Le terrorisme comme outil de l’État profond - La politique intérieure [1/3]

L’objectif de cette étude est de traiter du phénomène terroriste dans sa dimension spectaculaire, autrement dit dans celle qui mobilise intensément les médias et par conséquent les consciences collectives. Nous allons tenter une analyse globale pour montrer que cette forme précise de terrorisme peut être un instrument étatique utilisé ou récupéré pour effectuer des modifications de paradigme dans la société... au bénéfice du pouvoir. Si « expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser » le terrorisme selon le charismatique Premier ministre Manuel Valls, nous allons lui démontrer qu’en l’expliquant, nous voulons plutôt lui nuire.
Rappel historique
Mettons directement les pieds dans le plat : historiquement, le phénomène terroriste a été majoritairement organisé par des instances étatiques dans un objectif de subversion précis. Les origines philosophiques du terrorisme contemporain peuvent remonter à la naissance du monde moderne, où la Terreur de la Révolution française de 1789 a été le moyen légitime pour un changement radical de paradigme, justifiant massacres et autres totalitarismes qui suivront. Au XIXe siècle déjà, le terrorisme anarchiste d’extrême gauche était supervisé en sous-main par l’État (le préfet de police Louis Andrieux et ses agents de police agitateurs infiltrés) pour contenir la contestation sociale et légitimer les lois scélérates de 1893. Plus tard, dans les années 1950, ce sont des milieux d’extrême droite qui ont été massivement récupérés par l’OTAN, avec la coordination des services de renseignement anglo-américains (CIA et MI6), pour lutter contre l’influence du communisme en Europe de l’Ouest par le biais d’attentats sous faux drapeau. À partir des années 1970, ces réseaux d’armées secrètes de l’OTAN appelés Stay-Behind, et notamment la section italienne Gladio, ont également commencé à manipuler des milieux d’extrême gauche. Les Brigades rouges italiennes ont par exemple été instrumentalisées par la CIA dans le cadre de la stratégie de la tension pour maintenir l’Europe dans le giron militaire de l’OTAN. En octobre 1990, le 1er ministre italien Guilio Andreotti a révélé que l’organisation Gladio, à travers la loge maçonnique italienne P2, organisait les opérations des Brigades rouges. Alberto Franceschini, un des fondateurs des Brigades rouges, l’a également expliqué dans ses mémoires publiées en 2005 [1]. Il est démontré aujourd’hui que l’OTAN, la CIA et le MI6 ont tué des civils européens dans le cadre des opérations des cellules Stay-Behind (exemple : l’attentat de la gare de Bologne en Italie en août 1980, 85 morts, 200 blessés) pour maintenir le Rimland européen sous contrôle anglo-saxon. Ces armées secrètes inféodées à l’OTAN étaient présentes dans la quasi-totalité des pays européens. De nombreuses études et livres documentés traitent de ces affaires [2], des reportages ont été réalisés et des enquêtes parlementaires suisse, italienne, belge, néerlandaise, autrichienne et luxembourgeoise ont éclairé le phénomène dans leur pays respectif à partir des années 1990.
Dans les années 1980, ce sont les milieux wahhabites et takfiristes issus principalement d’Arabie Saoudite qui seront utilisés par les instances étatiques et paraétatiques anglo-américaine principalement pour contrer la menace soviétique en Afghanistan. Des organisations telles que les Frères Musulmans et la Ligue Islamique Mondiale largement soutenues par la CIA, ont joué un rôle essentiel dans ce jihad US anti-soviétique. Ces éléments wahhabites deviendront centraux dans le changement de paradigme après la chute du mur de Berlin et seront utilisés massivement par la suite. L’ancien secrétaire d’État étasunien James Baker dira logiquement à ce sujet en 1996 : « Nous ne devons combattre les intégristes que dans la mesure exacte où nos intérêts nationaux l’exigent ». Cette collaboration entre les États-Unis et les fondamentalistes musulmans n’est pas nouvelle. Elle commence au moins dès 1953, quand la CIA recrute des mollahs plutôt extrémistes (mais pro-étasunien) pour renverser le président iranien Mohamed Mossadegh et quand les Frères Musulmans s’intègrent aux objectifs géostratégiques étasuniens durant la guerre froide.
La France du président François Mitterrand sera également de la partie. Les services de renseignements extérieurs français (DGSE) s’engageront à partir de 1982 dans la première guerre d’Afghanistan (1979-1989) avec leurs homologues des services secrets étasuniens (CIA), anglais (MI6), pakistanais (ISI) et saoudiens (GID). La confrérie religieuse des Frères Musulmans recrute alors, depuis son centre pakistanais, des milliers de combattants des pays arabes pour aller faire le jihad anti-soviétique en Afghanistan. La DGSE armera et entraînera également des combattants pour ce conflit, y compris en France. Ces mêmes groupes seront mobilisés après les années 1990 en Bosnie, au Kosovo, dans le Caucase, en Irak, en Libye, en Syrie, etc. dans des objectifs peu avouables. Jusqu’à aujourd’hui, de nombreuses personnalités, notamment des Frères Musulmans (et ses succursales l’Union des Organisations Islamique en Europe, l’Assemblée Mondiale de la Jeunesse Islamique, le Conseil Mondial des Mosquées et la Fondation Internationales Islamique de Charité), recherché par Interpol ont bénéficié et bénéficie encore de haute protection politique en France alors même que des groupes algériens en relation avec eux (comme le Groupe Islamique Armé ou le Front Islamique du Salut) ont organisé des attentats en France et en Algérie à plusieurs reprise en 1994, 1995 et 1996 [3]. Les réseaux wahhabo-takfiriste franco-belges à l’œuvre actuellement se sont en effet constitués depuis les années 1990, selon le juge d’instruction au Tribunal de Grande Instance de Paris au pôle antiterroriste, Marc Trévidic.
