Les Japonais sans état civil au Japon
Depuis 1898, la notion de la famille a beaucoup évolué en Occident mais aussi au Japon, où des enfants naissent sans état civil lorsque la mère s’est remariée et met au monde un enfant moins de trois cents jours après la date de son divorce. En effet, dans ce cas, la loi considère toujours l’ex-mari comme étant le père légitime. Pour que le nouveau mari, véritable père de l’enfant, soit reconnu par l’état civil, il faut agir en Justice, sinon l’enfant ne pourra jamais obtenir un extrait d’acte de naissance et pour la loi, il n’aura jamais d’existence légale si sa mère a refusé l’inscription du nom de l’ex-mari lors des formalités de déclaration de la naissance.
C’est un sujet tabou dans tous les médias en dehors du quotidien Mainichi Shimbun qui met souvent à l’ordre du jour des faits marquants sur l’évolution de la société au Japon.
Tout le problème vient de l’application de l’article 772 du Code civil japonais de 1898 (Meiji 31) encore en vigueur, posant le principe de la présomption de paternité selon la règle des trois cents jours, et qui stipule dans chacun de ses deux alinéas :
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Le mari est présumé comme étant le père de l’enfant lorsque ce dernier a été conçu pendant le mariage.
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Si deux cents jours s’écoulent à partir de la date du mariage, ou bien moins de trois cents jours à compter de la date dissolution du mariage, décès ou divorce, le nouveau-né est considéré comme étant avoir été conçu pendant le mariage.
L’article 733 du Code civil ajoute qu’une femme divorcée ne peut pas se remarier pendant les six mois qui suivent la date du divorce.
L’article 53 du Code relatif aux règles d’état-civil précise que, malgré la procédure de désaveu de paternité exercée par l’ex-mari, la mère a l’obligation de déclarer la naissance à la mairie. L’officier d’état civil doit tout de même mentionner sur l’acte de naissance que l’ex-mari est le père légitime. Ainsi, dans le cas où la mère refuse cette mention, l’enfant se trouvera sans état civil (koseki). La carte d’identité n’existe pas au Japon, c’est l’assurance-maladie ou bien le permis de conduire qui permet de justifier de son identité. Mais aucun passeport ne peut être délivré sans un extrait d’acte d’état civil, et cela peut poser des problèmes tout au long de la vie.
Il faut noter qu’à l’époque de la rédaction de cet article, le divorce et le remariage étaient rares, la mortalité infantile était très forte et les prématurés n’avaient aucune chance de survivre. Cet article n’est donc plus adapté au monde d’aujourd’hui.
Pourquoi la règle des trois cents jours de prénatalité ?
En France, on dit généralement que la grossesse dure environ neuf mois parce qu’on se base sur le calendrier chrétien (appelé calendrier grégorien) qui est un calendrier solaire. (une année solaire = une année lunaire + 10,89 jours). Tandis qu’au Japon on se réfère au calendrier lunaire, et on dit qu’une grossesse dure dix mois (lunaires) et dix jours. Mais si l’on compare les deux situations, il n’existe pas de différence significative dans la durée réelle de la grossesse entre les Japonaises et les Occidentales, tout dépend du mode de calcul choisi.
Déjà en 1898, la méthode de calcul de la durée de la grossesse adoptée par le Japon est aussi celle des Anglo-Saxons, la durée de la grossesse est exprimée en mois lunaires, et qu’un mois lunaire correspond à vingt-huit jours du calendrier. Une grossesse dure donc dix mois lunaires à partir du premier jour des dernières règles auxquels on ajoute une marge de vingt jours. Une grossesse dure en moyenne 280 jours à compter du premier jour des dernières règles et 266 jours à partir du jour de la fécondation.
