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Les médailles d’or de l’illusion démocratique

Si l’humble réflexion de cet article s’appuie opportunément sur les jeux Olympiques qui viennent de s’achever, elle ne s’adresse absolument pas aux Chinois et à leur régime, mais à nous, peuple occidental bercé d’illusions incohérentes. La Chine nous effraie par son immensité, la Chine nous inspire moult critiques politiques, l’esprit chinois nous laisse souvent dans l’incompréhension, mais nous achetons massivement chinois bien que la qualité des produits et les conditions dans lesquelles ils ont été fabriqués nous procurent des doutes. Nous apprécions le bouddhisme, nous voudrions défendre les Tibétains, mais n’est-ce pas les ridiculiser que de traiter le Dalaï-Lama comme un phénomène de foire, le paroxysme ayant été atteint par le don public de Carla Sarkozy (ou Bruni ?) de son dernier CD. Ce mélange de rencontre mi-spirituelle, mi-politique, mi-promotionnelle et mi-people est affligeant et destructeur de sens. Voici déjà deux incohérences avant même d’avoir évoqué les Jeux, ce que nous allons faire à présent.

L’essentiel, c’est de participer

Voici un principe assez démocratique. Pourtant, les jeux Olympiques représentent la compétition la plus élitiste qui soit. Cet état de fait est largement créé, en tout cas formidablement amplifié, par le traitement médiatique des épreuves. On ne compte que les médailles ! C’est une obsession au point de qualifier de « journée noire pour l’athlétisme français » celle où Ladji Doucouré a fini quatrième du 110 mètres haie et Leslie Dhjone cinquième du 400 mètres, alors que les performances sont de très haut niveau et, qui plus est, réalisées en finale olympique. D’ailleurs, le comptage même des médailles ne semble pas très universel puisque les médias américains s’empressent de mettre en avant le nombre total de médailles, que ce pays domine, par opposition au nombre de titres olympiques qui est habituellement présenté et que la Chine a massivement remporté.

Alors, bien sûr, des athlètes géorgiens et russes se sont serré la main ; bien sûr, des nouveaux pays sportifs comme le Soudan ont fait leur apparition au plus haut niveau, mais cela reste accessoire par rapport au traitement des médaillés. Pourtant, entre une troisième et une quatrième place, il y a souvent peu de choses en termes de performance, de mérite, parfois simplement de jugement et d’arbitrage. Mais, par la convention de la médaille de bronze, le troisième va intéresser les médias et son pays tandis que le quatrième sera maudit, banni, rapidement oublié dans l’ombre du stade. Vu l’audience des Jeux, cette manière de penser sert nécessairement de référence, de valeur, de principe pour toute notre société. Tout résumer dans une performance est déjà excessivement arbitraire et réducteur, mais, dans un classement, la perte d’information est encore plus dramatique [1].

Sport spectaculaire ou spectacle sportif

Sous cette pression, un Cubain a perdu ses nerfs dans l’épreuve de taekwondo et a porté une attaque sur un arbitre en réaction à une décision qu’il n’a pas comprise. L’athlète et son entraîneur ont été suspendus à vie pour « violation caractérisée de l’esprit olympique ». Cette décision n’est pas démocratique car elle sanctionne un acte isolé certes visible, médiatique, spectaculaire et répréhensible, mais elle s’avère absolument disproportionnée par rapport aux suspensions infligées aux « dopés » qui pourtant pourrissent leur discipline de manière bien plus grave, systématique et profonde. Néanmoins, le dopage est souvent confondu après coup, à l’heure à laquelle moins de gens sont focalisés sur l’événement, quand la performance a déjà été réalisée, remarquable sur l’instant et profitable à l’audience.

