Les cris de la dignité
Si les difficultés au sein de la Police nationale ne faisaient mystère pour personne qui connaît l'institution à commencer par les hauts fonctionnaires et les politiques, l'idée même d'une revendication explicite paraissait impensable jusqu'il y a encore quelques jours.
Ce "coming out" social a non seulement de quoi surprendre mais son analyse démontre l'état de déliquescence d'une République qui n'en a plus désormais que le nom acculée par les coups de butoir de la mondialisation et du libéralisme à outrance. Croire que ce qui se passe est anecdotique relèverait de la politique de l'autruche.
Au même titre, que l'ensemble des autres fonctionnaires de la fonction d'Etat ou hospitalière, urgentistes du social, la conscientisation d'être devenue symboliquement ou littéralement la chair à canon de la République fait son chemin et désormais s'exprime au grand jour.
Il peut paraître honnête de dire que personne n'a vu venir ce mouvement, comme aucune diplomatie européenne n'avait vu venir les révolutions arabes.
Le mouvement policier n'est pas un mouvement protestataire
Le mal intentionné pourrait bien dire : "encore une manif ! Ah ! ces fonctionnaires toujours à râler !" Or, ce mouvement s'il prend des apparences plus ou moins proches d'une manifestation est surtout celui d'un rassemblement qui n'est pas celui d'une protestation contre telle ou telle réforme, telle ou telle mesure mais l'expression d'une reconnaissance de la dignité. En ceci, ce mouvement est totalement inédit. La révolution tuinsienne appelée abusivement révolution de jasmin était en Tunisie considérée comme une révolution de la dignité : un refus de l'oppression des libertés, un refus de la corruption généralisée, un refus de l'aliénation. Or, le décryptage que l'on peut faire des discours de policiers interrogés dans ces rassemblements ressemble bien à celà : un appel à la fraternité. Ce mouvement est incontestablement inédit et les réponses des politiques qui s'accordent à poser des comptes d'apothicaire (ajouts de postes, amélioration du matériel etc.) sont en partie vaines. Certes, soulager avec des postes supplémentaires des zones en tension, être mieux équipé sera toujours un élément appréciable, mais n'est pas ici au coeur du problème. Ce qui est pointé ce sont les injonctions paradoxales d'un système que plus personne ne pilote. Cette expression de ras-le-bol généralisé dépasse le cadre même de la police.
Les silences assourdissants des politiques de tous bords
L'effet de surprise semble incontestable à tel point que l'appareil politique est aujourd'hui tétanisé. Qu'y voit-on ? Un ministre de l'Intérieur compatissant mais rappelant le rappel à la loi quand la déliquance a pignon sur rue, ce qui a de quoi en faire rire plus d'un. Des politiques gênés croyant que l'infantilisation marchera une fois de plus tout en ayant peur de la contagion. Des adversaires politiques tout aussi tétanisés voyant le retour de flamme de leurs politiques passées. Des tentatives de reprises en main ou de récupération tellement grossières qu'elles discréditent ce qui les tentent. Ce rejet du politique inédit de la part de forces de police est un symptôme inquiétant de l'état de notre société. Ce silence politique en paraît même assourdissant face àce mouvement inédit. Les causes de ce silence sont aussi probablement à trouver dans les modalités de ces rassemblements construits en dehors de tout réseau syndical et politique. Les syndicats sont dépassés par le mouvement. C'est le scénario que toutes les managers redoutent celui de la revendication non canalisée par les vecteurs de dialogue habituels (partenaires politiques ou syndicaux). Cette forme d'anarchie ne peut que mettre à mal le politique visé en plein coeur sans possibilité de le canaliser. L'hypothèse du pilotage FN est tout aussi grossière. Qu'il y ait des flics FN ou que cela arrange le FN c'est possible mais les cris de dignité portés par ce mouvement dépassent largement le cadre d'un mouvement politique partisan et la récupération politique ne sera pas aussi aisée qu'il y paraît à qui voudra bien s'y atteler.
Un mouvement, étape d'une déliquescence
Nul ne sait ce que générera ce mouvement. Il est fort probable que le risque d'une contagion généralisée ne se produise pas, toutefois, cette affirmation de dignité marque un point d'étape. Croire qu'il s'agit d'un mouvement mort-né serait une illusion. Si le mouvement a probablement peu de chances d'aboutir sur une revendication de masse, il est en tous cas fort probable qu'il constitue une étape importante, dans la recomposition d'un système socio-économique national et global. Le système social est aujourd'hui décentré en explorant une voie inédite montrant les limites d'un système qui a déconstruit notre société depuis plusieurs décennies. Ce cri de la dignité aura deux futurs possibles : le chant du cygne, expression d'une fonction dont nos sociétés feront leur deuil au profit d'une atomisation de celle-ci ou le chant de la reconstruction qui permettra de resouder les solidarités point d'équilibre entre les libertés et l'équité.
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