Loi sur les conditions d’indemnisation des chômeurs, solution ou danger ?
La loi en cours sur les conditions d’indemnisation des chômeurs va-t-elle dans le bon sens ou, au contraire, est-elle porteuse de menaces pour la société ?
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Un projet de loi est en cours, un de plus, au niveau gouvernemental, sur les conditions d’indemnisation des chômeurs.
Selon le projet gouvernemental, après trois mois de chômage, un demandeur d’emploi ne pourra pas refuser deux fois un emploi "compatible avec ses fonctions", "rémunéré à 95 % du salaire antérieur", "dans la zone définie".
Au bout de six mois, le demandeur d’emploi ne pourrait refuser plus de deux offres d’emplois compatibles avec ses qualifications et rémunérées à 80 % du salaire antérieur. L’emploi devrait également être situé "à une distance telle qu’il n’entraîne pas un trajet d’une distance de plus de 30 km ou un temps de transport en commun supérieur à une heure".
Au-delà de douze mois, sera considéré comme "raisonnable" tout emploi répondant aux mêmes conditions de qualification et d’éloignement géographique et rémunéré à un salaire supérieur à l’allocation-chômage (soit, dans le cas le plus courant, 57,4% du salaire antérieur).
Le projet ne fait pas de distinction entre le contrat à durée indéterminée et les autres formes de contrat : un CDD ou une mission d’intérim seraient jugés tout aussi valables qu’un contrat durable.
Les demandeurs d’emploi qui refuseraient ces mesures pourraient se voir radiés pendant deux mois des fichiers du SPE avec, le cas échéant, la suspension de l’allocation perçue.
Il faut constater que cette mesure, comme beaucoup d’autres prises ces derniers temps, peut avoir plusieurs aspects, plusieurs volets.
Le premier, idéologique, répond à la demande de l’électorat profond , au noyau dur, qui soutient (encore) l’action gouvernementale, dans la mesure où les mauvais citoyens sont montrés du doigt, ici la fainéantise des chômeurs qui refuseraient un travail « raisonnable ». Il s’agit de désigner le coupable, celui qui ne cherche pas à travailler plus, qui ne se lance pas à corps perdu dans la lutte sans merci du grand marché.
Le deuxième, pratique, permet aux chefs d’entreprise d’exercer une pression sur les salariés, à la fois en termes de salaire, ainsi que de diverses contraintes. En effet, soit le chef d’entreprise peut se débarrasser de son salarié trop coûteux à ses yeux, pour en trouver un, chômeur de plus d’un an, qui sera bien obligé d’accepter, soit pour faire accepter des travaux pénibles, voire indignes, au salarié qui verra avec d’autant plus de crainte l’épée de Damoclès du chômage. Cette mesure est donc un acte essentiel dans la lutte gouvernementale pour pousser le curseur travail/capital dans le sens de ce dernier.
Le troisième, économique, est basé sur l’idée, néoclassique, qu’il faut faire sauter toutes les entraves au marché libre, qui est censé être régulé par la loi de l’offre et la demande sans artifice extérieur, l’indemnisation des chômeurs étant perçue par les néo-classiques comme étant contre-productive.
C’est donc, du point de vue de ceux qui l’ont mise en œuvre, une bonne mesure.
Si nous regardons d’un autre point de vue, global, nous pouvons constater que cette mesure aura des effets dévastateurs.
D’un côté, il rend davantage encore vulnérables les plus faibles, qui sont au chômage depuis longtemps, et qui sont inquiets de voir leur allocation disparaître. Au lieu de se sentir, non pas à égalité, mais au moins renforcés, par la poursuite de l’indemnisation, la disparition de celle-ci constitue une menace qui diminue les exigences des demandeurs d’emploi. Accepter n’importe quoi, n’importe où, emploi sans lien avec les qualifications et mal payé. Sur le plan humain, c’est une catastrophe.
D’un autre côté, il va faire tendre les salaires vers le Smic, tous les salaires, puisqu’il sera toujours possible de trouver un salarié acceptant un emploi pour la moitié de sa valeur. Au bout de quelques licenciements, le salaire va rejoindre le Smic. L’effet de cette mesure risque donc d’être une paupérisation générale des salariés, en période de montée des prix, accompagnée d’une récession, avec pour corollaire diminution des rentrées fiscales : sur le plan macro-économique, il peut accenteur la récession déjà en cours.
On peut voir qu’une mesure, prise par le petit bout d’une entreprise individuelle, peut paraître alléchante, mais, sur le plan global, celui de la société, s’avérer catastrophique.
Il ne sert à rien d’accuser les chômeurs de ne pas créer leur entreprise dans une période d’incertitude, ou de faire pression sur eux pour qu’ils acceptent n’importe quoi, cela ne créera pas un emploi au sens vrai du terme (j’ai vu hier un homme, la cinquantaine, debout, sous la chaleur, distribuer des gratuits devant une gare SNCF, en disant « bonjour ! » aux passants, est-ce là un emploi digne ?).
Cette mesure ne va pas seulement toucher les chômeurs, mais c’est bien l’ensemble des salariés qui est visé, en complète cohérence avec le détricotage en cours du droit du travail : les salariés se voient insensiblement privés des droits qui garantissaient un équilibre grâce à la loi, seul vrai garde-fou contre des dérives se produisant où seule la force fait le droit.
Plutôt que d’accuser les victimes du chômage, il me semble que l’on pourrait au contraire leur faire profiter, durant cette période de non-travail, de formations réellement qualifiantes, de remise à hauteur de leurs compétences, afin qu’ils puissent de nouveau être valorisés, vis-à-vis d’eux-mêmes, comme de la société. Il faut cesser de considérer qu’une période de chômage est une calamité, mais qu’elle peut au contraire offrir des perspectives inédites à celui qui en bénéficie.
Documents joints à cet article
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