Les services occidentaux n’ont pas le monopole du terrorisme étatique ; l’action terroriste sous fausse bannière a indéniablement été utilisée par de nombreux états pour faire avancer des intérêts divers. Voici une liste non exhaustive de 42 exemples plus ou moins admis officiellement, démontrant que le terrorisme étatique a été massivement utilisé dans de nombreux pays comme un outil de subversion précis. Nous pouvons d’ores et déjà souligner que le terrorisme a souvent été organisé par les plus grandes démocraties du monde libre dans des objectifs géostratégiques transnationaux. Ceci invite à la vigilance légitime et au principe de précaution quant aux affirmations tranchées sur l’actualité du phénomène terroriste contemporain.
Selon l’ancien diplomate et universitaire canadien Peter Dale Scott, il y a dans ces grands évènements ce qu’on appelle l’histoire officielle, qui ignore, déforme ou marginalise des évènements profonds (et majeurs) et un second niveau d’analyse qui les incorpore, qu’il appelle l’histoire profonde. L’écrivain français Honoré de Balzac l’avait également dit plus radicalement : « Il y a deux histoires : l’histoire officielle, menteuse, puis l’histoire secrète, où sont les véritables causes des évènements ». Nous allons maintenant rentrer au cœur du sujet et tenter de mettre en lumière différents niveaux de l’histoire profonde dans de récents évènements survenus en France.
Le lien étatique et paraétatique avec le terrorisme : failles ou collusions
La quasi-totalité des terroristes ayant frappé l’Occident depuis le 11 septembre 2001 à New York était connue de nombreux services de renseignements. Amusons-nous un peu : nous allons vous présenter des profils ayant commis les derniers attentats spectaculaires en France et vous devrez établir s’il s’agit de laxismes, de collusions ou/et de failles venant de services étatiques et paraétatiques. C’est parti.
Attentats à Paris, le 13 novembre 2015 :
- Abdelhamid Abaaoud, coordinateur présumé des attentats, a dès 2002 des démêlés avec la justice belge. Il multiplie les séjours en prison entre 2006 et 2012. Une fiche de synthèse des services de renseignement belge (Sûreté de l’État) précise que son père, Omar Abaaoud, a été auditionné en février 2014 et a déclaré que la radicalisation de son fils a commencé dès sa sortie de l’établissement pénitentiaire de Forest (en Belgique) en septembre 2012. Décrit comme « un bon vivant » par ceux qui le connaissaient, « ça arrivait de le retrouver raide saoul, au petit matin, sur la place communale », Abdelhamid Abaaoud, le « cerveau présumé » des futurs attentats, commencera à être surveillé par les services compétents à partir de février 2013, date où il est repéré pour des voyages en Syrie. Selon BFMTV, le jeune homme était devenu membre de la police secrète de l’État Islamique (EI), équivalent d’un service de renseignements, dans le fief de Raqqa en Syrie. Il a été en contact avec Mehdi Nemmouche en janvier 2014, quatre mois avant le quadruple assassinat du Musée juif à Bruxelles et ont d’ailleurs tous les deux fait partie du même groupe de combattants en Syrie. Il a également été en lien avec Ayoub el-Khazzani, l’auteur de l’attaque échouée du 21 août 2015 dans le Thalys Amsterdam-Paris. La police belge a démantelé à Verviers, le 15 janvier 2015, une cellule terroriste mise en place par Abdelhamid Abaaoud. Son nom avait aussi été évoqué par les services de renseignement étasuniens (CIA) dans un rapport de mai 2015 qui mettait en garde contre une possible attaque structurée de l’EI en Europe et par la possible présence en France d’Abdelhamid Abaaoud, considéré comme la tête d’affiche du contingent jihadiste francophone de l’EI. Le document émettait l’hypothèse qu’Abaaoud avait tenté de faire croire à sa mort à la fin de l’année 2014 sur le front syrien selon la radio La voix de l’Amérique (19-11-2015). David Thomson, journaliste à RFI et auteur du livre Les Français djihadistes (Les Arènes, 2014), dira également que « c’est le visage le plus connu du djihad francophone ». En 2013 et 2014, il postait sur Facebook sous sa vraie identité des vidéos de lui sur le front syrien, lance-roquette à la main, appelant les gens à le rejoindre. Selon Le Parisien, un espion de l’EI tel que lui toucherait environ 50 000€ de rétribution personnelle pour une attaque fomentée en Europe. Reda H., arrêté en août 2015, a avoué qu’il avait été missionné par Abdelhamid Abaaoud pour commettre un attentat dans une salle de concert en France. Il a également prévenu de l’imminence d’attentats en France ou en Europe. Pour résumer, Abdelhamid Abaaoud a donc été mis en examen pour association de malfaiteurs terroristes, placé sous contrôle judiciaire, fait l’objet d’un mandat d’arrêt international, de nombreuses fiches des services de renseignements et a quand même pu faire des allers-retours en Syrie, revenir en Belgique et en France sans problème (il se vantait de pouvoir franchir les frontières européennes très facilement) pour finalement coordonner 9 personnes dans les attentats du 13 novembre 2015 à Paris. La libre circulation des hommes entre la Turquie (point de passage récurent des zislamistes au Proche-Orient) et Bruxelles ne va pas être remise en question pour autant.
