Les Putes ne sont pas soumises
Putains, prostituées, putes, travailleurs du sexe, femmes galantes ou de petite vertu, filles de joie, appellez-les comme vous voulez.
Mais n’oubliez pas qu’elles sont des citoyennes comme les autres. Le 20 mars, elles tiennent leurs Assises au Théâtre de l’Odéon. Organisé par Droits et prostitution, ce rassemblement s’adresse à tous - prostitué-e-s comme grand public - et dénonce notamment la loi sur le racolage du 18 mars 2003, instaurée par Nicolas Sarkozy.
A l’époque, le ministre de l’intérieur entendait arrêter le trafic d’êtres humains. Cette loi n’a pourtant jamais conduit devant la justice les souteneurs et responsables des réseaux de traites… Au contraire, elle a contribué à marginaliser les travailleurs et travailleuses du sexe, les mettant à la merci des proxénètes.
Le résultat est facile à deviner. Les prostitué-e-s, du fait de cette marginalisation , sont fragilisées, en but aux violences de toutes sortes et davantage exposées au Sida et aux IST.
Les travailleurs du sexe demandent l’abrogation de cette loi et la création d’un véritable statut. Ces problématiques sont débattues le 20 mars à l’Odéon. Il en est également question également ce soir, à 22h45 sur France2 qui diffuse le formidable documentaire de Jean-Michel Carré, Les travailleu(r)ses du sexe.
Cette journée du 20 mars est aussi largement consacrée, naturellement, au Sida et aux IST et aux bonnes pratiques de prévention. En fin d’après midi, une conférence de presse animée par Laure Adler donnera l’occasion au collectif Droits et Prostitution de prononcer une déclaration d’intention.
« Notre but est de donner la parole aux personnes prostituées, d’inviter des associations de prévention, des personnalités politiques et des chercheurs en sciences sociales, toujours dans l’optique de donner la parole aux prostitués, de les faire entendre et de médiatiser leur parole » explique Malika Amaouche, coordinatrice des Assises et membre de Droits et prostitution que nous interviewons ci-dessous.
Il est illusoire de vouloir supprimer la prostitution. Faut-il la réglementer ? Droits et prostitution demande que sur cette question un débat s’ouvre et estime que pour les travailleurs du sexe le statut libéral semble le mieux approprié. Le collectif est membre de l’ICRSE, International Commitee on the Rights of Sexworkers in Europe. Il est aussi composé de nombreuses associations de défenses des prostitué-e-s comme l’Arcat, (Association de recherche, de communication et d’action pour l’accès aux traitements), Les amis du bus des femmes, l’Unals (Union nationale des associations de lutte contre le Sida) Cabiria, Femmes de droit droits des femmes, Femmes publiques, Grisélidis, les putes, STT (Support Transgenre Strasbourg), Parité, Le Pastt (Prévention Action Santé Travail pour les Transgenres)...
Ce mouvement s’inscrit dans la lignée des groupes de revendications de prostituées des années 70. Il fédère la parole d’une nébuleuse d’associations de défense, d’information, de prévention, de soutien des travailleurs du sexe. Certaines demandent un statut et une reconnaissance de cette activité, d’autres s’occupent des droits des migrants. Dans certaines associations, dites communautaires (comme Cabiria, Le bus des femmes, Grisélidis…), les prostituées sont actrices dans la prévention auprès de leurs pairs. D’autres encore (Parité, le Pastt) défendent les droits des personnes transgenres.
On peut porter un regard moral sur la prostitution : est-ce bien ou mal ? Sauf que ce n’est pas le problème. La prostitution existe. En la cachant on ne la supprime pas, on ne fait que déplacer le problème. On balaye sous le tapis. C’est ce qu’a fait Nicolas Sarkozy. Les prostitué-e-s travaillent. Elles payent l’impôt. Certaines d’entre elles exercent leur métier sans contrainte. Oui, cela existe aussi, n’en déplaise aux moralisateurs qui ne voient dans les prostituées que des victimes du mauvais sort. Ils et elles ne sont pas si rares à aimer leur métier. Quant à la contrainte, elle vient, aussi, tout autant du souteneur que de l’état.
Plutôt que de débattre sur le sexe des anges, il serait plus utile de redonner à la prostituée la place qui lui revient dans la société et non pas la cantonner dans les recoins malsains de nos cités, comme si elle représentait notre mauvaise conscience.
