Les « artistes » célèbres, nouveaux profiteurs dans notre monde capitaliste ?

Depuis trente ans, un nouveau capitalisme, plus vorace, s’est mis en place conjointement avec l’avènement d’une nouvelle classe financière, technocrate, apte à ruser et se comportant souvent sans vergogne, prenant n’importe quel objet comme source de profit, y compris de belles entreprises fondées il y a un siècle qu’on dépèce, qu’on délocalise. Sans porter aucune attention au personnel, au savoir-faire, au produit fabriqué. L’essentiel étant d’examiner le potentiel de profit et d’y aller si le calcul est correct. C’est du reste ce qui s’est passé pour le personnel de l’entreprise produisant les sous-vêtements de la marque Aubade. La marque et les modèles ont été rachetés pour être fabriqués à bas coût en Tunisie. Il paraît que la qualité n’est plus la même. Les anciennes ouvrières sont sous le choc, certaines désespérées, complètement désocialisées, cloîtrées. Adieu l’esprit d’équipe, cette communion si chère aux ouvrières du textile d’ailleurs mise en scène dans l’Atelier. Le monde du profit est sans vergogne. Bientôt, un partenariat avec les pompes funèbres pour récupérer l’or dentaire des cadavres ? Si on les laissait faire, la cité deviendrait un champ de ruine. Les Eglises seraient dépecées de leurs vitraux et tableaux.
Les époques sont marquées par des contours, des faits d’armes, des transformations industrielles, politiques, culturelles. Les hommes sont le ressort de ces expressions de société. Et certains plus que d’autres, car dotés de plus de force, de mental, d’aptitude à gérer les individus et les capitaux. Les signes de transformations humaines n’ont pas vraiment pignon sur rue médiatique. L’opinion croit que l’homme est le même. Ça arrange les politiques et les financiers. Et quand les intellectuels y vont de leur complice paresse alors, l’affaire est close. Il n’y a rien à voir circulez. Zweig l’écrivain avait déjà saisi les nouveaux jeunes hommes au tournant du XXe siècle, plus virils. Berdiaev avait admirablement capté les maîtres d’ouvrages et autres exécutants et chefs de l’industrie technique et politique pratiquée par les Soviets. Adieu les bolcheviks qui dès 1930 n’étaient plus dans le coup. Un scrutateur allemand de cette époque aurait saisi la montée en puissance des hommes de main du nazisme. Quant à Ellul, il a su montrer les métamorphoses du bourgeois. C’est d’ailleurs de bourgeoisie dont il est question dans un billet de Marianne consacré aux nouvelles classes dirigeantes et à la ploutocratie montante telle qu’elle est analysée par l’économiste Samir Amin. Fin observateur, riche d’expérience, il a parfaitement saisi cette nouvelle classe dirigeante maniant le fric et qui n’a plus rien de l’ancienne haute bourgeoisie imprégnée de bonnes manières et de belle culture, sensible à l’héritage matériel autant que spirituel. Les nouveaux parvenus n’ont plus de valeur autres que celle du fric et des signes censés représenter la réussite. Yacht, Rolex, merdes conceptuelles… Si on veut des clichés. Cette nouvelle élite du fric n’est même pas libre dans sa tête. Elle dépend des normes arbitraires fixées par la classe. D’ailleurs, il suffit d’interroger les vieux employés du Carlton sur ce sujet. Ils savent, eux !
Transition vers le monde des stars qui se prétend encore artiste et au nom de cette dénomination, se pose en victime des internautes et demande des lois coercitives pour traquer les téléchargeurs. Ces célébrités ne reculent devant rien pour protéger leur profit. Jamais la société ne s’est laissé gagner par tant d’imposture et d’hypocrisie déclinée avec une puissance médiatique sans concurrence. Un seul horizon, quand on a passé les premiers paliers de l’ascension célèbre. Aller au maximum de fric. Tel est le but que poursuivent les stars. Traduisant le désir de s’échapper d’une vie ordinaire et d’un travail basique. Le paradis sur terre est comme le paradis céleste conçu par Augustin. Beaucoup de demandes, peu d’élus. Pour échapper au métier de caissière payé une misère pour un travail de galère, quelques jeunes dames pas trop moches préfèrent se prostituer. Il y a ensuite le palier des classes moyennes. Un travail pas terrible, une vie moyenne, de petits plaisirs et une existence morne, enfin, jugée telle par les membres de nos sociétés occidentales devenus blasés. Pour échapper à cette condition, restent les affaires, l’artisanat haut de gamme, en chirurgie esthétique comme en gastronomie, le football et autres sports, et pour finir, le métier de célébrité, cinéma, chanson, spectacle. C’est d’ailleurs le rêve de tous les gosses de banlieue, là où l’avenir est le plus bouché, que d’être footballeur ou chanteur. De franchir les paliers et se retrouver plein de thunes, mais sans culture. Mais bien peu d’élus pour décrocher une belle situation.