- Salah Abdeslam est connu des services de police pour ses petites activités criminelles. En 2011, il est condamné aux côtés de son ami d’enfance Abdelhamid Abaaoud dans des affaires de vol. Il fera un mois de détention préventive et perdra son emploi à la STIB (compagnie de transport en commun bruxelloise). En décembre 2013, il devient le gérant du bar Les Béguines à Molenbeek-Saint-Jean (son frère en est le propriétaire) qui fermera cinq mois, à partir du 5 novembre 2015, sur décision administrative pour consommation et vente de stupéfiants. Les frères Abdeslam étaient connus pour être de gros consommateurs de cannabis et d’alcool, comme l’exige la charia. Salah Abdeslam était également un habitué des bars homosexuels bruxellois. Son frère Brahim Abdeslam a été condamné à plusieurs reprises : pour vol en 2005, pour usage de faux et escroquerie en 2010 et plus tard pour infractions routières. En janvier 2015, il tente de se rendre en Syrie, mais est intercepté par les autorités turques. Renvoyé en Belgique, il sera interrogé avec son frère Salah Abdeslam et seront tous les deux relâchés et identifiés comme radicalisés. La section antiterroriste de la police judiciaire fédérale (DR3) de Belgique avait reçu dès juillet 2014 des informations d’une source « fiable » à propos de projets d’attentats fomentés par les frères Abdeslam, a révélé L’Écho. Ce sont au total dix à treize personnes de la DR3 qui seront mises au courant des plans des deux djihadistes à partir de juillet 2014... sans suite. En raison notamment « de la mauvaise communication entre plusieurs services », la Police Judiciaire Fédérale (PJF) conclura que les deux individus ne représentent pas un danger et l’enquête fermera donc en juin 2015. La policière, qui affirme avoir transmis à ses supérieurs des informations sur la radicalisation et les projets d’attentats des frères Abdeslam dès juillet 2014, fait aujourd’hui l’objet d’une enquête pour violation du secret professionnel. Elle est à l’origine des affirmations de la presse belge quant aux dysfonctionnements au sein de la PJF. Neuf mois avant les attentats de Paris, entre deux projets de massacre pour punir les impies, Salah et Brahim Abdeslam s’amusaient dans une boîte de nuit (halal ?) de Bruxelles. Salah Abdeslam est ensuite identifié dans au moins huit pays différents et notamment avec Ahmet Dahmani en août 2015, membre présumé du réseau franco-belge de l’EI interpellé le 21 novembre 2015 à Antalyaen (Turquie). Selon le New York Times, la bourgmestre de Molenbeek-St-Jean Françoise Schepmans avait reçu un mois avant les attentats une liste de plus de 80 noms et coordonnées d’individus suspectés d’être des militants zislamistes dont notamment Abdelhamid Abaaoud, Brahim et Salah Abdeslam. Selon un témoignage du voisin et ami des frères Abdeslam qui les a vus la veille des attentats du 13 novembre 2015 à Paris, une grosse dispute a éclaté dans la fratrie et l’un d’eux a affirmé ne pas bouger s’il n’avait pas « empoché l’argent ». Au moins un des frères Abdeslam attendait donc sûrement sa commission pour agir le 13 novembre 2015. Un motif pécuniaire qui tranche avec la motivation de mourir en martyr pour la grandeur de Dieu… et de mourir tout court d’ailleurs. En effet, s’il est question d’argent, et vu le profil de ces personnes, nous pouvons penser que c’est pour qu’il soit dépensé. D’ailleurs, la mort des protagonistes n’était apparemment pas prévue comme l’affirmerait un autre témoignage d’un des deux hommes qui exfiltrait Salah Abdeslam après les attentats du 13 novembre 2015. Ce dernier a en effet manqué de conviction en renonçant au dernier moment à se faire sauter à Paris : « C’était un enfant de 12 ans qui pleurait » en suppliant de ne pas être « balancé » selon le témoin. Ce n’est qu’ensuite que Salah Abdeslam exprimera sa colère, démontrant que le sacrifice au nom de la cause (mais laquelle ?) n’était pas au programme : « Je me vengerai. Ils vont payer pour la mort de mon frère ». Le 29 octobre 2015, les données de 837 personnes fichées (dont les frères Abdeslam) à la Sûreté de l’État avaient été transmises au Schengen Information System, ainsi qu’à Interpol et Europol (European Police Office). Ceci n’a pas empêché Salah Abdeslam (fiché « S ») de passer tranquillement trois contrôles de police en plein état d’urgence sans être inquiété, sur le trajet Paris-Bruxelles juste après les attentats du 13 novembre 2015. Ceci a été justifié par le fait qu’il « n’était pas connu des renseignements français ». Excellent. Il sera finalement arrêté le 18 mars 2016 dans le quartier où il a toujours vécu, en train de courir comme un gamin (voir à 1:16) on ne sait où devant une ribambelle de policiers. D'ailleurs dès le 7 décembre 2015, un policier de Malines (en Belgique) avait signalé dans un rapport l’adresse où a été appréhendé Salah Abdeslam : au 79 rue des Quatre vents à Molenbeek-Saint-Jean. Son rapport précisait qu’une personne radicalisée (Abid D’Jamilla) liée à cette adresse, a probablement soit eu un contact dans « un passé lointain » avec les frères Abdeslam soit eu « beaucoup de contacts ». Quoi qu’il en soit, c’est le 11 décembre 2015 que la cellule radicalisation de la police de Malines a décidé de transmettre l’information au parquet d’Anvers et à la police fédérale d’Anvers. Cela a été effectué à deux reprises le 17 et le 30 décembre 2015. L’information a également été transmise une troisième fois le 31 décembre 2015 par le chef de corps Yves Bogaerts à la Banque de données Nationale Générale et à cellule antiterrorisme de la PJF de Bruxelles. Mais selon ce dernier, « une faute en interne aurait été commise à ce moment-là » : l’information n’a jamais été transmise. En plus de ces erreurs malencontreuses, la police de Malines a été sommée par « de plus hautes instances » de considérer cette information comme « non fiable ». Trois tentatives infructueuses et un blocage hiérarchique...