L’information spectaculaire ou la mise en scène de l’information

Là encore, ce phénomène peut trouver un parallèle avec notre société dans son ensemble dans la dictature du fait-divers. Un professeur met une claque à un élève et on réouvre le dossier de l’éducation ; un malade en fin de vie écrit une lettre au président et on reparle d’euthanasie, etc. Ces événements restent dignes d’intérêt, mais leur côté « photogénique » est mis en lumière, l’émotion prend le pas sur la raison et sert à masquer des tendances lourdes que les médias évitent pendant qu’ils papillonnent et choisissent, avec des appuis politiques, les sujets qu’ils veulent lancer dans le débat public. La dépendance des médias vis-à-vis de quelques familles industrielles et politiques ne peut que renforcer ce point de vue. Je donnerai comme exemple BlablablaHebdo, un hebdomadaire papier payant, non financé par la publicité, qui s’est retrouvé en danger dès les premiers numéros car se voulant indépendant, il n’a été présenté, ni encouragé par aucun confrère alors que c’est la tradition, voire le travail de certains journalistes que de dire un mot à sa tribune pour introduire un nouveau. S’il ne vend pas 35 % de ses exemplaires en kiosque, un journal disparaît rapidement, et ce dans l’indifférence générale puisque presque personne n’a eu une chance de savoir qu’il était né. Cela donne à méditer sur l’avenir d’une presse indépendante, libre de ton et démocratique. Gala, Le Figaro et L’Equipe ont-ils nécessairement plus leur place parce qu’ils se vendent plus ? Parce qu’ils font partie de groupes puissants ? Les notions de qualité, d’indépendance, de pluralité et de diversité doivent-elles être systématiquement sacrifiées au règne de la quantité ? Que devient notre démocratie lorsque la volonté générale est confondue avec une opinion publique massivement orientable ?

L’illusion démocratique

Quand on pense, par exemple, à l’Union européenne, on peut se demander où est la démocratie puisque l’opinion des représentants du peuple semble prendre le dessus sur l’avis du peuple directement exprimé par référendum, ce qui constitue une incohérence de plus. Ou bien c’est tout simplement une illusion de plus. On a tout de même l’impression que la démocratie, au sujet de l’Europe, c’est consulter le peuple quand on pense le rallier à sa cause (par tous les moyens) et faire sans lui quand on sait qu’on n’y parviendra pas ou bien lui faire sentir un sentiment que l’on peut traduire par « ce n’était pas la bonne réponse ». Mais y a-t-il une bonne réponse en démocratie ? Cette hypocrisie flagrante doit être levée ou alors il faut avouer ouvertement que la majorité n’est pas compétente sur un sujet donné, ce que tous les experts d’un domaine pensent, et que la démocratie n’est même pas le moins mauvais des systèmes, mais juste une illusion des peuples de se diriger eux-mêmes.

Pour revenir à la disproportion des sanctions dans les jeux Olympiques, et dans le sport professionnel en général, elle se gradue en fonction de la salissure, même superficielle, qu’elle engendre pour la sacro-sainte IMAGE de l’événement qui importe plus que sa réalité. Ce déséquilibre me rappelle celui qui prévaut également dans notre société. Des dizaines de milliers d’euros d’amende et un an de prison pour survoler le Cap Nègre et combien de plus pour un délit de fuite après avoir renversé et tué deux personnes en voiture ou pour des abus de biens sociaux lésant des centaines de personnes ? C’est une disproportion antidémocratique qui s’applique selon la place que l’on occupe dans la société.

Du pain, des Jeux ?

Alors, une dernière question : les Jeux sont-ils le pur reflet des valeurs dominantes dans notre société ? Si oui, la compétition en tant qu’émulation est certes naturelle, porteuse de valeurs positives comme le dépassement de soi ou la recherche permanente de l’amélioration, mais il faut savoir remettre en perspective le résultat afin de ne pas le résumer à un vainqueur admirable entouré de perdants incapables. Ceci génère trop de mal-être dans notre vie sociale qui perd la notion de coopération au détriment d’un individualisme cynique. Sur les milliards d’êtres humains de la planète, il ne peut y avoir que quelques vainqueurs éphémères. Comme le dit Michel Serres, la compétition apprend surtout à perdre. N’en déplaise à tous les lecteurs eux-mêmes ultra-performants qui vont penser que cet article est encore une apologie de la défaite, de la loose !

[1] C’est l’unidimensionnalisation d’Albert Jacquart développée dans son livre Halte aux Jeux.


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