Les mécanismes de la sur-richesse
Nous avons vu dans un article antérieur que la sur-richesse était un vecteur profond de déstabilisation socio-économique.
Quelle en est l’origine et quels sont ses mécanismes de fonctionnement ?
L’analogie avec la cavitation
Comme nous l’avions dit la dernière fois, la cavitation se produit par exemple sur une turbo-pompe qui fait circuler un fluide. Lorsqu’elle atteint une certaine vitesse, dite vitesse de cavitation, un vide se crée au niveau de ses pales, ce qui fait accélérer sa vitesse, phénomène divergent qui peut aboutir à son explosion.
Les deux principales causes, simultanées, sont l’excès de débit et le manque de pression.
Nous pouvons aisément faire l’analogie entre la rapidité de l’enrichissement des sur-riches et l’augmentation du débit, ainsi qu’entre la faible résistance populaire et le manque de pression.
Nous pouvons dater le début du phénomène au milieu des années quatre-vingt, en réaction à la fois à la crise dite du pétrole, en réalité structurelle, de 1973 et à la montée des mécontentement sociaux.
La réponse idéologique.
Dans ces années là, le mouvement populaire était très fort, et les pays en développement face à un occident néocolonialiste dur, se tournaient vers diverses formes de socialisme.
C’est au Chili que la réponse capitaliste, puis libérale, a été appliquée de façon la plus rigoureuse, avec l’appui de Kissinger. L’Amérique de Reagan et le Royaume Uni de Thatcher ont été par la suite les principaux alliés de ce régime, avec les conseils avisés de Milton Friedman et les éloges de Friedrich Hayek, de l’école de Chicago. Un libéralisme sauvage remplaçait la démocratie, le choix du produit à consommer étant censé remplacer le choix d’un régime par sa population, avec extermination des opposants. C’est çà le vrai libéralisme, la liberté ne concernant qu’une minorité de propriétaires. (le roman comme le film La maison aux esprits retracent bien le cheminement des latifundistes).
Cette réponse a ensuite été progressivement appliquée aux autres pays occidentaux, avec des aménagements pseudo-démocratiques, et a donné sa pleine expansion dans les années quatre-vingt.
À la libre parole des peuples s’est substituée la supériorité des experts au service des grands financiers internationaux. Le mouvement populaire a lors commencé à s’effriter.
La disparition des pays soviétiques.
Face au système capitaliste, au niveau idéologique, la confrontation avec les pays socialistes a eu pour résultat l’impossibilité pour le capitalisme, suite aussi à l’effondrement du nazisme avec lequel une partie importante des grandes fortunes s’est retrouvée déligitimisée suite à leur collaboration au moins passive, d’avoir une politique rigoureusement antisociale. De plus, la consommation à grande échelle était une des clefs de voûte du développement économique et de la prospérité capitaliste.
La disparition des pays soviétiques, liée à la montée de l’idéologie libérale, a permis d’attaquer systématiquement les avancées liées à l’effondrement du nazisme.
Le mouvement populaire était directement attaqué pour avoir suivi ces régimes désormais honnis, et au nom, certes légitime, des droits de l’homme, la partie sociale en avance sur les pays capitalistes a également été balayée comme une tare de ces pays. L’antisocial est alors devenu à la mode, alors que les droits de l’homme, dans leur réalité concrète, étaient également attaqués, notamment par la surveillance généralisée des citoyens.
L’expression de la pression sociale était devenu inaudible.
La plus-value immatérielle.
Dans les années quatre-vingts, concomitamment avec l’idéologie libérale, la structure même du capitalisme s’est transformée, passant de la fabrication concrète d’objets matériels à la reproduction infinie des services immatériels.
L’exemple le plus frappant étant Bill Gates dont la fortune est due à cette transformation, n’ayant comme production que la conception de logiciels reproduits à l’infini et permettant une plus-value elle même considérable.
L’enrichissement des capitalistes a alors connu un bond sans précédent, créant une bulle d’hyper-riches sans commune mesure avec leurs prédécesseurs, qui avaient progressivement accumulé des fortune égales ou supérieures à elles de États, ce qui leur a donné un facteur d’influence inconnu jusqu’alors.
