sans doute induite par le terme "revenu" dans son appellation (ou "allocation" dans d'autres versions).
En effet, selon moi, le revenu de base inconditionnel n'est pas assimilable à une revendication sociale qu'il faudrait négocier avec qui que ce soit. Le revenu de base inconditionnel est le socle de la refondation du pacte social. Il n'est pas une simple mesure adoptée parmi d'autres ; il est la base d'une nouvelle approche, d'un nouveau paradigme de notre modèle de société. Il s'agit en ce sens davantage d'une revendication sociétale. Comme le disait joliment au cours du colloque Yoland Bresson, économiste, cofondateur et président de l'AIRE (Association pour l'Instauration du Revenu d'Existence), cofondateur du BIEN (Basic Income Earth Network) :
Le revenu d'existence nous permet de changer le regard qu'on porte sur le monde, et tout change avec ce regard
En ce sens, le revenu de base inconditionnel est comparable à ces changements majeurs qui interviennent dans la société et qui modifient par la suite la façon de voir les choses. Toute chose étant égale par ailleurs, on peut ainsi citer : l'abolition de l'esclavage ; le droit à l'avortement ; la fin de la ségrégation raciale aux USA ou la fin de l'apartheid en Afrique du Sud ; l'abolition de la peine de mort ; la reconnaissance des homosexuels...
Ainsi, quand les femmes défilaient dans les rues pour réclamer le droit à l'avortement, et quand Simone Veil portait ce flambeau à la tribune de l'Assemblée Nationale, il ne s'agissait pas de demander l'ouverture de négociations, il n'était pas question de se mettre autour d'une table pour discuter les modalités. Il s'agissait de faire reconnaître un droit, devenu incontestable parce que la société évoluait et considérait (pas majoritairement d'ailleurs) qu'on ne pouvait plus revenir en arrière.
Ce n'est d'ailleurs bien souvent qu'après l'adoption des droits pris en exemple que les citoyens se mettaient à évoluer et à changer progressivement leur regard sur le droit considéré. Le revenu de base inconditionnel s'inscrit dans une telle logique. Il représente un changement de paradigme et nous obligera à repenser notre modèle sociétal.
On ne négocie pas l'abolition de l'esclavage ou celle de la peine de mort, pas plus que le droit des femmes à l'avortement. On fait face à une opposition, souvent farouche (car les forces du conservatisme sont souvent plus nombreuses et bruyantes que celles de l'audace et du progrès), mais il ne s'agit pas de négocier avec les opposants.
Ainsi, le revenu de base inconditionnel ne devra pas être négocié. En tant que tel, l'absence d'un négociateur identifié n'est donc pas un obstacle à son avènement. Le revenu de base inconditionnel est une idée qui doit faire son chemin, qui peu à peu s'imposera comme le nouveau pacte social qu'il est, et qui, in fine, sera adopté.
Ce n'est pas pour rien que de nombreux promoteurs du revenu de base inconditionnel reprennent souvent ces si jolis mots de Victor Hugo :
Il n’est rien au monde de plus puissant qu’une idée dont l’heure est venue
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