Les nécrophiles sont rarement des bons vivants
Les nécrophiles ne sont pas nos voisins de paliers, ils ne courent pas les rues. Ils sont discrets et si jamais l’on parle d’eux, c’est qu’ils se sont fait prendre à la suite d’un fait divers sordide qui s’est étalé dans les journaux. Nous ne sommes plus au 19° siècle et les mesures de sécurité mises en place dans les morgues et les cimetières, la vidéosurveillance et les précautions prises en milieu hospitalier rendent les pratiques nécrophilies non précédées de meurtres de plus en plus rares. Car il existe grossièrement deux catégories de nécrophiles : ceux qui tuent et ensuite assouvissent leur passion ou une pulsion sexuelle sur un défunt et ceux, jadis beaucoup plus nombreux, qui se contentent de cadavres d’inconnus déterrés, de dépouilles de proches décédés pour lesquels ils éprouvent une relation fusionnelle sans violence physique. Dans le deux formes sémiologiques, quelques beaux cas psychiatriques particulièrement bien étudiés vers la fin du 19° siècle et le début du 20° ! Malgré tout, la limite est floue et certains collectionneurs de dépouilles peuvent un jour passer au crime pour assouvir leur fantasme.
Petit rappel historique :
Des rapports qualifiés de nécrophiles sont décrits avec plus ou moins de détails depuis la haute Antiquité. Dans l’Egypte pharaonique, il était d’usage de laisser un peu macérer les corps des jeunes filles avant de les confier aux embaumeurs, leurs onguents et bandelettes, afin d’éviter toute tentative de profanation. Aucune civilisation de cette période n’est épargnée par ces pratiques. Hérode est réputé avoir continué des rapports avec le corps de sa défunte épouse, de même pour Périandre, le Tyran de Corinthe. Ces deux cas sont des démonstrations d’amour passionnel excessif, presque fusionnel, mais le cas du monstre de Tarente, signalé par les Romains tient plus de crimes de pervers sexuel, ce dernier tuant et éventrant avant de consommer.
Charlemagne aurait de même des rapports post mortem avec l’une de ses maîtresses, usant d’artifice de parfumerie pour faire passer l’odeur de putréfaction de son amour défunt. Et le voyageur arabe, Al-Kindi, relate ce genre de pratique en Inde. Le Moyen-âge français ainsi que l’histoire du royaume jusqu’à
Le XIX° siècle voit l’apparition de la médecine légale, de la psychiatrie et de la police scientifique. Les cas les plus intéressants seront étudiés à cette époque. D’abord Victor Ardisson (1901), qualifié à tors de « vampire de Muy » un asocial intellectuellement limité dont l’anosmie (absence d’odorat) lui permettait sans problème de rester au contact de cadavres en état de putréfaction avancée. Blot (1886) et Alexandre Siméon sont aussi intellectuellement assez limités Par contre, le sergent Bertrand (1849) est plus intéressant, car socialement intégré, intelligent et capable de rédiger en prison un mémoire détaillé sur ses pratiques. Bertrand est un paradoxe parmi les nécrophiles. Individu plutôt doux, passant inaperçu, il n’en éventrait et démembrait pas moins les corps qu’il déterrait. Borlemont, lui, après avoir tué son épouse, resta avec son cadavre pendant 27 jours avant d’être arrêté. Le fait que Joseph Vacher ait bu le sang de ses victimes, assimile le vampirisme à de la nécrophilie. Or, les Dracula and Co tels qu’ils sont décrits dans la littérature et le cinéma tiennent plus de la légende que de la réalité. Les buveurs de sang existent mais sont rarement des criminels et participent le plus souvent à des séances ritualisées avec des partenaires consentants.
Beaucoup d’auteur du Moyen-Âge font la confusion entre nécrophiles, lycanthropes (ou loup-garou) et vampires. Ce flou a été entretenu par les romanciers du XIX° siècle. Or le véritable nécrophile ne désire pas particulièrement mordre, dévorer ou boire du sang et s’il cela arrive, ce n’est qu’occasionnel et non significatif de sa sexualité. Mais les pratiques nécrophiles, souvent ayant un lien avec les rites funéraires sont aussi retrouvées parmi des tribus amérindiennes, asiatiques et africaines, prouvant ainsi l’universalité du phénomène.
