Les années galère d’une jeune non diplômée
En direct de ma Segpa
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Témoignage de Donatienne
Donatienne est de ces élèves qu'on n'oublie pas. Pétillante, sérieuse, elle était, en classe, un rayon de soleil venu d'Afrique. Elle se rappelle son vieux professeur et chaque fois que nous nous croisons dans la rue, ce sont des sourires rayonnants et toujours un petit mot amical. J'ai eu envie de lui demander de venir témoigner auprès des élèves actuellement en troisième de son parcours personnel, un simple témoignage qui n'a d'autre objectif que de donner un sens à celui qu'ils auront à faire eux-mêmes.
Elle nous arrive dans sa tenue d'agent préposé à la sécurité aux abords d'une école. Elle quitte son calot, sa veste et tout sourire (je la reconnais là ) elle débute son récit avec une incroyable aisance. Elle a une posture ferme, une voix assurée, un français qui ravit son ancien professeur. Ce n'est peut-être pas une oratrice, mais à l'écouter, on ne devinerait jamais son passé d'élève en difficulté. À la regarder, on voit une belle et grande jeune dame, certaine de son fait.
Donatienne a grandi dans le quartier de La Source. Elle a effectué sa scolarité de la sixième à la troisième au collège Montesquieu en Segpa. Après avoir réussi son CFG, elle s'est inscrite au lycée professionnel Françoise Dolto d'Olivet dans la section CAP « Vente alimentaire » Elle réalise tous ses stages dans une boulangerie. Donatienne se rappelle encore l'accord des céréales et des aliments, le nom des pains spéciaux. Hélas, elle ne va pas jusqu'au bout de son CAP : « La vente ce n'était pas pour moi. Je rêvais de faire autre chose ! »
Donatienne se lance alors dans une grande tirade dont on jurerait qu'elle est dite sur commande … « Ce n'est pas parce qu'on n'a pas de diplôme, qu'on vient d'un quartier, qu'on est noir ou arabe, qu'on ne va rien faire de sa vie. Je me bats tous les jours avec mon petit CFG. J'ai un appartement, un enfant et je fais tout pour y arriver. Mais tout ceci ne se fait pas comme ça ! »
Donatienne leur fait alors un joli cours de morale, elle relaie le discours que nous ne cessons de tenir sur la politesse, la discipline, le respect des normes. Dans la classe, c'est un silence exceptionnel. Je n'en attendais pas tant … Elle est intarissable sur les exigences du monde professionnel et tous ces conseils qui sont donnés en classe et que les élèves ne semblent pas entendre. J'aurais envie de l'embrasser tant son discours tombe à pic pour certains...
Elle revient à son cursus. Elle s'oriente ensuite vers un BEP sanitaire et social dans un établissement privé à Beaugency. Deux années de cours, de stages dans les hôpitaux. Elle veut devenir Agent de Service Hospitalier. Elle décrit alors les contraintes pour la formation professionnelle. « Il nous fallait une tenue spéciale pour les cours, ceux qui ne l'avaient pas, ils prenaient la porte ! »
Au terme de sa formation, elle passe l'examen qu'elle ne peut décrocher. « Je n'ai pas réussi à cause de la biologie, de la chimie et des maths. Des matières scientifiques qui m'ont barré la route. Je manquais de bases. Je partais de trop loin après mon passage en Segpa. La marche était trop haute ! Malgré cet échec, j'ai réussi à trouver un travail dans une crêche d'Olivet « La Souris verte ». J'ai bénéficié d'un Contrat d'Aide à l'emploi de six mois comme auxiliaire de puériculture avec le titre d'animatrice en crèche. J'ai trouvé cet emploi avec un CV, une lettre de motivation. J'ai passé deux entretiens. Nous étions six candidats, c'est moi qui ai été choisie. »
Donatienne évoque alors sa grosse angoisse durant les entretiens, sa fierté de pouvoir s'appuyer sur sa maîtrise de la langage et sa confiance en elle. « Travailler en crèche, c'est une grosse responsabilité, les gens se sont rendus compte de ma motivation et de mon envie de décrocher le contrat »
