Les Jeux Olympiques au coeur de nos contradictions
Il y a quelques années, le philosophe Bertrand Méheust publiait La politique de l’oxymore. Il y décrivait la façon dont nos sociétés, - leurs dirigeants comme leurs opposants - n’hésitent pas à mettre en avant (en aveu ?) des propositions parfaitement contradictoires afin de masquer les tensions et prétendre ainsi satisfaire des attentes par nature incompatibles. La croissance verte, le développement durable, la flexisécurité nous sont devenus familiers. Cela ne peut que souligner l’extraordinaire préscience d’un Georges Orwell, imaginant dans 1984 un monde où les slogans du gouvernement étaient « la guerre, c’est la paix », « la liberté, c’est l’esclavage », « l’ignorance, c’est la force ».
En ce début de 21ème siècle, la survenue de pratiques envisagées dans la science-fiction des années 1950 est frappante. La surveillance, la géolocalisation quasi-permanente et la prééminence d’une pensée convenue sont devenues des réalités. Comme les écrivains l’avaient pressenti, et c’est là peut-être le pire, cela nous semble normal, parfaitement acceptable. C’est ainsi que le piège se referme.
La candidature de la ville de Paris à l’organisation des Jeux Olympiques de 2024 - candidature renouvelée après l’échec de celle de 2012 - illustre ces contradictions assumées. L’oxymore est flagrant, car alors que les Jeux Olympiques sont adulés et retransmis ad nauseam, ils contredisent à peu près sur tous les plans, l’ensemble des valeurs dont notre société aime par ailleurs à faire la louange.
La compétition en est le premier exemple. Vilipendée dans la plupart des domaines et notamment dans le monde scolaire où, après les classements, les notes elles-mêmes sont mises en cause, la compétition est repeinte en rose - ou en vert - pour les Jeux, où elle devient alors une sorte de saine émulation où vainqueurs et vaincus participent en toute coopération à la gloire du plus « méritant ». De qui se moque-t-on ? La compétition, lors des Jeux comme ailleurs, consiste à être devant les autres, à les battre et à en tirer gloire et profit. En faire ici un vice et là une vertu est la seule façon de faire passer l’oxymore. C’est la forme du mensonge.
L’internationalisme bon enfant est la seconde victime des Jeux. On nous vante, là aussi, des peuples s’aimant et se regroupant pour des fêtes aussi « saines » que grandioses. Les deux grands mouvements totalitaires du 20ème siècle, le communisme et le nazisme, l’avaient d’ailleurs bien compris, eux qui utilisèrent si habilement le sport comme outil de propagande. Le comptage des médailles auquel se livrent les journaux comme les nations en fait foi. Cette course à la gloire à conduit de nombreuses compétitions sportives, et les Jeux en particulier, à pousser le dopage jusqu’à ses limites les plus absurdes. Il fut un temps, où, notamment dans les pays de l’Est, même le sexe des athlètes en était incertain.
Le mensonge, ou pour le moins l’imprudence, s’étend à l’économie et la rigueur budgétaire lui est sacrifiée. La candidature de Paris fait aujourd’hui état d’un budget de 6,2 milliards d’Euros. Or, toutes les récentes Olympiades ont été l’occasion de dépassements faramineux. Les problèmes économiques connus par la Grèce en sont, pour une part, la conséquence.
A chacun de n’en être pas dupe, de refuser la pensée convenue, de ne pas suivre le troupeau. Les mots n’ont pas pouvoir à effacer la réalité des contraires. Ni la France, ni Paris n’ont probablement besoin de ces Jeux et sans doute serait-il plus raisonnable de les regarder avec moins d’indulgence.
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