- Omar Ismaïl Mostefaï a été condamné à huit reprises entre 2004 et 2010 pour des faits de petite délinquance, mais n’a jamais été incarcéré. En 2010, il est signalé pour sa radicalisation et fait l’objet d’une fiche « S » (renouvelée le 12 octobre 2015) depuis qu’il a été repéré en compagnie d’Abdelilah Ziyad, un terroriste marocain avéré, vétéran du jihad et condamné à huit ans de prison en France pour sa participation à l’attentat de 1994 à l’hôtel Asni à Marrakech. Mais les services de renseignement français savaient dès 2009 que Mostefaï s’était radicalisé à Chartres, dans le groupe dirigé par Abdelilah Ziyad. L’Algérie a notamment soupçonné ce dernier d’avoir été assisté ou manipulé par des services secrets dès la fin des années 1980. Les services secrets turcs (MIT) repèrent Omar Ismail Mostefaï le 6 septembre 2013 sur le territoire turc. La Turquie a prévenu la France à deux reprises, en décembre 2014 et en juin 2015, au sujet des agissements suspects de Mostefaï. Mais la France attendra les attentats du 13 novembre 2015 pour répondre à travers une demande d’informations sur le terroriste en question. Ce dernier serait entré en 2013 en Turquie par la Bulgarie. Il aurait ensuite transité par la Turquie pour se rendre en Syrie. Les autorités turques se seraient d’autant plus inquiétées de ses intentions que sa sortie du territoire turc en direction de la France n’a jamais été enregistrée. Mostefaï resurgit dans les radars de la DGSI en avril 2014, à l’occasion d’une réunion du groupe radical d’Abdelilah Ziyad à Chartres, mais elle ne le place pas sous surveillance. Les services secrets algériens (DRS) avaient découvert depuis fin 2014 qu’il était membre d’une cellule de recrutement de jihadistes pour la Syrie, au nom de laquelle il aurait été chargé de transporter des messages, de l’argent et des faux documents. De plus, le DRS avait prévenu ses homologues de la DGSE française en octobre 2015 d’un fort risque d’attentats terroristes dans la région parisienne au niveau des « centres abritant des grands rassemblements de foules » et à propos de forts soupçons sur Omar Ismaïl Mostefaï. La DGSI avait placé la bande d’Abdelilah Ziyad sous une surveillance serrée à Chartres d’abord en 2009 et 2010 et ensuite entre 2014 et septembre 2015, sans inclure Mostefaï. Les services ont fini par perdre sa trace jusqu’au 13 novembre 2015, au Bataclan.
- Samy Amimour a été mis en examen par la DCRI (ancienne DGSI), les services de renseignement intérieur français, le 19 octobre 2012 pour association de malfaiteurs terroristes en lien avec un projet avorté de départ vers le Yémen. Il a alors été placé sous contrôle judiciaire et doit se présenter toutes les semaines au commissariat de Drancy. En septembre 2013, il viole son contrôle judiciaire pour se rendre en Turquie. Les services secrets turcs le repèreront dès le 6 septembre de la même année en compagnie d’Ismaël Omar Mostefaï et de Samir Bouabout (avec qui il avait préparé un départ pour le jihad raté en 2012). Il franchit la frontière pour aller en Syrie et rejoint les rangs de l’État Islamique. Ce n’est que le 29 octobre 2013 qu’un mandat d’arrêt international (renouvelé le 20 octobre 2015) est émis contre lui, après avoir violé son contrôle judiciaire presque 2 mois auparavant. Il devait être jugé en janvier 2016 à Paris.
- Bilal Hadfi faisait des études pour devenir électricien à l’Institut Anneessens-Funck en Belgique. Sa radicalisation a été perçue de manière progressive par le personnel de l’institut et remonterait au printemps 2014. Le 15 février 2015, il part subitement pour la Syrie, prétextant un voyage au Maroc. C’est le 27 avril 2015 que le directeur de l’institut a informé du probable départ de l’élève en Syrie à l’administration de l’enseignement bruxelloise qui devait transmettre l’information à la cellule de radicalisation de la ville. Les tentatives de la direction de prévenir les autorités seraient « restées bloquées au niveau de l’administration », soit totalement niées. En effet, il figurait déjà sur les fichiers belges de l’Organe de Coordination pour l’Analyse de la Menace (OCAM), qui est un organe fédéral coordonnant les informations des services de renseignement militaire et civil belges (SGRS et Sûreté de l’État), tout comme ses coreligionnaires Salah et Brahim Abdeslam. Bilal Hadfi s’est fait également « radié par le collège », l’organe exécutif et politique de la commune de Bruxelles, dès mars 2015, ce qui lui a interdit de résider sur le territoire de la commune. Aussi, le 8 mars 2015, l’appartement familial bruxellois du concerné est perquisitionné avec une intervention de la brigade antiterroriste. Selon deux agents du renseignement européen (probablement du EU INTCEN) interrogés par le Washington Post, Bilal Hadfi avait aussi été repéré par des services pour un retour de voyage du Moyen-Orient vers la Belgique. Il a ensuite disparu des radars des services de sécurité belges. Comble de l’histoire : le directeur de l’Institut Anneessens-Funck a été suspendu provisoirement pour avoir réagi trop tardivement à la radicalisation de son élève… alors qu’il était déjà connu pour cela des services compétents.
- Chakib Akrouh est parti de Bruxelles début 2013 en Syrie rejoindre l’EI, en compagnie de six ou sept autres personnes, et s’était ainsi fait remarquer auprès des services antiterroristes belges. Il était fiché sur la liste des « jeunes radicalisés » de Belgique établie par les services de renseignement et faisait l’objet d’un mandat d’arrêt international depuis le 28 mai 2014 selon le journal Le Soir. Il a été condamné en juillet 2015 par défaut à cinq ans d’emprisonnement lors du procès en Belgique d’une importante filière syrienne, qui avait vu Abdelhamid Abaaoud écoper lui aussi en son absence, d’une peine de 20 ans. Selon une note datant d’avril 2012, un service de renseignement belge (Sûreté de l’État) savait qu’une cellule terroriste prévoyait des attaques de grande ampleur en Europe. Cette note évoque des évènements suspects d’un appartement à Molenbeek-Saint-Jean mis sur écoute. La résidence appartenait à Gelel Altar, un belge d’origine marocaine arrêté près de Casablanca le 15 janvier 2016 et suspecté d’avoir entretenu des liens avec les principaux auteurs des attentats de Paris (Abaaoud et Akrouh). La Sûreté de l’État a également relevé des évocations explicites d’attentats d’après des conversations entretenues par les différents suspects : ces informations ont été transmises au parquet fédéral indiquant que certains extrémistes (aujourd’hui liés aux attentats du 13 novembre 2015) cherchaient à se procurer des armes et des explosifs. Khalid Zerkani, qui a été condamné cet été 2015 à douze ans de prison pour avoir recruté des jeunes pour aller combattre en Syrie, était également présent à ces réunions de 2012 avec son bras droit Gelel Attar. Malgré ces informations, personne n’a empêché les allers-retours entre la Syrie et la Belgique de tous ces braves gens (les jeunes du réseau Zerkani) parfois armés, selon le quotidien flamand Het Laatste Nieuws.