Puis, elle a obtenu un remplacement en école maternelle comme ATSEM « J'étais enceinte. J'ai travaillé deux mois, jusqu'à la fin de l'année scolaire. Puis, j'ai donné naissance à un fils et j'ai gardé mon enfant. Quand il a eu 7 mois, je l'ai mis chez une nourrice. J'avais envie de travailler ! »
« J'ai voulu entrer dans une clinique privée comme ASH. Ils m'ont demandé d'aller en formation six mois à l'INFREP. Il me fallait obtenir une validation dans le bio nettoyage pour être titularisée. J'ai rencontré un souci. J'ai eu des problèmes avec un formateur et ma formation a été interrompue. Néanmoins, j'ai pu travailler six mois avec une société et sept mois avec une autre qui avait remporté le marché de l'entretien dans cette clinique »
Je n'ai pas le diplôme nécessaire. Malgré tout, je continue ce travail en faisant des remplacements pour l'hôpital d'Orléans. C'est régulier et en continu pendant les périodes de vacances scolaires. Je travaille souvent aussi le mercredi et le dimanche, parfois la nuit. Mon enfant ne doit pas être un empêchement, ce n'est pas l'affaire des patrons … C'est ma mère qui le garde en cas de besoin ! »
En fait Donatienne doit cumuler 3 petits emplois pour joindre les deux bouts. Elle assure la sécurité à la sortie de l’école primaire : « Sainte-Croix Saint Euverte » pour le compte de la ville d'Orléans. Elle a envoyé à la mairie une lettre de motivation et CV au responsable de recrutement et a été sélectionnée.
« C'est un petit emploi de deux heures par jour avec des horaires coupés. Je travaille de 8 H 10 à 8 H 40 puis de 11 H 30 à 12 H le matin. Je reprends de 13 H 10 à 13 H 40 et je termine de 16 H 20 à 16 H 50 pour deux heures au SMIC. Je suis vacataire. Pour la ville, je suis également hôtesse d'accueil des futurs mariés à l'Hôtel Gros Lot, la mairie centrale d'Orléans certains samedis matin. J'ai été choisie grâce à ma tenue et mon langage lors d'un recrutement interne. Mais ça ne suffit pas pour vivre convenablement ! »
« Je dois encore faire des remplacements ASH à la demande lors des week-end et pendant les vacances. À l'hôpital je travaille souvent de 6 H 45 à 14 H 45.Dans une clinique, j'obtiens parfois des remplacements, je fais alors des journées de 12 heures. Il y a des moments où je ne vois pas beaucoup mon petit garçon. Mais il faut bien vivre. C'est la vie ! »
Donatienne n'est pas découragée, loin de là. On la sent particulièrement déterminée. « Je prospecte, je cherche un travail unique à temps plein. Il me manque un patron qui veut bien m'embaucher. À l'hôpital malgré tous les remplacements que j'y fais, je n'ai aucune chance. C'est un cercle vicieux qui me conduirait de vacations en vacations sans solution définitive. Je voudrais aussi obtenir une VAE (Validation des Acquis d'Expérience) pour avoir enfin ce maudit diplôme qui me manque ! Les démarches sont très longues et très compliquées … »
Donatienne est sortie de la Segpa en 2001. C'est maintenant une charmante jeune femme de 27 ans qui n'a pas les deux pieds dans le même sabot. Sept années de petits boulots, sept années de contrats en contrats ... Elle ne ménage pas sa peine, ne compte pas ses heures pour cumuler les heures travaillées. Elle conserve son enthousiasme et les élèves l'écoutent dans un silence qui me surprend. La récréation est passée, personne n'a bougé. Le plus étonnant encore ce sont nos deux trublions de service qui la raccompagnent jusqu'à la sortie de l'établissement et qui prolongent encore quelques minutes la conversation. Quel bonheur, c'est la magie Donatienne !
Je lui souhaite sincèrement de trouver cet emploi qu'elle mérite vraiment. Combien d'autres Donatienne de par ce pays ? Combien de journées saccadées, de petits boulots pour tirer le diable par la queue ? Que ceux qui trouvent que ce système est formidable, prennent, ne serait-ce qu'un petit mois, la place de cette jeune femme qui, malgré tout, ne baisse pas les bras. Voilà une belle leçon en tout cas !
Admirativement sien.
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