Les infiltrés en maison de retraite
David Pujadas présentait mercredi 22 octobre un reportage suivi d’un débat sur la maltraitance ordinaire en maison de retraite. Les images filmées du reportage étaient volées à l’aide d’une caméra cachée que portait une journaliste déguisée en stagiaire. Le but de cet article n’est pas de susciter une discussion journalistique autour de cette pratique, mais d’éclairer les propos échangés lors du débat pour informer les lecteurs non initiés au médico-social.
D’emblée, précisons que pour un professionnel aguerri du social, le reportage n’apprend rien, strictement rien de plus qu’il ne sache déjà. La seule nouveauté a consisté à mettre en images (volées) des informations connues depuis toujours. Les responsables d’établissements sur le plateau ont d’ailleurs souligné ce fait. L’insuffisance d’encadrement, la faible formation des personnels, leur démotivation et leur stress, la rigueur des budgets, la carence familiale, etc. Tout cela est connu. Faisons donc le point sur la politique vieillesse de la France.
Les choses se sont beaucoup améliorées ces dernières années. Les hospices se sont transformés en maisons de retraite ou autres établissements plus dignes que par le passé. Un plan de bientraitance s’est mis en place ainsi que des conventions tripartites pour médicaliser les maisons de retraite et ainsi permettre la prise en compte de la montée de la dépendance. Toutefois, la France fait figure de cancre en Europe en matière de prévision du vieillissement de sa population. On l’a constaté en 2003 quand 15 000 personnes âgées sont décédées à cause de la canicule faute de mise en place préalable d’un dispositif de prévention. L’attitude du ministre d’alors qui ne renonça pas à ses vacances au soleil pour revenir en urgence malgré l’hécatombe témoigne de l’esprit d’oubli des Français à l’égard de leurs aînés parqués dans les maisons pour vieux. A la suite de cela, il y eut une prise de conscience qui aboutit à la création d’une Journée de solidarité et d’une caisse pour récolter les fonds générés par cette Journée.
Lors du débat, Valérie Létard, la secrétaire d’Etat chargée de la solidarité, a mis un point d’honneur à évoquer la fermeture décidée en 2007 de 100 établissements non conformes. Mais, selon les directeurs de maisons de retraite, ce sont plus de 300 établissements qui devraient faire l’objet d’une fermeture d’urgence. On ne se résout cependant pas à les fermer pour une raison bien simple : on ne pourra pas recaser les résidents puisque le système d’hébergement est parvenu à saturation.
Valérie Létard a aussi évoqué son plan de bientraitance qu’elle a présenté le jeudi 16 octobre. Les principales mesures de cette opération "bientraitance des personnes âgées", sont :
La multiplication des contrôles inopinés : les contrôles doivent passer dans l’avenir de 50 à 80 %, la saisine du procureur de la République et l’ouverture d’une enquête administrative et judiciaire chaque fois que nécessaire. Cette mesure est souhaitable car les contrôles des inspecteurs DDASS sont la plupart du temps annoncés et organisés ; elles sont surtout l’occasion de rencontre entre professionnels pour mettre du liant dans les relations, mais cette rencontre interprofessionnelle (qui se clôt souvent autour d’un repas) ne prend pas assez en compte les résidents. Le gestionnaire d’association de maisons de retraite invité par Pujadas a évoqué une piste intéressante : recentrer les contrôles des DDASS sur les établissements qui posent de vrais problèmes. Il a rappelé qu’un rapport de la Cour des comptes de 2005 a mis au jour l’insuffisance de ces contrôles.
L’instauration d’une procédure "d’autoévaluation des pratiques de bientraitance". "En l’absence d’autoévaluation ou en cas d’incohérence évidente dans le remplissage du questionnaire, l’établissement fera l’objet d’une enquête-flash", plus légère à mettre en œuvre qu’une inspection classique, à partir de critères simplifiés en cours d’élaboration. La formule est intéressante ; elle permet d’alléger et d’accélérer les contrôles.