- Foued Mohamed-Aggad commence à se rapprocher de l’islam en 2012. Il part pour la Syrie en décembre 2013, accompagné de son frère aîné Karim et d’un groupe de huit amis. Leur voyage s’effectue sous couvert d’une mission humanitaire. Ils sont en contact avec Mourad Farès, un français soupçonné d’avoir fait passer de nombreux candidats au jihad en Syrie, arrêté à la mi-août en Turquie et mis en examen jeudi 11 septembre 2014 par un juge antiterroriste parisien. Foued Mohamed-Aggad rejoindra l’EI. Depuis il faisait l’objet d’une fiche « S » pour radicalisation ainsi que d’une notice bleue d’Interpol (utilisée pour recueillir des informations complémentaires sur des individus concernant leur identité, leur lieu de séjour ou leurs activités illicites dans le cadre d’une enquête). Il a, malgré tout, pu passer toutes les frontières d’Europe jusqu’en France le 13 novembre 2015.
Pour conclure sur ces attentats, rappelons qu’une liste de tous les jihadistes français opérant en Syrie a été proposée il y a deux ans par les services secrets syriens à Bernard Squarcini, l’ancien n°1 de la DCRI. Il a transféré cette proposition à l’ancien ministre de l’Intérieur Manuel Valls, qui a refusé de collaborer avec les services syriens pour des raisons probablement personnelles et idéologiques selon Squarcini. D’après un document révélé par Paris Match, la justice française savait que la salle du Bataclan était une cible désignée pour une attaque terroriste depuis début 2009. Aucune alerte, protection ou surveillance spéciale n’a été mise en place alors que le belge Farouk Ben Abbes a également été interpellé pour un projet d’attentat contre le Bataclan en 2010. Ce dernier a pourtant été en contact avec le célèbre Fabien Clain, qui a revendiqué les dernières attaques de Paris au nom de l’EI et qui a été le mentor de Mohammed Merah dont nous parlerons plus tard. Jesse Hugues, le chanteur du groupe Eagles of Death Metal qui a joué au Bataclan le soir des attentats affirme que « six membres de la sécurité ne s’étaient en fait jamais présentés » et « ils avaient clairement une bonne raison de ne pas se montrer ». Une complicité ou une faille que l’enquête n’a pas encore traitée. L’actuel directeur de la CIA John Brennan a également rappelé dans une interview à la CBS que la CIA était au courant de la planification de ces attentats du 13 novembre 2015 à Paris quelques jours avant qu’ils surviennent, selon la radio La voix de la République islamique d’Iran (15/02/2016).
Attentats à Paris, du 7 au 11 Janvier 2015 :
- Chérif et Saïd Kouachi se radicalisent au début des années 2000 en fréquentant la filière dite des « Buttes-Chaumont » (branche irakienne modérée d’Al-Qaïda, devenue aujourd’hui l’État Islamique) qui envoie des zislamistes vers l’Irak depuis la capitale française. Après avoir rencontré Djamel Beghal en 2005 en prison à Fleury-Mérogis, la fratrie Kouachi s’est rendue à plusieurs reprises chez lui tandis qu’il était assigné à résidence entre janvier et mai 2010. Djamel Beghal, qui venait de purger dix ans de prison pour un projet d’attentat contre l’ambassade des États-Unis en France, est placé sur écoute par la DCRI et également ciblé par une enquête de la Direction Centrale de la Police Judiciaire. En janvier 2005, Chérif Kouachi, déjà connu des services de lutte antiterroriste, est appréhendé alors qu’il s’apprête à prendre l’avion pour Damas (Syrie) dans le but de se rendre en Irak. Il apparaît également en 2005 dans l’émission Pièces à conviction sur France 3 sur le thème des jeunes jihadistes. Entre 2011 et 2013, les notes de la DCRI font état d’un rapprochement entre les frères Kouachi et Peter Cherif. Ce dernier a lui aussi été mis en examen avec Chérif Kouachi dans le dossier des « Buttes-Chaumont » pour être parti combattre en Irak au début des années 2000. Il a été arrêté fin 2004 à Falloujah en Irak lors d’une opération militaire étasunienne et détenu dans différents camps, dont celui d’Abou Ghraïb. Il avait été condamné en juillet 2006 à Bagdad à 15 ans de prison. Transféré dans la prison de Badouche, il s’était évadé en mars 2007 à la faveur d’une attaque de combattants rebelles. En février 2008, ce haut cadre modéré d’Al-Qaïda dans la Péninsule Arabe (AQPA) avait fini par se rendre aux autorités françaises et a été condamné en mars 2011 à 5 ans de prison par le tribunal correctionnel de Paris pour sa participation à la filière des « Butte-Chaumont ». Chérif Kouachi a quant à lui été interpellé avant de prendre l’avion pour l’Irak. Il sera condamné à 3 ans de prison en 2008 pour cette affaire dont 18 mois avec sursis. En mai 2010, les enquêteurs de la Sous-Direction Anti-Terroriste avaient perquisitionné son domicile et celui d’Amedy Coulibaly (cf. portrait suivant) dans le cadre de l’enquête sur la tentative d’évasion de Smaïn Aït Ali Belkacem (l’un des principaux auteurs de la vague d’attentats commis en France en 1995 dans le RER parisien et ancien membre du GIA), une opération pilotée par Djamel Beghal. Les enquêteurs ont trouvé des photos pédopornographiques dans les disques durs des ordinateurs de Chérif Kouachi et d’Amedy Coulibaly. La justice décide de libérer Chérif Kouachi en attendant son procès, mais lui impose un contrôle judiciaire d’octobre 2010 à avril 2013 : interdiction de sortie