Si on l’exprime en semaines d’aménorrhée (c’est-à-dire, sans règles), une grossesse durera quarante semaines à partir du premier jour des dernières règles alors que la durée réelle de la grossesse est de trente-huit semaines, soit environ neuf mois au calendrier à compter du jour de l’ovulation en moyenne quatorze jours après le premier jour des dernières règles, plus tard si la femme a des cycles plus longs. Mais ce n’est qu’une estimation, les naissances ont lieu le plus souvent entre la 40e et la 41e semaine, mais environ le quart au cours des 38e et 39e semaine ou encore à la 42e ou la 43e semaine d’aménorrhée, sans que cela soit considéré comme anormal.
La règle des trois cents jours pose six problèmes majeurs :
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L’enfant ne possède pas d’état civil parce que l’ex-mari refuse d’être reconnu comme étant le père.
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Pour que le mari actuel soit reconnu comme le père, il est nécessaire de faire une demande devant la Justice en présence de l’ex-mari.
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Malgré le certificat d’analyse de l’ADN, les règles de l’article 772 sont prioritaires.
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Dans le cas où la procédure judiciaire aboutit à la reconnaissance du mari actuel comme étant le véritable père, le nom de l’ex-mari sera toujours mentionné dans l’acte d’état civil de l’enfant.
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Même si l’enfant a été conçu après le divorce, il peut naître prématurément avant trois cents jours à compter de la date du divorce.
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La règle des trois cents jours est méconnue par la plus grande partie des Japonais, par manque d’information.
Pour que le mari actuel soit considéré comme étant le père, il y a deux actions possibles sur le plan judiciaire selon l’article 777 du Code civil japonais :
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L’ex-mari dépose le dossier de désaveu de paternité de l’enfant au tribunal, cette demande doit être faite dans le délai d’un an à compter de la date où il a connaissance de la naissance de l’enfant.
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Si le délai est dépassé, l’enfant, la mère ou bien l’ex-mari, peuvent demander en Justice de reconnaître l’inexistence d’une filiation entre l’enfant et l’ex-mari.
Le 23 octobre 2002 à Tokyo, il y a eu une réunion d’environ cinq cents responsables des services d’état civil de trois cents communes pour établir un rapport qui a été remis au ministre de la Justice. Certains hauts fonctionnaires du ministère de la Justice et du ministère des Affaires sociales étaient invités et ont répondu qu’il s’agissait d’une demande de modification d’une loi qu’ils transmettraient aux responsables intéressés. Il faut modifier soit la loi, soit son application. Le ministère de la Justice a répondu par écrit qu’il ne pouvait pas satisfaire cette demande de modification.
Selon un sondage du Mainichi Shimbun du 19 janvier 2007, auprès de 205 communes, 171 communes, soit 83,4% d’entre elles, ont répondu affirmativement qu’elles avaient déjà refusé d’établir des actes de naissance ou bien leurs modifications dans les cinq dernières années. 112 communes ont répondu qu’elles devaient se contenter d’appliquer strictement la loi. Mais 62 communes ont répondu qu’il était nécessaire d’envisager une modification approfondie de la loi ou de son application.
Le 26 janvier 2007, le ministre de la Justice Nagase, lors d’une conférence de presse, a annoncé qu’il mettait en place pour la première fois une enquête nationale pour évaluer l’ampleur de ce phénomène social.
Le gouvernement Abe, le 7 février 2007, dans le cadre du Comité budgétaire de la Chambre basse, a discuté du problème de la baisse de la natalité. Le ministre de la Justice Nagase a reconnu l’existence de ce problème, et il a promis d’examiner de nouvelles solutions, autres que la procédure judiciaire de reconnaissance de paternité. Au sein du Comité, le Premier ministre Abe a précisé que les cas sont très variés et qu’il faut être très prudent dans leur examen, et donc les étudier un par un.
Le 15 février 2007, les députés ont donc formé un groupe de travail sur ce problème, réunissant tous les partis politiques pour réfléchir à de nouvelles solutions.