Ajoutons enfin que cette journée du 20 mars donne la parole à deux artistes : la photographe Mathilde Bouvard qui a effectué un travail remarquable sur la prostitution en Europe (une de ses photos illustre cet article) et l’écrivaine aujourd’hui décédée Grisélidis Réal qu’on peut voir ci-dessous dans une vidéo. De 18h à 19h, toujours au Théâtre de l’Odéon, Amira Casar dira des textes de cette femme qui a su parler comme personne de son métier (ses livres sont disponibles aux excellentes éditions Verticales).
Interview de Malika Amaouche, coordinatrice des Assises de la Prostitution et membre de Droits et prostitution, par Olivier Bailly
Olivier Bailly : Sur quelle base se retrouvent les associations qui composent le collectif Droits et prostitution, organisateur de ces Assises ?Malika Amaouche : Sur l’abrogation de l’article 225-10-1 A du code pénal pénalisant le racolage. Sous prétexte de sanctionner le racolage cette loi réprime en fait la prostitution. Comme il y a une répression de la prostitution, les prostituées sont amenées à se cacher. Elles subissent des menaces de la part des clients, mais aussi des policiers. Les personnes migrantes font l’objet d’une plus grande répression de la part de ces derniers et dans les commissariats des prostituées ont été humiliées, mises à nue. Des personnes travesties ou transgenres ont été placées dans des cellules avec des hommes, ce qui les exposent à des violences. Dans ces conditions, donc, les prostituées ne peuvent se rendre dans un commissariat pour porter plainte.
Ces faits ont été constatés par les associations. Le collectif Droits et prostitution, avec d’autres associations, a demandé à la commission citoyen-justice-police [commission nationale chargée de plancher sur les rapports entre les citoyens et les forces de sécurité et sur le contrôle et le traitement de ces rapports par l’institution judiciaire. NDR] constituée notamment de la ligue des droits de l’homme et du syndicat de la magistrature de produire un rapport : Des nouvelles zones de non-droit, des prostituées face à l’arbitraire policier. Il y a eu également des articles [cf Le monde 16/12/2007] qui relatent un cas de viol de prostituées par des CRS qui ont écopé des sept ans de prison. On peut également lire le dossier de presse de médecin du monde de juin 2006.
Nous demandons, comme Sarkozy l’avait annoncé lors du vote, que l’on dresse le bilan de cette loi sur le racolage. On attend toujours.
En 20 ans de lutte contre le Sida et d’action de prévention on a appris que plus les conditions dans lesquelles s’exerce la prostitution sont sécurisantes, plus les personnes prostituées sont à même de se protéger par rapport au VIH/Sida et aux autres IST. Or le fait de rendre les prostituées invisibles du fait de la répression du racolage qui est en fait la répression de la prostitution et une répression des prostituées migrantes amène les prostituées à se cacher, les éloigne des structures de prévention et les fragilisent dans la négociation du préservatif.
De plus les prostituées, françaises ou migrantes, ont été amenées à rechercher la protection de souteneurs. Dans les années 80, les prostituées s’étaient libérées de l’emprise des proxénètes. Il y a eu une diminution des amendes pour racolage actif et elles ont pu se libérer de leurs proxénètes. Là on revient à un statut antérieur.
Pour les prostituées étrangères c’est très important parce que cette loi d’affichage, sous prétexte de protection de la femme et de lutte contre les réseaux, est en fait une chasse aux prostituées migrantes et sans papier.
Tous les boulevards extérieurs ont été vidés des prostituées migrantes. On se rend compte qu’elles ont été arrêtées et reconduites à la frontière sans que, lors de leur procès, on leur demande si elles étaient sous le joug d’un proxénète. On a beaucoup parlé d’autorisation provisoire de séjour en échange de leur « collaboration ». Il n’y a eu que des autorisations extrêmement provisoires qui ne permettaient pas à la personne d’être protégée.
OB : Selon votre collectif il faudrait abolir cette loi et revenir à une situation antérieure ?
MA : Oui et nous demandons aussi une redéfinition du proxénétisme. Dans la loi il existe deux sortes de proxénétisme. Celui qu’on qualifie de soutien et celui qu’on qualifie de contrainte. Le proxénétisme de soutien c’est celui qui favorise la prostitution d’autrui. Par exemple une prostituée qui prête sa camionnette ou son studio à une copine peut tomber pour proxénétisme. Nous voudrions que soit puni le proxénétisme de contrainte, c’est-à-dire l’exploitation. Mais une prostituée doit pouvoir louer un local un appartement pour exercer.