du territoire, confiscation du passeport et obligation de pointer toutes les semaines au commissariat de Gennevilliers. Malgré tout, quelques mois plus tard, il part au Yémen s’entraîner dans un camp modéré d’Al-Qaïda, dans la plus parfaite impunité. En novembre 2011, les services transmettent à leurs homologues français de la DCRI (devenue depuis DGSI) une information attestant que Saïd Kouachi s’est également sûrement rendu au Yémen, entre les 25 juillet et 15 août 2011, en compagnie d’une seconde personne. En février 2014, les services français pensent qu’il a fait un autre voyage à Oman. De ces suspicions, Saïd Kouachi deviendra l’heureux bénéficiaire de quinze mois d’écoutes et de quatre mois de surveillance physique entre 2011 et 2014. Mais la Commission Nationale de Contrôle des Interceptions de Sécurité (CNCIS) met fin aux écoutes téléphoniques en juin 2014, faute d’éléments probants en lien avec le terrorisme. C’est une proche collaboratrice du Premier ministre Manuel Valls qui est chargée d’autoriser ou d’interdire ces écoutes après avis consultatif de la CNCIS. Étrange conclusion, car d’après une quarantaine de notes de la DGSI obtenue par Le Monde, les services de renseignements se seraient intéressés à la fratrie Kouachi entre 2010 et 2015 en raison de leurs contacts directs avec les dirigeants d’AQPA. Ce n’est pas rien tout de même. Les renseignements français ont arrêté de surveiller Chérif et Saïd Kouachi quelques mois avant l’attentat contre Charlie Hebdo alors qu’ils sont liés à la direction d’AQPA, car selon les conclusions de la DGSI : « aucune surveillance technique ou physique n’a permis de matérialiser la moindre préparation d’une action violente ». Les Kouachi n’étaient donc plus considérés comme une cible prioritaire par les services alors qu’ils l’étaient à un moment antérieur. Saïd et Chérif Kouachi étaient également sur liste noire étasunienne depuis de nombreuses années avant leurs attentats selon un responsable étasunien ; ils étaient inscrits au fichier TIDE ainsi que sur la « No Fly List ».
- Amedy Coulibaly est un délinquant multirécidiviste. Selon le journal Libération, son casier « témoigne d’un lourd passé de braqueur alors qu’il n’avait même pas 18 ans. En 2001, il avait été condamné à trois ans fermes, dont deux avec sursis, par le tribunal d’Evry puis, la même année, à quatre ans dont deux avec sursis toujours pour des « vols aggravés ». En 2002 encore, douze mois dont neuf avec sursis pour vol aggravé et recel. En 2004, le voilà renvoyé devant la cour d’assises des mineurs du Loiret, qui lui inflige six ans de prison pour un vol à main armée dans une agence BNP avec deux complices ». Rappelons que dans le Code pénal français, un seul vol à main armée est un crime puni théoriquement de 20 ans de réclusion criminelle. Coulibaly, malgré ses multiples braquages, s’en est sorti avec quelques années de détention au total. C’est en 2005, durant son incarcération à la prison de Fleury-Mérogis, qu’il fait la connaissance de Chérif Kouachi, emprisonné pour sa participation à la filière jihadiste des « Buttes-Chaumont » et de Djamel Beghal. « La même année, le tribunal correctionnel de Paris condamne également Coulibaly à trois ans d’emprisonnement pour « vol aggravé, recel et usage de fausses plaques d’immatriculation. En mai 2007, il prend dix-huit mois pour trafic de stupéfiants. » Au printemps 2010, Coulibaly rend visite une fois par mois à Djamel Beghal qui est assigné à résidence à Murat, dans le Cantal. Il arrive que sa femme Hayat Boumedienne et Chérif Kouachi l’accompagnent pour des escapades de deux ou trois jours où ils manient les armes et s’entraînent au tir. En mai 2010, la Sous-Direction Anti-Terroriste présentait déjà Coulibaly comme un « islamiste rigoriste ». Des écoutes téléphoniques opérées à cette période avaient même montré un homme totalement sous l’emprise idéologique de Djamel Beghal. Coulibaly est arrêté le 18 mai 2010, mis en examen et placé en détention provisoire quatre jours plus tard. Il est en effet soupçonné par les services antiterroristes d’avoir participé à la tentative d’évasion de Smaïn Aït Ali Belkacem. 240 munitions (7,62 mm) de kalachnikov seront découvertes à son domicile. Le 20 décembre 2013, il sera condamné à 5 ans de prison pour ces faits. Placé en détention provisoire dès le 23 mai 2010, il a bénéficié d’une remise de peine et a été libéré de prison le 4 mars 2014 en étant placé sous surveillance électronique jusqu’au 15 mai 2014, car il bénéficie d’une remise de peine d’un an. En 2011, la justice classera l’enquête à son propos pour détention d’images pédopornographiques. Le 30 août 2014, Coulibaly est contrôlé par une patrouille de police à Montrouge alors qu’il est avec les frères Belhoucine (aujourd’hui présumés morts en Syrie) et un quatrième homme inconnu. Mohamed Belhoucine est connu des services de renseignement français, pour son appartenance à une filière envoyant des zislamistes dans la zone pakistano-afghane dans les années 2000. Il est fiché à l’anti-terrorisme tout comme Amedy Coulibaly. Depuis 2014, Coulibaly a sa fiche au fichier des personnes recherchées, bien signée du service demandeur « AT » (Anti-terrorisme) avec la mention « PJ02 ». La mention précise que l’individu est considéré comme dangereux et