Tout est prétexte au profit. La rareté, avec l’immobilier et ses prix exorbitants favorisés par la politique d’aide aux profits et les collectivités locales de participer à cette rareté grâce à un monopôle ancestral des terrains dont elles bénéficient. Les salaires des footballeurs ont atteint des sommes déraisonnables. En un mois, un type qui tape dans un ballon gagne autant qu’un écrivain à succès qui a bossé un an ou plus pour construire une œuvre. C’est dans la logique du marché. Le footballeur a chaque mois 100 000 spectateurs et le romancier autant de lecteurs, mais sur une année. Les revenus des chanteurs et des acteurs ont aussi augmenté dans des proportions comparables à l’immobilier. Le fric est devenu la motivation des artistes dès lors qu’ils accèdent à la célébrité. De Wilhem à Bénabar, de Zazie à Obispo, de Jenifer à Doré, c’est une même soupe chansonnière qui séduit un public dont on se demande si c’est la dévotion religieuse qui l’anime ou alors un déficit congénital dans le tympan transformé en bouche d’égout. Toujours est-il que les célébrités font, comme les footballeurs, monter les enchères et comme le disque se vend moins, les cachets pour les concerts prennent de l’ampleur et le prix des places augmente. C’est d’ailleurs le constat de l’été. La surenchère pratiquée par les célébrités du spectacle fait tache d’huile dans les médias. Les concerts sont chers. Certes, les plates-formes techniques sont onéreuses, mais pas plus qu’il y a vingt ans. Je me souviens d’un concert en 1982 aux arènes de Fréjus. King Crimson et Roxy Music. 65 francs de l’époque, à peine plus que le prix d’un vinyle. Mais quelle affiche. Une place de spectacle musical pour une pointure du rock valait le prix d’un album. Maintenant, le prix fort d’un CD est de 20 euros, mais il faut compter le double pour un concert de célébrité.
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Analyse économique et esthétique. La société contemporaine s’offre à deux analyses complémentaires, l’une d’ordre économique et l’autre d’ordre esthétique. La mécanique du profit a pour ressort des types humains spécifiques, différenciés. En aval, le désir insatiable de capter l’argent dès lors qu’on a le dispositif pour le faire. Tous les coups sont permis, copinage, ascenseurs, médias, par-delà les principes du libéralisme et même en délicatesse avec les lois. Samir Amin a pointé cette nouvelle classe capitaliste et cette logique de fausse concurrence où restent au sommet de titanesques combats entre oligopoles, en dépit de cette vieille loi anti-trust édictée par quelques subtils parlementaires américains qui, il y a plus d’un siècle, avaient flairé le coup. Le monde des stars participe aussi de cette dynamique jouant sur la concurrence faussée. Pour preuve, les ententes pour faire monter le prix des concerts. 61 % en quelques années aux States, alors que l’indice à la consommation n’a pris que 13 points. Et parfois, des combines donnant raison aux plaintes de consommateurs. La chaîne de radios Clear Channel vient de perdre des procès suite à une class action déposée par des fans furieux de servir de vache à lait et payer des prix exorbitants pour des spectacles. Le nerf du profit lorsqu’il s’agit de spectacle, ce sont en effet les médias. Qu’il suffit d’occuper. Pour le foot c’est pareil. C’est grâce à la télé que les salaires des joueurs ont été multipliés par trois, quatre voire dix, en l’espace de deux décennies. Avec la notoriété des images diffusées dans les foyers, plus les droits de retransmission. Pour profiter un max, il faut se placer en position d’oligopole. C’est du reste ce qui se passe avec la bande à Ruquier. Une brochette qui est payée pour dire des âneries à la télé, qui soigne son image et qui empoche le jackpot à la faveur de concerts bien juteux que les gens se pressent pour voir car les célébrités sont sur scène (Ruquier, Alevêque, Lemoine, Foresti, Dubosc…). On apprend que tout ce monde fait partie d’une écurie gérant les spectacles d’humour dont le siège est au Canada. Aucun parlementaire ne s’est intéressé à cette situation qu’on peut juger scandaleuse, voire illégale, pouvant être qualifiée de prise illégale d’intérêt, avec la mise à disposition d’une télé publique offerte pour faire des profits privés, partagée entre la vedette et l’équipe de production. Cette mise à disposition des chaînes publiques touche nombre de célébrités venant dire des banalités à l’antenne, guère plus intéressantes que les propos d’un footballeur après ou avant un match. Avec des présentateurs posant des questions à la con, parfaitement ajustée au niveau intellectuel de ces célébrités qui ne pensent qu’à leur profit.
Pour faire court dans le schème sociologique, on pointera cette tendance généralisée des artistes à faire monter les enchères, à pratiquer l’occupation des médias, à se mettre en scène pour racoler les spectateurs, les consommateurs. La télé grand public, un lupanar où stars et célébrités tapinent pour attirer les clients non pas dans leur chambre, mais dans les salles et les stades. Les fans, pénétrés de désirs et dévotions, avides d’orgasme collectif dans des tribunes surchauffées, vont au spectacle comme d’autres vont aux putes. La société du spectacle et du profit se dévoile à travers une allégorie pornographique. Les putes se font payer cher et les artistes aussi. Partout, 40, 50, 80 euros et plus pour une prestation sans qualité esthétique avérée. Tout dans le son, les requins de scène et les jeux de lumière. Il faut bien aveugler et rendre sourd le fan, lui donner l’illusion qu’un créateur est une scène, alors que ce n’est qu’une bête de cirque. Adieu les poètes d’antan, les Gabin, les Ferré, les Mouloudji, les Reggiani, les Marais, les Cocteau, la poésie et la bohême…
L’argent est le nerf de la guerre, dit-on, il est aussi le ressort conduisant la société non pas vers le sublime, mais vers la démesure du profit, la bestialité, la pornographie du fric, des célébrités et des fans. Le verdict est sévère, mais il faut bien taper ainsi pour se faire entendre, dans ce monde de mauvais entendants.
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