De nos jours, les aventuriers ont quasiment disparu, ils ont été remplacés par des arrivistes professionnels ayant des qualités sportives. Des individus qui savent prendre le minimum de risques, les valoriser et faire croire à l’opinion publique qu’ils sont encore des héros et des téméraires. L’aventurier existait depuis la nuit des temps, du moins depuis la mythologie grecque. Si Achille est un aventurier, à la recherche de la gloire et du butin, Ulysse par contre ne l’est pas. C’est un calculateur froid qui privilégie la ruse, qu’on se souvienne du cheval de Troie, et qui ensuite n’a qu’une envie, la guerre finie, celle de rentrer chez lui. Et si tout au long de l’Odyssée, il lui arrive tant d’épreuves, il ne les a pas cherché et son courage est avant tout une forme de résistance à l’adversité. Par contre, Achille n’en a rien à faire de la guerre d’Agamemnon, il privilégie ses Myrmidons et Patrocle son ami. De même, Jason et ses Argonautes sont eux aussi de la trempe des aventuriers, ils recherchent gloire et fortune sous la forme de la Toison d’Or. Avec eux, l’aventurier était né, il devient ensuite Viking, pirate, explorateur, navigateur solitaire, pilote de course ou pionnier de l’aviation.
Les assurances étant devenues des monstres pléthoriques et multinationales toutes puissantes, elles ne pouvaient tolérer des prises de risques inconsidérées. Après avoir dompté les citoyens lambda avec l’aide des pouvoirs publics pour les inciter à ne pas s’exposer au moindre danger potentiel sous peine de sanctions financières et pénales, elles se sont attaquées récemment aux derniers aventuriers qui dépendant de sponsors et de partenaires financiers, ne peuvent plus se permettre de risquer leur peau inconsidérément.
Les assurances sont des entreprises avant tout dirigées par le profit. Elles n’agissent ni par philanthropie, ni par humanisme et sens moral de protection de la vie, des biens et des personnes. Le principe des assurances est le même que celui de la Française des Jeux avec les tickets de grattage. Avant même d’avoir vendu les tickets, la FDJ sait ce que cela lui coûte et combien cela rapporte. Avec les assurances, la seule différence réside en le fait que les « gagnants » que l’on appelle alors des sinistrés répondent à des aléas statistiques qui permettent le calcul des primes. Incluant les frais de fonctionnement, le montant total des polices doit être supérieur à celui des indemnités. Cela est relativement simple pour les mutuelles santé, sauf épidémie, pour les véhicules, les vols et les incendies. Quant se présente un risque supplémentaire, l’assurance peut augmenter ses tarifs, elle peu aussi se provisionner pour risque exceptionnel, elle peut enfin s’assurer au près d’autres compagnies d’assureur d’assurances. Il est certain que la gestion du risque est différente pour une Twingo que pour un super tanker. Mais en gros le principe est le même et l’assurance est gagnante à tous les coups. Pour maximiser ses bénéfices, l’Assurance utilise à la fois le pouvoir politique et l’administration pour légiférer et faire appliquer les règlements dans le sens qui lui est favorable. Réglementation routière, normes de sécurité diverses (incendie, manèges forains, issues de secours et série de contrôle°. Il existe donc une complicité si ce n’est une symbiose entre pouvoir politique et assurances.
L’assurance encourage aussi la création les sociétés privées de portes blindées, d’alarmes, de vigiles. Bref tout est fait pour que le citoyen de base se tienne à la fois tranquille et respectueux des règlements et qu’en même temps il soit assuré et qu’il s’équipe de gadgets ou ait recours à des spécialistes de la protection. Plus l’assuré est frileux et précautionneux, moins il s’expose, donc moins il coûte, tout en continuant à payer. L’intérêt des compagnies d’assurance est donc simple et répond à une logique purement marchande.
Alors, direz vous, que viennent faire les aventuriers dans l’histoire, attendez un peu cela va venir.
Les compagnies d’assurances, comme les fonds de pension interviennent de plus en plus sur l’économie, les marchés financiers, mais aussi plus insidieusement sur notre vie de tous les jours. Cet article n’est pas une analyse économique des assurances sur l’économie française, et encore moins mondiale, ou sur la couverture et la protection sociale, loin de là. D’autres, nettement plus compétents en la matière s’en chargeront. Mais il s’agit plutôt de démontrer que les assurances sont de plus prégnantes dans notre vie quotidienne et qu’elles visent à orienter les conduites. Concernant ceux qui sortent de la norme, sportifs, grands voyageurs, réalisateurs de performance, la situation à leur égard a changé progressivement depuis les années 70 et les comportements de nos héros non guerriers en ont été profondément modifiés. Les Assurances dictent les conduites pour des raisons de productivité et de rentabilité, les états sont complices ou bien pris à la gorge par ces multinationales et font de la surenchère sur la législation sécuritaire et le principe de précaution. L’entrée en bourse des sociétés d’assurances multinationales en a fait des états dans l’état.