La nécrophilie a minima se retrouve aussi dans les maisons closes, établissements dits de spécialité ou « à la française » en une période allant de la fin du XIX°siècle à la fermeture des maisons par Marthe Richard. Les « chambre mortuaire » permettaient alors de ritualiser le fantasme. Certains clients recherchent l’immobilisme total de la partenaire et participent à des simulacres de copulation avec une pseudo morte réinventant ou réactualisant le mythe de
Profanation de sépulture, sabbat dans les cimetières, messes noires relèvent aussi de la thématique nécrophile. Mais pour de nombreux jeunes gens amateurs de sensations fortes cela s’arrête le plus souvent à des virées nocturnes dans les nécropoles sans véritable consommation de l’acte sexuel avec des morts, mais plutôt avec les participants de la bacchanale dans l’enceinte du cimetière.
Littérature et recherche scientifique :
Curieusement, les scientifiques qui s’intéresseront à ce thème de recherche seront presque tous Allemands. Spoerri, Rauch, Bernhardt, Bürger-Prinz et tant d’autres inconnus du grand public, ont exploré la pathologie criminelle sur les traces du maître Krafft-Ebing. Ce que les Allemands appellent aussi Leichen Fetichismus a aussi inspiré les auteurs allemands comme Heine, Brentano et Kleist. Quant à Gabrielle Wittkop, bien que française née Ménardeau, l’auteur du chef-d’œuvre sur le thème au titre éponyme[1], elle parlait couramment allemand (Wittkop est le nom de son époux) et a même exercé comme traductrice. L’Allemagne a vu naître le plus fameux de nécrophiles, vampirique homosexuel en la personne de Fritz Haarman à Hanovre et Peter Kürten, à Düsseldorf. Les deux furent décapités en 1925 et 1931. Par contre, le cannibale de Rothenburg, Armin Meiwes entre plus dans la catégorie des sadiques que dans celle des nécrophiles.
Mais reconnaissons aussi qu’Edgar Poe, Baudelaire, Théophile Gauthier, Barbey d’Aurévilly ont aussi écrit sur le sujet avec une certaine délicatesse. Rien de cela chez Sade, une morte ne soufrant pas, cette pratique ne pouvait en aucun cas l’intéresser dans sa composante pure non précédée de meurtre. En France, le plus récent roman un tant soit peu connu est celui de Mario Mercier.[2]
Psychopathologie, déviance ou curiosité :
Maintenant, essayons de cerner la personnalité du nécrophile. Ce n’est pas un exercice facile car chaque cas est unique et n’entre que difficilement dans une catégorie. Comme la nécrophilie est une activité cachée, le plus souvent pratiquée en solitaire, au mieux en binôme de complices intimement liés souvent par l’homosexualité, il n’existe pas véritablement de modèle à suivre et d’archétype dans la réalisation du fantasme. Mais comme dit précédemment il faut nettement distinguer les déterreurs de cadavres et les assassins violents qu’ils soient l’auteur d’un crime passionnel unique et ciblé ou des tueurs en série. Au delà de la répugnance et du dégoût que peut inspirer le commerce charnel avec un ou une morte, il faut bien reconnaître que chaque nécrophile est un cas particulier, absolument passionnant tant au niveau psychiatrique, criminologique et anthropologique. Passé l’intérêt pour le fait divers, la nécrophilie questionne sur l’esprit humain dans ses plus sombres retranchements. Si certains nécrophiles sont débiles ou alcoolique chroniques, d’autres sont bien intégrés dans la société et ne semblent pas présenter de déficience mentale évidente, comme le sergent Bertrand. Toutes les personnalités sont possibles et s’il existe de véritables « amants des mort » d’autres se comportent avec une infime bestialité et sauvagerie. Certains cependant combinent intelligence, intégration sociale et sauvagerie. C’est le cas du Russe Ivan Katazov et de son complice Youri Dementsov, étudiants embarqués dans le bolchévisme et grands nécrophiles violents. Ce n’est pas le cas de la russe Olesya Mostovschikova qui tua et cuisina une amie après une soirée particulièrement arrosée. L’imprégnation alcoolique semble quelquefois entrainer ce genre de comportement, mais il n’est pas majoritaire. Le cannibalisme n’étant d’ailleurs qu’une forme dévoyée de la nécrophilie. Il ne faut d’ailleurs pas confondre cannibalisme et nécrophagie, cette dernière pratique s’accommodant fort bien de restes humains en état de putréfaction avancée, un peu comme les amateurs de gibier apprécient la viande faisandée. Il s’agirait plus d’un moyen de s’approprier l’âme, les forces ou les pouvoirs de l’autre. Le particularisme des nécrophiles réside dans le fait qu’il n’existe pas de personnalité type, pas de profil psychopathologique stéréotypé comme pour beaucoup d’autres déviances.