appartient à la mouvance islamiste. En suivant la procédure, la patrouille de police a informé sa hiérarchie et les services antiterroristes sur les individus qu’ils ont contrôlés. Aucune réaction de leur part. Le Monde observe que Coulibaly fréquentait donc « ce que le djihadisme hexagonal compte de plus dur, sans que cela ne suscite autre chose que de l’indifférence ». En effet, malgré ses relations avec les frères Kouachi et un parcours sensiblement similaire, il n’aurait jamais été considéré comme un objectif prioritaire. Selon Le Figaro, Amar Ramdani, un proche de Coulibaly présent Porte de Vincennes juste avant l’attaque du supermarché casher, a entretenu une relation amoureuse avec Emmanuelle C. (une sous-officier chargée du renseignement opérationnel au centre technique de la gendarmerie nationale de Rosny-sous-Bois) tout en faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen et étant soupçonné de trafic de stupéfiants et d’armes. Tout ce qu’il y a de plus banal. Ceci ne l’a pas empêché de pénétrer mi-janvier en toute impunité et sans aucun contrôle, dans le fort de Rosny-sous-Bois, pour y voir son âme sœur. Cet endroit est notamment connu pour être au cœur du renseignement, car il abrite le Service central des réseaux et technologies avancées, le Service technique de recherches judiciaires et de documentation ou encore le Système des opérations et du renseignement. Selon Médiapart, « Des gendarmes lillois et un de leurs informateurs [un certain Claude Hermant] ont été au centre d’un trafic d’armes ayant permis d’alimenter Amedy Coulibaly, auteur de l’attaque de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes. S’ils n’ont rien su de la destination des armes, ils semblent bien avoir laissé filer les acheteurs ou perdu leur trace. Leur position est suffisamment délicate pour qu’ils se retranchent, courant avril, derrière le secret défense ». C’est le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve qui a brandi le secret défense pour bloquer l’investigation de l’attentat contre l’Hyper Cacher du 9 janvier 2015. Claude Hermant est un ancien militaire et ancien membre du Département Protection et Sécurité, le service d’ordre et de renseignement interne du Front National. Ce service semble largement déborder du cadre du parti Front National, de par ses activités de déstabilisation et d’infiltration menées notamment en Afrique. Plus récemment, cet homme était devenu un « indic » des douanes et des gendarmes de la section de recherches de Lille, en étant trafiquant d’armes. Des responsables policiers de ce dossier auraient donc laissé des armes parvenir à Amedy Coulibaly, notamment grâce à la sacro-sainte libre circulation des marchandises chère à la Zérope de Bruxelles. Aucune confirmation n’étant possible vu que les juges lillois se sont heurtés au secret défense dans leur tentative de déclassification des rapports concernant ces affaires. Les trois juges d’instruction en charge du dossier des attentats de janvier 2015 ont demandé le vendredi 3 juillet 2015 au ministre de l’Intérieur « la déclassification et la communication de l’ensemble des documents, rapports et notes établis par la DGSI (…), sur les surveillances (dates, nature, contenu) dont ont fait l’objet Saïd Kouachi, Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly ». Ils ciblent des « dysfonctionnements » dans les surveillances supposées effectuées en 2013 et 2014 par la DGSI sur les frères Kouachi. Nous l’avons également démontré et cela semble aller bien plus loin.
La protection logique dont ont bénéficié les protagonistes du journal Charlie Hebdo avant les attentats n’aurait pas dû être levée. Les règles minimums de sécurité n’ont pas été respectées alors que le dessinateur Charb figurait sur une liste nominative de personnes à abattre d’AQPA, ce qui a été gravement négligé selon Eric Stemmelen, ancien responsable du Service de Protection des Hautes Personnalités. D’ailleurs, Cherif Kouachi se rendra à Charlie Hebdo en octobre 2014 faire des repérages et dira à un journaliste de Premières Lignes (dont les locaux sont voisins de ceux de Charlie Hebdo) en pause cigarette : « C’est bien ici les locaux de Charlie Hebdo ? C’est bien ici qu’on critique le Prophète ? De toute façon, on les surveille ! Vous ferez passer le message ». Le témoin relatera cet échange à la police en transmettant une partie de la plaque d’immatriculation du véhicule de Chérif Kouachi. Le rapport établi à l’époque au sujet de cette scène n’est pas présent ou a disparu du dossier d’instruction des attentats de janvier 2015 à Paris. La sécurité à Charlie Hebdo était une « passoire » et a été extrêmement minimisée malgré les menaces, tant dans la protection des victimes que dans la surveillance des assaillants. L’épouse du dessinateur Georges Wolinski a également porté plainte contre X pour homicide involontaire aggravé, pointant ces failles dont son mari se plaignait. En bilan de ses attentats survenus en France, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve déclara le 4 septembre 2015 que « beaucoup de ceux qui ont été engagés dans des opérations à caractère terroriste ont, plus ou moins, parfois, été rencontrés par nos propres services de renseignement » (l’écouter à 34:50). Nous le verrons d’autant mieux avec le cas suivant.