La sur-richesse et le développement de la pauvreté
Les phénomènes conjugués d’augmentation de la vitesse d’enrichissement et de perte de la résistance sociale au mesures qui leur permettaient d’augmenter encore cette richesse ont créé ce phénomène désormais planétaire, avec des conséquences catastrophiques sur l’ensemble des individus du globe, hormis eux-mêmes et une sphère étroite qui bénéficie de leurs largesse.
Pour le reste, l’appauvrissement, et la déstabilisation des populations sont généraux, et donnent des réaction de plus en plus dangereuses, comme le choix vers les extrémismes, l’hyper-nationalisme, le repli sur soi, ce qui conduit à l’extension des confrontation entre peuples eux-mêmes victimes du même phénomène, sans en voir l’origine réelle, mais en supposant que c’est l’autre le coupable des problèmes. Cet autre étant souvent plus pauvre que soi, donc en réalité plus atteint et plus faible, donc plus vulnérable et facilement attaquable.
Quelles actions envisager ?
Si la sur-richesse dépend de la vitesse d’enrichissement et de la résistance populaire, il faut à la fois diminuer la première et augmenter la seconde. En réalité, les deux sont liées, puisque la vitesse d’enrichissement dépend aussi des actions politiques que la population peut contester, ou non.
L’inefficacité des luttes classiques
Les dernières grèves contre les mesures gouvernementales ont été la démonstration de leur complète inefficacité.
En 1996, les luttes contre les lois Fillon ont porté leurs fruits, avec à la clef le blocage de la Capitale pendant presque un mois.
En 2018, l’échec est patent. Des grèves, des manifestations, sans aucun résultat.
Les luttes contre les lois El Khomri et Macron (déjà) ont démontré la même inefficacité : cela ne dépend pas de l’orientation du gouvernement, celui-ci n’a que faire de ces mouvements.
Au mieux, ces mouvements ne sont plus là que pour assurer la cohésion du groupe, comme les troisièmes mi-temps des supporters qui cassent tout dans la ville d’accueil : cela ne change pas le résultat du match.
Si grèves et manifestations ne servent qu’à faire le travail de deuil et conserver la cohésion d’un groupe en déliquescence, cela ne sert à rien.
Le capitalisme n’est lus celui des années soixante, où la continuité de la production lui était vitale. Aujourd’hui, les moyens de la délocalisation, les lois liberticides, la peur du chômage, rendent la plupart des grèves improductives.
Pour la SNCF, les rentrées d’argent ne sont pas tant limitées, et l’immobilisation des trains permet aussi des économies. Seuls les usages voient la différence, usager dont n’a rien à faire le gouvernement. Cela ne change en rien les rentrées de Cash Flow des grandes entreprises du CAC 40.
Il faut donc créer d’autres formes, efficaces, de contestation.
Des pistes pour le futur
Ce sera aux jeunes de créer l’énergie nécessaire pour stopper le phénomène destructeur représenté par la sur-richesse et d’éviter les conséquences désastreuses que l’on peut prévoir.
Créer ou recréer une résistance suffisante pour que le phénomène d’emballement ne fasse tout exploser, avec de nouvelles formes d’action, comme des boycotts, des mises en évidences spectaculaires des inégalités, des happening contre les suppressions des hôpitaux, des nouvelles formes d’entraides sociales, des dénonciations web des injustices ?
Un regroupement international des luttes à travers l'ensemble du globe, pour un partage équitable, le respect de la planète, son énergie, sa faune, sa flore, et pour le retour d'une vraie démocratie remplaçant la ploutocratie actuelle ?
Ou bien au contraire ne rien faire, ne pas mettre de frein au mouvement dynamique en train de se créer, jusqu’à l’explosion et reconstruire après sur les ruines du système une société où l’altruisme l’emporte sur l’appât immodéré du gain ?
Ou encore se retirer complètement du système et créer une vie autarcique complètement indépendante, détachée et autonome ?
Quoi qu’il en soit les temps à venir seront ceux de la tempête systémique à laquelle il faudra se préparer.
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