Le proverbe comme souvent est pertinent : « l’occasion fait le larron ». En effet, les nécrophiles non meurtriers se retrouvent le plus souvent parmi les fossoyeurs, comme Ardisson, ou les employés de morgue, les gardiens de cimetières, bien nommés croque-morts et employés des pompes funèbres et les professions médicales. Ces solitaires ne se font que rarement remarquer, ils sont discrets. La discrétion étant leur garantie. Ils n’ont pas de héros et de modèles à suivre et n’exercent leurs pulsions sans aucun mimétisme ou esprit d’imitation. Il faut une véritable intimité complice pour que le lien de confiance se crée, mais cela ne concerne préférentiellement que les criminels à tendance homosexuelle. La plus part des solitaires ont par contre une sexualité frustre ou absente. Cela peut s’expliquer par la peur du contact avec la femme, la crainte d’être ridicule, souvent renforcée par une expérience initiale humiliante ou dévalorisante. La passivité d’une femme morte fait qu’elle ne se moque pas ! La peur du refus et le ridicule ou l’amertume que cela pourrait entrainer serait à l’origine de certains cas de nécrophilie. Il existe pourtant des cas d’individus ayant eu une sexualité presque normale. Elle ne fait pas de commentaires. Une autre explication est le désir de silence et de discrétion souvent résultat d’une découverte inopinée d’un acte sexuel par les parents, en particulier la mère, ou par personne ayant autorité comme un prêtre ou un enseignant. Enfin, s’il est rapporté des cas de vampirisme, de cannibalisme et de meurtrières à connotation sexuelle comme la comtesse hongroise Elizabeth Báthory, la nécrophilie pure semble être presque exclusivement masculine, même si le film canadien Kissed de Lynne Stopkevitch sorti en 1996, relate les aventures d’une femme attirée par les morts.
Du fait des risque qu’il encourre, le nécrophile doit se montrer prudent et organisé. Les odeurs putrides de décomposition pose le problème du voisinage, ce qui réclame une cachette ou un habitat isolé. Et puis, au bout de quelques jours, les corps subissent une dégradation inéluctable avec dégagement de gaz et produits de décomposition comme la putrescine et la cadavérine, sans parler de l’émission de fluides par les orifices naturels. Le recours aux glaçons, aux parfums et à la ventilation ne peut durer qu’un temps. Se pose enfin la difficile évacuation des restes humains qui entraîne souvent le démembrement ou la crémation pour être plus discret.
Aspect législatif :
Si morale et religion du monde entier condamnent unanimement la nécrophilie et les profanations de cadavre et de sépultures, la loi est plus ou moins sévère selon les pays.
Filmographie :
Le cinéma a également traité de la nécrophilie avec plus ou moins de talent.
Voici quelques titres récents :
- Nekromantik, film allemande de Jörg Buttgereit, 1987
- Kissed de Lynne Stopkevitch, 1996
- Lune froide de Patrick Bouchitey, 1991, d’après Bukowski
- Aftermath de Nacho Cerdà, 1994, repris dans trilogie de la mort, 2007
- J’aimerais pas crever le dimanche de Didier Lepêcheur, Jean-Marc Barr, 1998
- Visitor Q, du japonais Takashi Miike, 2001
- Parle avec elle de Pedro Almodovar, (sur le coma), 2002
- Kill Bill de Tarantino, (où Uma Thurman se retrouve avec un gardien de morgue nécrophile), 2004
PS : La lecture des deux ouvrages repris en note est indispensable pour la compréhension du phénomène.
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