Attentats de Mars 2012 à Montauban et à Toulouse :
- Mohammed Merah était un multirécidiviste patenté. Considéré comme islamiste radical « susceptible d'attenter à la sûreté de l'État », sa fiche des services de renseignement créée dès 2006 a disparu en 2008, pour qu’une nouvelle réapparaisse en novembre 2011. Cet individu était entretemps décrit par la DCRI comme quelqu’un de « fiable » selon un document classé secret-défense consulté par Paris-Match, ce qui revient à dire qu’il s’agissait au minimum d’un informateur des services secrets français. En effet, Mohammed Merah était connu de la DCRI non pas parce qu’il était « islamiste », mais parce qu’il avait un correspondant au renseignement intérieur : un élément qui « n’est pas anodin » selon Yves Bonnet, ancien patron de la Direction de la Surveillance du Territoire (DST). Lors des négociations avec le RAID peu avant le décès de Merah, il leur a échangé une arme contre une radio : c’était un colt 45 semi-automatique caractérisé par une modification spécifique aux forces d’élite de la police française. Autre fait étrange : une carte de visite d’un policier chargé de la sécurité de l’ancien président multirécidiviste Nicolas Sarkozy, fut également retrouvée chez Merah après sa mort. Mais remontons un peu dans le temps. Malgré sa précarité économique, Mohammed Merah a voyagé dans de nombreux pays en 2010 : en Égypte, en Turquie, en Syrie, au Liban, en Jordanie et en Israël... Cette dernière destination est étonnante, car on ne peut pas entrer en territoire israélien comme en territoire français (sic), surtout en passant juste avant à Damas. Malgré cela, selon Haaretz cité par Slate « le jeune homme n’a pas éveillé les soupçons des hommes du Shin Bet [service de sécurité intérieure israélien] au poste-frontière ». Pourtant, l’ancien directeur central du renseignement intérieur Bernard Squarcini a déclaré à Le Monde que Merah a été arrêté à Jérusalem en possession d’un couteau et s’en est sorti sans aucun problème. Après Israël, il ira en Afghanistan et au Pakistan. C’est en Afghanistan qui sera « officiellement » signalé à la DCRI en novembre 2010 via la Direction de la Sécurité et de la Protection de la Défense. Il sera également inscrit sur la liste d’exclusion aérienne étasunienne et sur une liste du FBI pour lien avec Al-Qaïda. Le journaliste Daniele Raineri du quotidien italien Il Foglio, qui s’appuie sur des sources anonymes du renseignement, a suggéré que la DGSE aurait fait rentrer Merah en Israël, et que celui-ci était en fait un informateur des services français, ce qui lui aurait permis de circuler librement dans de nombreux pays. Le 19 août 2011, il a donc pu prendre l’avion pour le Pakistan sans problème, alors qu’il a fait l’objet auparavant de 1200 heures de surveillance opérationnelle et d’une inscription dans le Fichier des Personnes Recherchées ainsi que dans la base de données CRISTINA (Centralisation du Renseignement Intérieur pour la Sécurité du Territoire et des Intérêts Nationaux) depuis au moins novembre 2010. Moins d’un mois avant ses 6 meurtres, il avait été condamné à un mois de prison ferme. La justice l’a remis en liberté malgré un total de 18 condamnations dans son casier judiciaire, à seulement 23 ans. Beaucoup de ces faits laissent penser que Merah collaborait avec la DCRI ou encore avec les Renseignements Généraux (RG) à l’époque. Ses libérations prématurées pourraient être le fait d’une protection « venue de très haut » selon Laurence Havel du groupe de réflexion Institut Pour La Justice. Également, selon le quotidien nord-américain McClatchy (troisième plus grand groupe de presse aux États-Unis), Mohammed Merah et les frères Kouachi seraient liés aux services secrets français. Ils auraient été recrutés par le français David Drugeon, artificier du groupe Khorasan inféodé à Al-Qaïda en Syrie. En effet, ce jeune homme serait le spécialiste en explosif accusé d’être un ancien membre des services secrets français selon ce même journal, qui appuie ces informations sur quatre officiers de service de renseignement européens qui ont totalement ou partiellement confirmé l’existence de ce transfuge. Un article d’ABC News a également confirmé les informations de McClatchy. Cette thèse a été démentie par le ministère de la Défense français et la DGSE, qui refusera de commenter. Et pour enterrer de manière définitive la version officielle de cette affaire Merah, nous vous recommandons cet incroyable débat sur l’émission Arrêt sur images du 22 juin 2012 soulignant, déjà à cette époque, les versions contradictoires du RAID et des journalistes officiels ainsi que des faits cruciaux absolument inexplicables. Finalement, les mensonges et les manipulations sont les maîtres mots de cette histoire.
(À suivre)
Franck Pengam
[1] Alberto Franceschini, Brigades rouges : L’histoire secrète des BR racontée par leur fondateur, entretien avec Giovanni Fasanella, Éditions Panama, 2005.
[2] Jan de Willems, Gladio (Bruxelles, EPO, 1991) ; Hugo Gijsels, Network Gladio (Louvain, Utgeverij Kritak, 1991) ; Leo Müller, Gladio. Das Erbe des Kalten Krieges. Der NATO Geheimbund und sein deutscher Vorläufer (Hambourg, Rowohlt, 1991) ; Jean-François Brozzu-Gentille, L’Affaire Gladio. Les réseaux secrets américains au cœur du terrorisme en Europe (Paris, Albin Michel, 1994) ; Ronald Bye, Finn Sjue, Norges Hemmelige Haer. Historien om Stay Behind (Tiden Norsk Verlag, Oslo, 1995) ; William Blum, Killing Hope. US military and CIA interventions since World War II (Maine, Common Courage press, 1995) ; Emanuele Bettini, Gladio. La republica parallela (Milan, Ediesse, 1996) ; Jens Mecklenburg, Gladio. Die geheime terrororganisation der Nato (Berlin, Elefanten Press, 1997) ; Fulvio Martini, Nome in codice : Ulisse (Milan, Rizzoli, 1999) ; Daniele Ganser, NATO’s Secret Armies. Operation Gladio and Terrorism in Western Europe (Londres, Franck Cass, 2005) [éd. fr. Les Armées secrètes de l’OTAN. Réseaux Stay Behind, Gladio et Terrorisme en Europe de l’Ouest, (Paris, Demi-Lune, 2007)].
[3] Jean-Loup Izambert, 56 - Tome 1 : L’État français complice de groupes criminels, IS Edition, 2015
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