Exemples :
· Une lycéenne de seize ans dans le département de Shiga a déposé une demande, le 1er février 2007 au ministère de la Justice et au ministère des Affaires étrangères, de modification de l’article 772 du Code civil et de la procédure de délivrance des passeports. Car le voyage de l’école était prévu à l’étranger. Elle a demandé son passeport à la préfecture et elle ne possède pas d’état civil ; on le lui a refusé. Sa mère avait divorcé à cause des violences du mari, elle s’était enfuie, et elle avait demandé le divorce par voie judiciaire. Puis, elle s’était remariée et elle avait mis au monde un enfant. La mairie a refusé l’enregistrement de la naissance parce qu’elle se trouvait dans la période de moins de trois cents jours. Elle n’a jamais recontacté son ex-mari pour résoudre ce problème. Ainsi sa fille se trouve toujours sans état civil (koseki). Lors de son inscription au lycée, elle avait obtenu à titre exceptionnel un certificat de résidence (jyuminhyo).
· Une mère de trente-huit ans de l’arrondissement de Sumida-Ku à Tokyo est allée à la mairie le 11 janvier 2007 pour déclarer la naissance de son enfant, son bébé est un prématuré né deux mois avant terme. Elle a déclaré son mari actuel comme étant le père, la mairie a refusé en raison de l’application de l’article 772. Mariée en juillet 2001, elle vivait séparément à partir de septembre 2002. Le 13 mars 2006, ils ont divorcé, puis elle s’est remariée le 21 septembre 2006. Un examen médical a reconnu qu’elle était enceinte en juin 2006. La date prévue de l’accouchement était le 19 février 2007, donc 343 jours après le divorce. Mais elle a accouché prématurément, deux mois avant la date prévue, le 30 décembre 2006. C’est-à-dire 292 jours après le divorce.
· Un ex-mari de quarante ans, de l’arrondissement d’Edogawa-Ku à Tokyo, s’est marié en 1997, il a vécu ensuite séparément à partir de janvier 2006 puis divorcé le 23 mars 2006. Huit mois après le divorce, il a reçu une convocation du juge aux Affaires familiales le 22 décembre 2006 afin de vérifier l’existence de relations familiales. En effet, le 13 novembre 2006, 231 jours après le divorce son ex-épouse a accouché d’un enfant. Ensuite, le tribunal lui a demandé un certificat médical d’analyse de son ADN qu’il devra fournir en mars 2007.
Dans toutes ces procédures, les frais d’analyse d’ADN, le transport, etc., sont élevés et peuvent dépasser un million de yens. De plus, les mentions du carnet de maternité, lequel est remis dès la déclaration à la mairie de l’arrivée d’un enfant, ne sont jamais considérées comme suffisantes pour l’attribution d’un acte de naissance.
Le phénomène « dekichatta-kon »
On emploie couramment l’expression « dekichatta-kon » pour désigner le mariage qui survient peu de temps après la conception d’un enfant. Dans ce cas, l’enfant peut naître dans une période de moins de trois cents jours à compter de la date du mariage. Une circulaire du ministre de la justice du 30 juillet 1965 permet la reconnaissance du mari comme étant le père légitime de l’enfant en cas de « dekichatta-kon ». Ainsi, cette situation ne crée pas de litiges.
Il résulte d’un livre blanc paru en 2005, que 12,6% des enfants nés en 1980 sont des « dekichatta-kon », c’est-à-dire des enfants conçus hors mariage. Ce qui ne signifie pas qu’ils ont été conçus pour la plupart lors d’une relation de concubinage, car ce dernier reste marginal au Japon même s’il tend à se développer. En 2000, ils étaient 26,3%, ce qui constituait plus de 80% des enfants dans la tranche d’âge 15/19 ans et 60% de la tranche d’âge 20/24 ans (« White Paper on the National Lifestyle, Perceptions and Lifestyle of the Child-rearing Generation », August 2005, Cabinet Office). Marc Delplanque, Tokyo, 21 février 2007.
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