OB : Pour l’état la personne prostituée est-elle un travailleur comme un autre ?
MA : Les prostituées payent des impôts au titre des bénéfices non-commerciaux, mais cette reconnaissance fiscale ne leur offre aucune protection et elles n’ont pas d’assurance chômage. Elles n’ont pas de droit à la formation professionnelle, à une retraite ni à l’accès à la médecine du travail. Puisqu’elles payent des bénéfices non-commerciaux elles estiment qu’elles sont des citoyennes à part entière et qu’elles devraient bénéficier des droits afférents
OB : Comptez-vous rouvrir le vieux débat sur la réouverture des maisons closes ?
MA : On voudrait la reconnaissance de la prostitution et sortir d’une conception réglementariste qui date du 19ème siècle. Les maisons closes c’est du proxénétisme d’état. Nous voudrions un statut qui sorte de ce proxénétisme d’état ou d’entreprise et qui se calque sur celui des professions libérales. Elles pourraient ainsi travailler sur une forme individuelle ou même sous forme collective (si on abolit le proxénétisme de soutien).
OB : Est-ce que ce statut existe ailleurs ?
MA : En Suisse, le statut des prostituées nous semble intéressant. En Suisse elles payent une patente qui leur permet de travailler chez elles, en même temps elles sont indépendantes.
OB : Souhaitez-vous changer l’image de ce que l’on continue à appeler de manière anecdotique le plus vieux métier du monde ?
MA : Notre souhait est de montrer que derrière la prostitution il y a aussi des individus qui sont discriminés du fait de leurs pratiques sexuelles. La plupart sont des femmes et des personnes migrantes. Cette superposition fait que les personnes n’ont pas accès à la parole. Leurs droits sont bafoués du fait qu’elles cumulent un nombre de partenaires qui n’est pas « normal ». Et puis la loi sur le racolage est aussi utilisée pour chasser les étrangères.
Il faut savoir quelque chose de très important : La loi du 18 mars 2003 sur le racolage a été instaurée pour lutter contre la traite des êtres humains. C’est le discours officiel de Sarkozy. Or, depuis 2003, il n’y a pas eu un seul procès visant à démanteler des réseaux de traite des êtres humains. Je parle là de procès pour traite internationale concernant des filles qui sont arrivées par la violence, qui sont contraintes. Il n’y en a pas eu un seul. Cette loi ne répond pas à ses objectifs. Cette loi est un prétexte.
OB : Et les clients ?
MA : Dans les arrestations pour racolage, des clients ont été utilisés par la police afin qu’ils indiquent si la prostituée les avait racolés. Les policiers ont menacé ces clients d’appeler leur entreprise ou leur femme… C’est de la subornation de témoin. Droits et prostitution considère que courir après les prostituées pour les pénaliser à cause du racolage ou courir après les clients pour les punir d’activités prostitutionnelles c’est exactement la même chose. Cela favorise « l’invisibilisation », cela renforce les réseaux de proxénètes et les pratiques à risque. Dans la prostitution il y a le client et la prostituée. Comme nous n’avons pas de discours moral sur le client on considère que le pénaliser c’est la même chose que pénaliser la prostituée.
OB : Est-ce que vous arrivez, si peut que ce soit, à dialoguer avec les policiers ?
MA : Non. On ne demande que ça. Quand on a demandé un rapport sur la violence dans les bois de Vincennes et de Boulogne, nous avons discuté avec des commissaires de police, nous les avons rencontrés plusieurs fois. Suite à la publication de ce rapport l’équipe de policiers a changé dans commissariat du 12ème… Officiellement les policiers ne vont pas nous dire qu’ils sont d’accord avec nous. Demandez aux policiers de la Brigade de Répression du Proxénétisme si la loi sur le racolage les aide dans leur quotidien…
OB : Personne ne souhaite ouvrir et traiter sérieusement ce dossier en France ?
MA : C’est vrai. D’autres pays, comme les Pays-bas ou l’Allemagne sont réglementaristes. Ce qui ne résoud pas tous les problèmes non plus. Là-bas il y a du proxénétisme d’entreprise ou bien certaines prostituées sont dans l’illégalité parce qu’elles sont migrantes et qu’elles n’ont pas pu obtenir de papiers. Mais la France est un pays qui a du mal avec cette activité.
Crédit Photo : Mathilde Bouvard
Assises de la prostitution. Entrée libre sur réservation : [email protected] ou 01 44 85 40 44.
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