Jadis, de la Renaissance au XVIII° siècle, le principe était simple, l’assurance ne concernait que le grand commerce, le transport maritime de cargaison contre les avaries, les naufrages et la piraterie, ensuite l’incendie avec l’apparition de l’industrialisation. Puis, dès le XIX° apparaissent en Angleterre avec la Lloyd’s, puis en France, Pays Bas et Etats-Unis d’autres type de contrats couvrant progressivement un nombre de domaines grandissant. Les compagnies d’assurances de plus en plus puissantes en arrivent à convaincre les gouvernants de l’utilité d’imposer l’assurance à tous et petit à petit, même si la France possède un système de sécurité sociale public qui la démarque de nombreux pays dont les USA, les assurances obligatoires ou fortement incités s’imposent. Mutuelles santé, incendie, contre le vol, responsabilité civile, assurance pour les véhicules, les bateaux de plaisance, chacun étant libre de choisir sa compagnie. Les exploits sportifs étant médiatisés se sont mis à rapporter gros du fait des droits de diffusion, du sponsoring des marques et de la création d’entreprise de publicité et marketing entourant les événements. D’autres part, les pilotes de Formule 1, les navigateurs solitaires et même les footballeurs qui sans être dans la misère dans les années 60 à 80, gagnent désormais beaucoup plus. Ils génèrent aussi des profits collectifs, engageant des hommes d’affaires, des capitaux, des médias et des équipes de collaborateurs qui dépendent de leurs résultats. Cela entraîne automatiquement un désir de se protéger plus pour profiter plus longtemps de la manne. Il n’y a donc plus rien de commun entre Jim Clark et Jochem Rindt et les pilotes du circuit actuel comme Alonso ou Hamilton, bien sûr au niveau des gains, mais surtout à celui de la prise de risque et des mesures de sécurité. Le virage définitif ayant été l’accident qui coûta la vie à Ayrton Senna De même Tabarly et Colas ne reconnaîtraient plus la Transatlantique. Cela ne veut pas dire que les navigateurs de nos jours font leurs traversées dans un fauteuil et qu’ils n’ont aucune audace, mais, du fait de l’assistance en course et des progrès techniques, il ne s’agit plus du même exploit. En remontant plus loin, on peut se douter que des gens comme Alain Bombard ou Thor Ayerdhal et son Kon-Tiki seraient de nos jours restés à quai ou auraient été obligés de partir sous escorte avec GPS et balise Argos.
Le nouveau héros capable de performance télévisée est en permanence surveillé, encadré pour le rendre rentable le plus longtemps possible. L’exemple caractéristique de la prévoyance est celui de Guy Roux, qui loin d’être un aventurier a les pieds sur terre et la main près du portefeuille, pour le protéger des fuites. Excellent entraîneur, il a toujours essayé d’économiser ses joueurs en les empêchant de commettre des imprudences et des excès. Djibril Cissé en a fait souvent les fris et se faisait systématiquement engueuler chaque fois qu’il faisait un saut périlleux arrière après un but sur le terrain ! Assurance oblige, Cissé ayant déjà subi plusieurs fractures, chaque nouvel incident peut faire monter le montant des assurances à payer pour le couvrir.
Hulot, Artus Bertrand, Jean Louis Etienne, Maud Fontenoy, ont certes des qualités physiques et un certain courage, mais ce ne sont en aucun cas des aventuriers, plutôt des hommes et des femmes d’affaires. Tout est calculé de nos jours pour faire le maximum de profit, d’audience et de notoriété pour vendre un produit exploit / aventure. Les anciens aventuriers, ils ne crachaient pas sur l’argent, bien au contraire car le gain faisait parti des objectifs de l’aventure. Mais du temps de Philippe de Dieuleveut et de Thierry Sabine, les sommes mis en jeu étaient moindres et la prise de risque bien plus importante. Et pourtant, ces deux là ne crachaient pas sur le fric, mais pour eux, il n’y avait pas que cela. De nos jours, faire du Tintin musclé aux quatre coins des mers et de la planète devant les caméras a remplacé l’esprit viking et gladiateur.
Les assurances assurent de moins en moins et se sont lancées la Bourse et dans la haute finance. Le cœur du métier, l’assurance-dommages ne représente plus qu’une part de leurs activités. Le dernier crack boursier devrait les réorienter vers leur activité initiale et de ce fait renforcer encore l’incitation à diminuer sinon annihiler toute velléité d’audace non calculée et orchestrée. Malheur à ceux qui auraient encore l’insouciance de se lancer dans des aventures non aseptisées et sécurisées au maximum. Ils ne trouveraient plus de sponsors et encore moins d’assurance. Seule exception au tableau, Steve Fossett, dont on a récemment retrouvé le corps, mais sa fortune personnelle et son caractère lui ont permis d’aller au bout de ses rêves.