A propos des contrôles, la secrétaire d’Etat a tenu à souligner que la moitié d’entre eux ne sont pas programmés à l’avance. Il s’agit des contrôles faisant suite à des signalements. Si ces interventions sur place ne prennent pas la forme de visites-surprises, elles revêtent un caractère particulier puisqu’elles reposent sur une mise en cause de l’établissement qui est conduit à se justifier, ce qui plus poussé qu’une visite de courtoisie et de routine.
Un effort de formation : quelque 132 millions d’euros seront réservés à la formation de 250 000 professionnels en trois ans, à l’aide de 20 000 formateurs (soit deux par établissement).
Une nouvelle campagne de communication sur le 3977, numéro d’appel contre la maltraitance des personnes âgées lancé en février 2008.
Ce plan a essuyé quelques critiques de la part de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA) qui parle de déclarations d’intention contredites par les faits, à savoir le budget, les "moyens ridiculement faibles" prévus dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2009.
Qu’en est-il ? Ce budget est en hausse de 4,5 % alors que le nombre de personnes âgées fragilisées augmente de 7 % par an. La convergence tarifaire va autoriser le ministère à rabaisser au niveau des tarifs plafonds les tarifs des établissements qui les dépasseront. Les responsables d’établissements d’Île-de-France, présents sur le plateau télé ont exprimé leur inquiétude de voir leurs effectifs réduits pour se mettre à un niveau plus proche des établissements moins bien dotés. En effet, le ratio moyen est de 4,5 agents pour 10 personnes âgées. Or, ces établissements bénéficient d’un ratio de 10 pour 10. Ils vont devoir se restreindre dans un souci d’équité de l’ensemble des établissements.
Avec le budget PLFSS 2009, il est demandé aux gestionnaires d’EHPAD (établissement d’hébergement de personnes âgées dépendantes) d’adapter leurs charges à leurs ressources, et non plus l’inverse. Ces gestionnaires devront donc réduire l’embauche ou rémunérer moins leurs salariés, et/ou accroître le "reste à charge" supporté par les personnes hébergées. Ce reste à charge correspond à ce que la famille, ou à défaut l’aide sociale, doit payer une fois affectés 90 % des ressources (pensions de retraites, revenus fonciers, revenus de capitaux) de la personne âgée au paiement de ses frais. Selon les professionnels présents à l’émission, la participation des résidents couvre 60 % du coût qui est en moyenne de 1 700 euros par mois.
Valérie Létard a évoqué ce "reste à charge" qui pose problème pour les familles (les enfants sont obligés alimentaires de leurs parents), mais on voit que les efforts du gouvernement pour réduire cette part risquent d’être sérieusement compromis par les effets du nouveau budget PLFSS.
Si le "reste à charge" pose question, il serait bon de s’arrêter aussi un peu sur le "reste à vivre" des résidents, c’est-à-dire sur leur "argent de poche" (ancienne dénomination, plus adaptée que la nouvelle formule qui est assez macabre...), autrement dit la somme résiduelle après déduction de leurs remboursements. Ce "reste à vivre" est souvent ponctionné pour des dépenses de médecine en ville ou autres charges, ce qui réduit la part d’autonomie de la personne âgée. Or, l’argent, c’est aussi le nerf de l’autonomie. Un peu dans le même ordre d’idée, la confiscation des papiers d’identité dont se plaint un pensionnaire dans le reportage n’aide pas la personne à sauvegarder son autonomie et son intégrité.
Au cours du débat, il a aussi été question de revaloriser les métiers pour les rendre plus attractifs car il ne sera pas suffisant d’améliorer les méthodes et les formations (comme la technique "humanitude" qui nous vient du Québec) si les personnels sont mal rémunérés et déficitaires.
Enfin, le sujet qui faisait débat - la maltraitance en maisons de retraite - ne doit pas faire oublier les maltraitances au domicile, question pour laquelle les propositions du gouvernement se font attendre. La secrétaire d’Etat a préféré ouvrir l’angle de vue sur la perspective de la réforme prochaine dite du "5e risque" qui prévoit la prise en charge des dépendances par la Sécurité sociale.
Nota bene : Dernière nouvelles :
La maison de retraite du reportage de France 2 a été identifiée par les services de l’Etat. Il s’agirait d’un établissement situé à Saint-Jean-les-Deux-Jumeaux (Seine-et-Marne).
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